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Intelligence artificielle n’existe pas (L’)
Luc Julia
J’ai Lu, documents, n° 13056, essai, 216 pages, août 2020, 7,30 €


« Pour faire croire aux gens que SIRI était intelligent, nous avons volontairement introduit une dose de stupidité. »

Luc Julia est chercheur et inventeur. Dans l’âme. Depuis l’enfance, durant laquelle, détestant les tâches domestiques, il inventa et mit au point un robot destiné à faire son lit (robot qui fonctionnait suffisamment à son goût, moins à celui de sa mère qui le mit au rebut après quelques draps déchirés) à son poste actuel dans l’intelligence artificielle hexagonale, en passant par le Centre National de la Recherche Scientifiques (CNRS), le Massachussetts Institute of Technology (MIT), la Silicon Valley, la création de plusieurs start-up et quelques années chez Apple, c’est un travail certainement acharné mais aussi une longue série de défis et d’enthousiasmes (il a développé les premières cartes topographiques interactives, créé les premiers réfrigérateurs « intelligents », et bien d’autres choses encore), qu’il fait partager, dans un monde d’émulation perpétuelle et de développements toujours novateurs, en compagnie de chercheurs d’envergure dont il donne une image fortement positive dans laquelle ne vient déteindre que Steve Jobs, parfaitement conforme à sa réputation d’individu détestable et pas toujours si visionnaire qu’il y paraît.

Luc Julia ne se prive pas pour autant de brasser l’histoire des automates et des précurseurs de l’intelligence artificielle en rappelant au lecteur les premiers jalons, Turing et Babbage, les premières escroqueries comme le joueur d’échecs de Von Kempelen, les premiers malentendus sur la notion d’intelligence artificielle (la conférence de Dartmouth, 1956) et quelques grandes dates qui ont marqué les esprits dans le sens de la supériorité des AI, comme les défaites de Kasparov (échecs) puis de Lee Sedol (jeu de go), ou au contraire dans le sens inverse, comme l’affaire du chatbot Tay de Microsoft ou les accidents de l’Autopilot de Tesla. Et de convaincre le lecteur de la non-intelligence des machines, leurs victoires n’étant à attribuer qu’à la « force brute » dont il explique les tenants et les mécanismes. Avec d’intéressantes anecdotes (comme un ouvrage sur le comportement des chats, feuilleté par le plus grand des hasards, bouleversa se recherches en cours le convainquit de l’importance de la multidisciplinarité ), souvent avec une pointe d’humour (inventeur de Siri, il attribue une part de sa réussite à l’introduction volontaire, pour masquer l’imperfection de son produit, d’une pointe de « stupidité artificielle » qui permit à l’époque de conquérir le public), il désamorce les craintes et relativise les possibilités des machines, dédramatisant notamment le fameux deep learning, et expliquant que contrairement à ce que l’on lit souvent, y compris dans certaines revues scientifiques, il est faux que l’on soit incapable de comprendre les processus d’apprentissage de ces simulations de couches de neurones superposées

« L’intelligence artificielle n’existe pas, mais l’intelligence augmentée, elle, est en marche.  »

On le lisait déjà dans les ouvrages de science-fiction il y a plusieurs générations : les fonctionnalités de maisons qui anticipent le moindre de vos désirs apparaîtront comme miraculeuses. La perspective et les promesses d’une domotique intelligente auront donc fasciné plusieurs générations de lecteurs avant de se matérialiser dans le champ des possibles. Dans la partie intitulée “ Dans le monde du futur ”, Luc Julia décline ces fonctionnalités multiples sous forme de systèmes techniques capables de communiquer entre eux. Une accumulation de gadgets, mais pas seulement : Luc Julia prend le soin de préciser, par exemple, que mettre sa machine à café en route à l’aide de son téléphone est totalement dépourvu d’intérêt, et qu’une certaine « sélection naturelle » des applications par leur usage, leur adoption ou leur abandon, conditionneront leur pérennisation ou leur disparition. Tout n’est sans doute pas à prendre pour argent comptant dans les nombreux et riches exemples qu’il propose, donc certains apparaissent discutables et plus propres à générer la crétinerie augmentée (dont nous avons tous un jour été hélas témoins, comme ce pauvre diable errant à pied dans la rue parce que son téléphone refuse de le guider avec suffisamment de précision vers la bâtisse dont il lui a fourni l’adresse complète, alors qu’il lui suffirait de relever la tête de son écran pour la trouver en lisant les numéros sur les façades, ou le demeuré restant planté devant une bâtisse dans laquelle il souhaite entrer parce que son correspondant ne répond pas au téléphone, alors qu’il lui suffirait, en utilisant ses propres neurones, de remarquer et d’actionner la sonnette ou l’interphone), ces riches exemples, donc, ne se cantonnent pas seulement à l’assistance de celui qui jusque dans ses tâches domestiques devient progressivement un ignorant, un imprévoyant et un incapable, mais offrent des perspectives intéressantes, et souvent convaincantes dans de nombreux domaines comme l’optimisation des ressources, ou l’économie et la gestion intelligente de l’énergie. À partir de ces exemples domestiques, Luc Julia extrapole à l’éducation, l’enseignement, l’environnement, les transports, le travail, la santé et bien d’autres domaines dans lesquels l’interopérabilité – la communication des objets entre eux – sera capable d’apporter de véritables améliorations et une fluidité nouvelle. Si Luc Julia peint en définitive un tableau fondamentalement optimiste de l’usage de la science – rejoignant en cela les auteurs de l’âge d’or de la science-fiction auxquels nous faisions allusion – il ne fait pas non plus dans la naïveté, abordant dans le dernière partie “ L’avenir de l’intelligence artificielle”, les dangers contre lesquels il faudra savoir se prémunir, comme le mésusage des technologies ou l’usage immodéré d’application peu utiles et démesurément énergivores.

« L’Intelligence artificielle n’existe pas  » apparaît donc comme un vaste tour d’horizon qui aborde à la fois l’historique, le présent et le futur des intelligences artificielles. Une vision pondérée par la connaissance, présentée simplement, sans excès de vocabulaire savant ni de concepts scientifiques, facile à lire et à la portée de tous. Une vulgarisation qui n’était pas gagnée d’avance et qui fait de «  L’Intelligence artificielle n’existe pas  » un ouvrage à mettre entre toutes les mains.


Titre : L’Intelligence artificielle n’existe pas
Auteur : Luc Julia, Ondine Khayat
Couverture : Saycle et Koya 79 / Shutterstock
Éditeur : J’ai Lu (édition originale : First, 2019)
Collection : Documents
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 13056
Pages : 216
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : août 2020
ISBN : 9782290219522
Prix : 7,30 €



Un peu de sciences sur la Yozone :

- « Comment parle un robot » de Frédéric Landragin
- « Lettres à AlanTuring », sous la direction de Jean-Marc Levy-Leblond


Hilaire Alrune
23 septembre 2020


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