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Dieu Oiseau (Le)
Aurélie Wellenstein
Pocket, Fantasy, roman (France), 343 pages, février 2020, 7,95€

Faolan est l’esclave de Torok, son souffre-douleur, depuis 10 ans, depuis que sa famille a été massacré par celle de son maître. Les deux jeunes adultes se préparent pour la compétition rituelle qui a lieu tous les dix ans : les champions de chacun des dix clans de l’ïle devront aller sur l’île du Dieu Oiseau, rapporter l’Oeuf d’Or qui éloignera pour une nouvelle décennie les Temps Difficiles. Le clan du champion règnera alors sur les autres. Écrasera les autres. Pire, le soir du retour de son champion, aura lieu le banquet, massacre rituel d’une famille adverse, voire d’un clan entier, une orgie de sang et de cannibalisme.
Faolan veut mettre fin à la domination du clan du Bras de Fer. Il veut venger sa famille. Il veut battre Torok sur son terrain, lui faire payer les humiliations, les mauvais traitements. Mais a-t-il seulement une chance face au favori ? Une semaine avant les sélections, Torok durcit son manège pervers, poussant son esclave à la faute, à la trahison passible de mort, à la blessure qui l’empêcherait de se présenter. Dents serrées, Faolan endure, et va aller jusqu’au bout, quitte à bousculer les coutumes.



Dans « Le Roi des Fauves », « Les Loups Chantants » ou « Mers Mortes », les romans d’Aurélie Wellenstein tissent un lieu étroit entre homme et animal. C’est ici plus ténu, limité à l’affinité de Faolan avec les bêtes, notamment les chiens de meute ou rapaces de Torok dont il doit s’occuper.

Au cœur du « Dieu Oiseau », il y a l’oppression, à tous les niveaux : social, culturel, jusqu’au plus intime, dans ce lien pervers entre son bourreau et sa victime. Dès les premières pages, l’autrice plante parfaitement cette relation inégale : le jeune prince de clan, puissant et cruel, méchant parce qu’il en a le pouvoir, et son esclave, qu’il a sauvé de l’immolation familiale non pas par charité, mais par caprice, et sur lequel il passe toutes ses colères et ses cruautés. L’imminence des sélections le rend encore plus créatif, tournant une faveur en piège mortel. Faolan veut s’entraîner à la course ? qu’il rentre au camp à pied ! et s’il arrive après la nuit, il sera considéré comme en fuite, et on lui lâchera les chiens. Autre tourment, Torok va l’exhiber dans son ancien clan, pour montrer quelle loque obéissante le fils de leur ancien chef est devenu. On a une pensée très forte pour Theon Greyjoy dans « Games of Thrones », passé à la moulinette de Ramsay. Torok joue le chaud et le froid : même son cadeau, un tatouage de guerrier, est empoisonné, puisqu’il grave dans la chair de son esclave la marque indélébile de son maître...
Faolan a une technique pour supporter les tourments physiques comme psychologiques, il s’enfonce au plus profond de lui-même, le temps que la douleur passe. Elle le sauvera, souvent, mais trouvera tôt ou tard ses limites. Sa détermination à faire payer Torok est un carburant puissant, qui l’aidera à surmonter les épreuves, à se surpasser.

Les éliminatoires se passent étrangement bien, malgré ses craintes, mais Torok est aussi qualifié, sans surprise, et lui prépare un ultime tour.
Si Aurélie Wellenstein reste assez mystérieuse sur l’ambiance sombre qui baigne son île aux dix clans, les rites et cérémonies qui s’annoncent, et quelques éléments forts comme les parures animales des guerriers, montrent clairement une influence des histoires aztèques : pyramides, jeux, sacrifices sanglants pour plaire aux dieux.
Néanmoins, et c’est peut-être très personnel, j’ai davantage perçu l’île comme un monde triste, pluvieux et moribond que comme la baie ensoleillée de Mexico. Les bois, les criques de pêcheurs crevant la faim, les falaises dessinent un tout autre décor, gris, froid. Je dirais bien « breton hivernal », mais je ne veux pas d’ennuis.

La violence qui se déchaine, montrée et ressentie au plus près, dans la chair du héros, est parfois à la limite du soutenable, seulement « normalisée » par cet aspect rituel. On pourrait presque parler de plaisir pervers à lire toutes ces souffrances endurées, et cela questionne notre propre appétence pour la violence exercée sur les autres, notre propre soif de sang, du spectacle de la souffrance d’autrui. Valons-nous mieux qu’eux ?

Torok élu champion, Faolan est censé être sacrifié. Comme on n’en est qu’au tiers du roman, je ne vous cache pas -et vous vous en doutez- que cela ne se passe pas comme prévu : Faolan prend la place de son bourreau, renversant le rapport de forces entre eux, dans un ultime éclat de violence, toutes digues rompues. Petit chamboulement du côté des prêtres, devant de cas sans précédent, mais voilà Faolan officiellement intronisé champion du clan qui l’a rendu esclave et orphelin. Il est haï de tous, des fidèles de Torok comme de leurs alliés, et aussi de son ancien clan, et il faut la protection des prêtres pour garantir ses droits. Il s’avère aussi le plus mal préparé des candidats face aux épreuves physiques qui les attendent.

