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Livre de M (Le)
Peng Shepherd
Albin Michel Imaginaire, roman traduit de l’anglais (États-Unis), post-apocalyptique, 590 pages, juin 2020, 24,90€

En Inde, un homme perd son ombre. Ce n’est que le premier d’une longue série, aucun pays n’est épargné par le phénomène qui se révèle vite dangereux, car il s’accompagne d’une perte des souvenirs, allant de pair avec la révélation de pouvoirs inconnus.
Devant le danger, Max et son mari Ory se cachent dans un hôtel éloigné de la civilisation qui s’effondre face à l’ampleur de la catastrophe. Le jour où Max perd son ombre, leur petit monde chancelle aussi et ils partent affronter une société qui n’a plus rien à voir avec celle qu’ils ont connue auparavant.



À regarder ce livre, la filiation avec la collection Albin Michel Imaginaire n’est pas évidente : format plus grand et charte graphique absente. Pourtant il en fait bien partie et ce n’est rien moins que le premier roman de la collection à paraître post-confinement.
« Le livre de M » découle d’un étonnant postulat : la perte de son ombre et, comme si cela ne suffisait pas, elle s’accompagne de la perte de souvenirs et d’autres joyeusetés. Les scientifiques ne parviennent pas à expliquer ce phénomène ne touchant pas tout le monde (pas étonnant !) et qu’il faut clairement accepter pour profiter du récit. Saugrenue, ridicule, irréaliste... plusieurs qualificatifs viennent à l’esprit à son évocation, mais cette idée a le grand mérite d’enrichir considérablement les potentialités du déroulement. Plus rien ne semble impossible, car perdre sa mémoire entraîne des pouvoirs accrus.

Peng Shepherd nous propose un étonnant roman post-apocalyptique de par l’origine discutable de la catastrophe mais si riche en développements. Il faut un temps d’adaptation pour accepter ce qui est impossible, sauf dans des conditions précises, mais après le lecteur se prend au jeu et la curiosité grandit pour savoir où l’auteure veut aller. J’avoue avoir eu peur un moment qu’il s’agisse d’un départ pour nulle part, mais il n’en est heureusement rien. Le début est lent, fataliste par l’ampleur du phénomène, mais une fois toutes les pièces en place, l’ensemble est bien plus rythmé et prenant.

« Le livre de M », c’est avant tout un phénomène inédit et dévastateur, mais aussi une belle galerie de personnages principaux : Max et Ory, Naz, une Libanaise venue aux États-Unis en vue de participer aux Jeux Olympiques en tir à l’arc et celui qui porte de multiples noms et a perdu tous ses souvenirs juste avant le début du phénomène. Pour certains, l’auteure a choisi de décliner leur patronyme entier uniquement en tête de chapitre, il faut dire que Ory ou Zhang passe mieux qu’Orlando Zhang, tout comme Naz est plus court que Mahnaz Ahmadi. Par contre, quand Ory parle un temps d’Ahmadi, le lien n’est pas immédiat. Quant à Max, elle ne s’exprime que via son enregistreur, car elle partage ainsi ses souvenirs pour oublier moins vite et garder une trace de celle qu’elle était. Ce qui semble une bizarrerie au début s’avère un coup de génie, rien de moins. Le livre avance à travers ces différents protagonistes et le départ de Max sert de déclencheur : Ory part à sa recherche, chacun rencontre des êtres avec ou sans ombres, découvre ce qu’est devenue la société.
Partout règne le chaos et La Nouvelle Orléans apparaît comme le seul havre de paix, du moins la possibilité d’un nouveau départ.

Ce roman est vraiment riche en péripéties dues aux contextes locaux, aux rencontres, à la folie née du phénomène. Peng Shepherd évoque aussi la mythologie indienne, mais surtout le cas de Gajarajan, un éléphant célèbre. Autant de choses qui donnent du cachet au roman et poussent le lecteur à oublier cette étonnante perte d’ombres et ses conséquences. Soyons clair, elle aurait choisi une catastrophe plus standard, plus terre à terre, elle n’aurait pas pu ainsi pimenter le récit, apporter tant d’originalité.
La fin s’avère tout simplement géniale, elle apporte une bouffée d’espoir tout en demie teinte, donnant tout son sens au titre du livre.

Pour son premier roman, Peng Shepherd a oublié toute prudence, toute retenue pour mener son idée de départ jusqu’au bout. Il faut l’accepter pour profiter d’un récit subtil par bien des côtés, enlevé et surprenant, car son choix offre de multiples développements. Des personnages forts, une société en délitement où rien ne semble impossible, une histoire d’amour plus forte que tout entre Max et Ory, une quête désespérée en un possible avenir, des allures de road movie, des rebondissements inattendus, de l’action, de la réflexion... rien ne nous est épargné. Du grand art !
Une fois achevé, « Le livre de M » ne vous quitte pas pour autant, il continue à vous hanter. La vue de votre ombre vous le rappellera non sans frissons, car si l’impossible arrivait, que deviendriez-vous ?
Un roman remarquable, un nom à retenir.


Titre : Le livre de M (The Book of M, 2018)
Auteur : Peng Shepherd
Illustration de couverture : Design © Leo Nickolls © Photo12/Almay/All Canada Photos/Chris Harris
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Anne-Sylvie Homassel
Éditeur : Albin Michel
Collection : Albin Michel Imaginaire
Directeur de collection : Gilles Dumay
Sites Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 590
Format (en cm) : 14,9 x 22
Dépôt légal : juin 2020
ISBN : 9782226442932
Prix : 24,90 €


Autres livres de la collection sur la Yozone :
- « Mage de bataille, tome 1 » de Peter A. Flannery
- « American Elsewhere » de Robert Jackson Bennett
- « Les étoiles sont légion » de Kameron Hurley
- « La cité de l’orque » de Sam J. Miller
- « Terminus » de Tom Sweterlitsch
- « Le chant mortel du soleil » de Franck Ferric
- « Une cosmologie de monstres » de Shaun Hamill
- « La fleur de Dieu », tome 1, tome 2 et tome 3 de Jean-Michel Ré
- « Rivages » et « La fin des étiages » de Gauthier Guillemin
- « Un océan de rouille » de Robert C. Cargill
- « Le magicien quantique »

- Un entretien avec Gilles Dumay

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
25 juin 2020


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