« Le Prieuré de l’oranger » est le quatrième roman de Samantha Shannon, connue outre-Manche pour sa série « Bone Season » qui est traduite en une vingtaine de langues. Édité par la petite maison d’édition De Saxus, ce one-shot a eu droit à une forte campagne de publicité sur les réseaux sociaux à sa sortie, et à un relais de bonnes critiques par la blogosphère amatrice de fantasy. D’ailleurs, le livre a été nominé pour le Prix Imaginales 2020, dans la catégorie Jeunesse. Pour ma part, je n’y ai pas du tout trouvé mon bonheur. Mais tout n’est pas à jeter !
« Le Prieuré de l’oranger » est un récit de high fantasy classique. L’histoire se déroule un millénaire après la grande bataille contre le Sans-Nom, un wyrm incarnant le Mal à l’état pur. Son réveil dans les Abysses est proche mais le monde est divisé : l’Ouest qui hait les wyrms et les dragons, où la magie est interdite, et où l’on prône la religion de la Vertu incarnée par la reine Sabran, descendante du héros qui a vaincu le Mal ; l’Est qui considère les dragons comme des dieux ; et le Sud qui voue un culte païen à la Mère. Pour leur salut, les royaumes vont devoir s’allier face à la menace. Les artefacts magiques sont aussi de la partie ! Ainsi, au fil des pages, on assiste à de nombreuses péripéties, voyages, et quelques complots, afin de les récupérer.
L’univers et la narration rendent la lecture plaisante, la plume de l’autrice se lit bien. Les chapitres, plutôt courts façon page-turner, alternent d’un coin du monde à l’autre : on suit Ead, espionne païenne, et Loth, aristocrate, à l’Ouest ; Tané, dragonnière en herbe, et Niclays, alchimiste exilé, à l’Est. Cet aller-retour apporte du dynamisme et un peu de suspens au récit. Ainsi, on découvre petit à petit un univers riche avec sa propre mythologie. Samantha Shannon s’appuie d’ailleurs sur divers mythes pour différencier les royaumes : l’Ouest est d’inspiration médiéval fantasy classique ; l’Est d’inspiration asiatique ; et le Sud d’inspiration orientale. Et pour naviguer entre ces différentes parties du monde, on trouve des corsaires et des pirates chasseurs de dragons. Même une sorcière sera là pour semer le trouble. Mais l’autrice utilise des codes de la high fantasy et des ficelles que l’on a déjà lus maintes fois. Rien d’original donc…
Pire encore derrière cette trame usée, souvent ce sont les personnages qui rendent le récit creux. Je ne me suis attachée à aucun d’entre eux : ils m’ont semblé trop archétypaux et mal construits. Malgré les péripéties auxquelles ils font face, ils n’évoluent pas : ils sont souvent naïfs et sans défauts, ce qui les rend fades. Leur manque de personnalité font qu’ils enchaînent des actions prévisibles en ayant des réactions loin de ce que leurs expériences et leurs âges pourraient suggérer. Ils agissent souvent comme des adolescents ou ont des revirements pour simplifier l’enchaînement de l’histoire, nuisant à sa crédibilité.
En fait, le seul point fort de ce récit est la place prédominante des personnages féminins : les femmes sont fortes, combattantes, haut placées ; luttent pour leurs idéaux, ne baissent pas les bras, ne laissent pas un homme faire les choses à leurs places. Bref, elles sont là ! Il a aussi été apprécié l’approche naturelle des relations LGBT dans le récit. Mais ces deux arguments ne suffisent pas pour moi à en faire un bon titre.
Ce livre est en fait assez frustrant : l’univers est prometteur, avec même une critique de la religion mais qui n’aboutit pas à une véritable réflexion. Les wyrms ennemis et les dragons alliés qu’on nous vend sur le visuel et le synopsis ont un rôle mineur dans le récit. Pareil pour la magie qui n’a rien de percutant. Les complots à la cour de Sabran sont gentils comparé à ceux de G.R.R. Martin cité sur la couverture. L’aboutissement du récit est plié dans une bataille qui ne marquera pas les annales. Tout m’a paru plat, très loin des attentes suscités par les critiques élogieuses qui ont inondé le web.
L’univers diversifié et les personnages féminins forts, aux relations LGBT naturelles, demeurent les seuls points forts du roman. Mais pour un public jeunesse, à la rigueur young adult. C’est peut-être le choix du lectorat qui fait du Prieuré de l’oranger un récit cousu de fil blanc.
En définitive, une lecture appréciable, distrayante mais parfaitement oubliable.
Titre : Le Prieuré de l’oranger (The priory of the orange tree, 2019)
Autrice : Samantha Shannon
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Benjamin Kuntzer et Jean-Baptiste Bernet
Couverture : Ivan Belikov
Éditeur : De Saxus
Pages : 987
Format (en cm) : 24 x 15
Dépôt légal : octobre 2019
ISBN : 9782378760373
Prix : 24,90 €