Si, comme toute compétition de ce genre où il ne peut en rester qu’un, on ne peut s’empêcher de penser à tous les précédents, d’« Highlander » à « Battle royale » en passant par « Hunger Games », Aurélie Wellenstein s’en démarque sans mal en concentrant son propos ailleurs : Faolan a des visions de Torok, son ancien tortionnaire venant le conseiller de son ton goguenard et son ironie mordante. Faolan s’interroge sur ces visions. Devient-il fou ? est-ce la conséquence du rituel, et les autres champions voit-il leur sacrifice leur apparaître ? Le vrai problème est que même mort, Torok le torture encore. Tandis que le jeune homme, épuisé, blessé, fiévreux lutte, pour tenter, maigre espoir, de mener sa quête à bien, d’y survivre, le lien malsain avec son bourreau ne s’est pas dissous.

L’ïle des dieux, terrain de ces jeux, lieu tabou, recèle des traces d’une civilisation disparue. Faolan recolle lentement les morceaux entre les ruines et les mythes des clans, pour lentement faire émerger la manigance politique et religieuse qui sous-tend ce massacre décennal, et mettre en lumière tout leur arbitraire, en plus de leur évidente cruauté. L’autrice rend très bien cette révélation, ce dessillage culturel loin d’être évident. Si Faolan dit tout du long qu’en cas de victoire, il renoncera au banquet, et mettra fin à ce cycle sans fin de massacre/vengeance, c’est autre chose de réaliser que tous ses fondements culturels et religieux, cosmogoniques sont inventés de toutes pièces.

S’il était jusqu’alors toujours lié à Torok, Faolan goûte ensuite à une solitude de paria, même élu champion. Sur l’île des dieux, il va s’allier aux deux filles, Aracela la championne de son ancien clan, et Izel qui se faisait passer pour un garçon. Ces deux femmes ont de solides motivations pour l’emporter également, vengeance mais surtout affirmation de leur place dans un monde très masculin. La première le déteste, pour ce qu’il est, ce qu’il est devenu, pour l’avoir privée de tuer Torok elle-même. Izel, plus jeune et plus tendre, envisage une victoire partagée. La femme-enfant essaie même de se rapprocher de lui, mais Faolan est encore trop traumatisé pour supporter le contact, et l’autrice nous fait clairement comprendre, à mots couverts, que sa sexualité s’est limitée à subir les viols de Torok. Comme s’il manquait quelque chose pour nous le montrer totalement brisé.

Jusque dans les dernières pages, l’autrice maintient un flou entre la réalité et la perception que nous en donne un Faolan fiévreux et épuisé. La fin de la compétition est d’une violence et d’une cruauté à la mesure de ce qui aura précédé, et la conclusion du roman d’un grand pessimisme : elle montre l’humain à nu, dépouillé de ses espoirs, de ses valeurs, privé de passions qui en brûlant lui ont donné la force de se dépasser. Seul un nouveau départ est envisageable. Mais si c’est possible pour un homme, l’est-ce pour une société entière, droguée un demi-millénaire durant au sang et à la violence ?

Les romans d’Aurélie Wellenstein laissent rarement indifférent. Celui-ci décrit une violence physique mais aussi psychologique très forte, au sein d’une société très structurée comme entre deux hommes. Si le destin de Faolan laisse croire que la détermination, la rage, la colère (... le côté obscur) peuvent suffire à donner la force de renverser les choses, comme dans la saga de George Lucas on voit qu’elles poussent même les plus vertueux, les mieux intentionnés, à commettre les actes qu’ils combattent et réprouvent. Le seul changement est intime et personnel, c’est une révélation cathartique, très violente, qui permettra de faire table rase de tout cela, pour peu qu’on puisse, comme Faolan, repartir de zéro loin de ce monde.

« Le Dieu Oiseau » vous laisse rincé, épuisé, comme son héros, et peu amène face au monde qui l’a poussé au-delà de ses derniers retranchements. Sous des atours d’une civilisation superstitieuse et barbare, on pourra y voir un miroir de la violence de nos sociétés, qui poussent à écraser autrui, à dominer, ou à l’être sans pitié.

Grand format Scrineo ou poche Pocket, vous aurez droit à la très évocatrice couverture d’Aurélien Police, qui donne parfaitement le ton.


Titre : Le Dieu Oiseau
Autrice : Aurélie Wellenstein
Couverture : Aurélien Police
- Grand format
Éditeur : Scrineo
Collection : Jeunes adultes / Imaginaire
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 336
Format (en cm) : 21 x 13 x 3
Dépôt légal : mars 2018
ISBN : 9782367405827
Prix : 16,90 €
- Poche
Éditeur : Pocket
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 7284
Pages : 343
Format (en cm) : 18 x 11 x 1,3
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782266297684
Prix : 7,95€



Nicolas Soffray
15 juin 2020


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