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Lou après tout, tome 3 : La Bataille de la Douceur
Jérôme Leroy
Syros, Hors-série, roman (France), post-apo, 550 pages, janvier 2020, 17,95€

Lou a vieilli. Elle a survécu. Elle a eu cette chance, dans la Douceur. Et la communauté la pousse à raconter ces jours passés, jusqu’à la bataille qui fut décisive.
Alors Lou raconte, la fuite depuis Wim, l’errance, mais aussi ce qui se passait alors à la Douceur, et qui a permis la victoire.



Encore une fois, Jérôme Leroy préfère la tension du moment à un suspens bien artificiel. Exit donc l’appréhension que Lou n’ait point survécu, et par la forme du récit enchâssé, il redonne à chaque scène pourtant passée une tension nichée dans les détails, dans la puissance des émotions qu’elle met en jeu.
Alors que nous avions laissé Lou et les siens en fuite, avec la clique du Délégué aux trousses, elle va commencer par nous raconter ce qui se tramait alors à la Douceur : un événement majeur, trois jeunes gens, musiciens, découvrent la Mélodie, un rythme qui hypnotise les Cybs, et leur permettra, comme dans le conte du joueur de flûte, de s’en débarrasser. Mais ces trois jeunes gens ont aussi leur histoire, marquée par l’Effrondrement même si eux ne l’ont pas vécu. C’est l’occasion de nous montrer comment fonctionne la communauté de la Douceur, érigeant la bienveillance, la compassion et l’entraide en valeurs cardinales, mais demeurant vigilante. Ainsi, les Cybs sont maintenus sous contrôle, nourris pour rester à l’écart et limiter les attaques. La cohabitation pacifique plutôt que la guerre et la mort. Même si cela n’empêche pas les accidents tragiques. Comme pour Mauve, l’une des trois musiciennes, et leur clé de voûte : conçue alors que son père a été contaminé, dans une ultime union avant qu’on abrège ses souffrances (le « protocole compassionnel »), la petite mutante surdouée intrigue, inquiète un peu, ses sens exacerbés par le virus cyb qui a marqué jusqu’à sa peau.
Le récit de sa conception, sa gestation et sa naissance concentre à lui seul tout le potentiel tragique et merveilleux qui compose la trilogie « Lou après tout ». Et, hélas ou heureusement, ce n’est pas le seul dans cet ultime volume.

Parce qu’une fois que Jérôme Leroy nous as rassuré sur la survie de Lou (pas forcément de ses compagnons) et offert ce double soulagement qu’une vie paisible est possible et que les cybs peuvent être éliminés, il nous rebalance en plein enfer dans le nord, avec nos héros et le marée de Bougeurs qui déferle.
Mais là encore, il sait nous surprendre, cassant les codes de la fiction de genre. La course-poursuite s’enlise du fait de la météo, et se fige de longs mois. Les dangers se déplacent de ceux connus à d’autres qu’on avait oubliés. Les monstres ne sont pas toujours ceux que l’ont croit : Lou fait l’expérience d’une communauté où les jeunes ont pris le pouvoir et préféré la sauvagerie, la violence et le cannibalisme, en rejet drastique de l’héritage de leurs parents. on croyait que l’auteur avait fini de nous montrer les horreurs nées de la part d’ombre de l’Homme, il n’en était rien.

La marque d’une excellente fiction tient dans la puissance des émotions provoquées par la lecture des bonheurs et des malheurs des protagonistes, le partage de leurs joies et de leurs peines intimes, plus que les événements collectifs, mondiaux. Je vous laisse anticiper les montagnes russes éprouvées avec la grossesse de Lou...

Jérôme Leroy joue rarement sur la surprise, ne cassant pas le rythme, l’émotion d’une ligne à l’autre au cœur d’une scène, non, il préfère ouvrir son chapitre par cette information cruciale, pour mieux nous laisser l’anticiper, l’envisager de la meilleure ou de la pire manière possible. Il arrive souvent que pris dans la lecture, on perde de vue quelques paragraphes durant cette épée de Damoclès dont nous sommes parfaitement informés, cela n’en rend pas le choc moins fort.

Il lève également le voile sur l’identité de Lou, avec une belle réflexion sur la recherche de soi, sur le cheminement psychologique pour y parvenir. C’est peut-être ma seule déception du roman : la petite enfance de Lou, avant l’Effondrement et Guillaume, est un peu excessive (des parents étrangers, humanitaires, une arrivée par hasard à Lille) et parfois peu cohérente (comment peut-elle être blonde avec une telle ascendance méditerranéenne, par exemple), pour rentrer dans des cases trop belles et en fait, superflues. On aurait pu s’en passer. Mais c’est une goutte d’eau en regard des qualités littéraires et narratives de la trilogie.

En cette période de crise sanitaire, « Lou après tout » a des accents de plus en plus probables, et s’affirme définitivement comme une lecture nécessaire tant pour prévenir contre les malheurs à venir, catastrophe ou pas, que pour insuffler l’espoir qu’un autre monde, plus respectueux, est possible. Mais qu’il ne sera pas gratuit, loin de là.

En trois volumes de plus en plus imposants, Jérôme Leroy s’est magnifiquement emparé des hantises de l’effondrement et de la déferlante zombie, réinsufflant de la beauté dans le monde au travers du quotidien de Lou, véritable pont entre deux époques, grâce aux idéaux de son père adoptif épris de poésie et les valeurs profondément humanistes de la Douceur.
L’auteur ne nous aura épargné aucun drame, aucune zone d’ombre, aucune injustice, et pourtant, ce sont les petits bouts de bonheurs qui surnagent, preuve de la combativité et de la résilience de son héroïne. Comme elle l’Humanité a soif de vivre, et si on en aura vu beaucoup renoncer, ceux qui ont résisté, qui se sont accrochés, malgré les souffrances et les pertes irréparables, ont été récompensés par la preuve d’un monde meilleur, et d’une nouvelle génération épargnée par tout cela.

C’est dur, c’est âpre, mais que c’est beau.


Titre : La Bataille de la Douceur
Série : Lou après tout, tome 3/3
Auteur : Jérôme Leroy
Couverture : photomontage de Nicolas Vesin
Éditeur : Syros
Collection : Hors-série
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 550
Format (en cm) : 23 x 16 x 3,5
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782748526462
Prix : 17,95 €


Lou après tout
1 - Le Grand Effondrement
2 - La Communauté
3 - La Bataille de la Douceur


Nicolas Soffray
22 août 2020


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