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Skye et le Vieux Solitaire
Régine Joséphine
Gulf Stream, Etincelles, roman (France), steampunk, 173 pages, février 2020, 12,50€

L’Archipel des Confins borde la mer de brume, sur laquelle s’élancent les ballonefs, navires volants parant à la chasse aux éclairs. Skye se rêve chasseuse de foudre, comme son père. Mais son accident récent l’a laissé passablement désorienté, et ce n’est pas le bon moment pour Skye de lui en parler. Mais à l’école, la nouvelle maîtresse, la jolie Sirène Brown, met les pieds dans le plat en demandant un devoir sur le métier qu’on souhaiterait faire. Cela ne va pas réconcilier Skye la rebelle avec l’école !
Lors d’une crise, le père de Skye prophétise une tempête dévastatrice, se mettant à dos tous les marins du port. Hélas, la tempête a bien lieu, déracinant le Vieux Solitaire, un arbre immense qui repoussait la brume et rendait l’atmosphère respirable dans les Confins. Est-ce la fin ? Devront-ils retourner vivre dans les terres, ou y a-t-il un espoir ?



La collection Etincelles de Gulf Stream est pleine de pépites et fait le bonheur des pré-ados (mais pas que). Après l’excellent « Panique à Gémelia », « Skye et le Vieux Solitaire » est un plaisir complet. Ecrit dans le cadre du Feuilleton des Incorruptibles, il a fait l’objet d’un va-et-vient entre autrice et classes de lecteurs au fil des chapitres. Cette collaboration a abouti à un ouvrage très équilibré et pleinement satisfaisant !

L’humour est très présent, avec un récit à la première personne et une héroïne qui n’a pas la langue dans sa poche, mais laisse la place au frisson lorsqu’il s’agit d’aller braver la tempête. On passe d’une émotion à l’autre au rythme de Skye, vraie pile électrique dans un univers propice aux rêves d’aventures.

L’intrigue et ses rebondissements sont classiques, mais l’unité de temps est très serrée, dynamisant la narration. Les premiers chapitres sont riches d’informations sur l’Archipel et son mode de vie, l’autrice y déploie des concepts très originaux (les ballonefs chasseurs d’éclairs, la brume source de vie et dangereuse à la fois) qu’elle enrichit d’un vocabulaire coloré mais immédiatement compréhensible pour la faune et la flore, comme les papilunes, les tigorets (pour faire du saucisson), le limargot baveux... Les patronymes des uns et des autres sont liés à la mer (Sirène, Sardine...) ou au monde des marins. Skye s’appelle Waterfog, rien d’opaque à des notions d’anglais.
L’autrice forge vraiment un monde original, facile à appréhender pour les jeunes lecteurs, et lie très bien les univers de la mer et les éléments du steampunk. En toile de fond, l’écologie est très présente, avec une brume qui fait vivre la population mais l’asphyxie également, semblable en cela à la pollution, contre laquelle on lutte avec un arbre gigantesque mais aussi des éoliennes-ventilateurs, doublement efficaces (mais hélas pas en nombre suffisant pour se passer de la nature).

Régine Joséphine accorde bien son histoire assez sombre (la fin potentielle du monde) à sa narratrice de 10 ans, un rien rebelle, casse-cou et insolente. Skye, admirative de son père, a hâte d’être adulte et de partir à l’aventure, et les déboires récents ne la tempèrent pas. Comme tout enfant, elle prend fait et cause pour son père, malgré ses crises qui l’épuisent peu à peu, et la culpabilité qui la ronge de devoir le droguer pour ne pas craindre un incident en son absence. Elle n’accepte pas que la mère d’Eden, son meilleur ami, ne fasse pas confiance à son père, alors qu’elle est l’autre adulte sur laquelle Skye croyait pouvoir d’appuyer.
Heure par heure, Skye et le jeune lecteur découvre la complexité du monde des adultes et la souplesse des amitiés, incomparable avec celle, franche et sincère, des enfants, comme celle qui la lie à Eden, son antithèse. Le duo fonctionne bien, Eden le pondéré sert de conscience à Skye, et son asthme ramène la jeune fille aux réalités de leur univers. Cette faiblesse respiratoire symbolise bien le danger latent qui plane sur les Confins, et toute l’impétuosité de Skye ne peut suffire à la guérir.

C’est aussi une histoire pleine d’amour. Skye en pince pour Sardine, un mousse un peu plus âgé qui a servi avec son père, et qui vient prendre de leurs nouvelles. Mais elle prend bien mal les familiarités que se permet la nouvelle institutrice, « la Sirène » comme elle l’appelle, avec son père, veuf depuis longtemps. On sent qu’elle n’est pas prête à accepter qu’on remplace sa mère disparue. Même si les événements présents sont autrement plus urgents, le flirt entre son père et Sirène ne lui échappe pas et la hérisse, avant que finalement, elle n’accepte la jeune femme dans leur vie.

Menée tambour battant, l’histoire atteint son point d’orgue lorsque père et fille, et quelques autres fidèles amis, affrontent la tempête pour chercher la graine du Vieux Solitaire, et peut-être ramener l’espoir dans les Confins. Les rebondissements sont ceux attendus (Skye endosse le rôle dont elle rêve, et découvre qu’il n’est pas si facile), et si tout finit bien, quelques menus effets secondaires rajoutent ici de l’humour et là une pointe de tristesse : l’autrice ne propose pas de happy end magique, mais bien un simple espoir dans la brume, qu’il faudra consolider.

Une chouette histoire, drôle, passionnante, que le public-cible chez moi, garçon de 10 ans, aura dévoré d’une traite en une soirée. Y a-t-il meilleur argument ?


Titre : Skye et le Vieux Solitaire
Autrice : Régine Joséphine
Couverture et illustrations : Tiphaine Rautureau
Éditeur : Gulf Stream
Collection : Etincelles
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 173
Format (en cm) : 22 x 14 x 1
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782345887704
Prix : 12,50 €



Nicolas Soffray
22 juin 2020


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