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Le cyberespace de l'imaginaire




Toxoplasma
Sabrina Calvo
Gallimard, Folio SF, n° 650, roman (France, 2017), thriller proto-cyberpunk, 384 pages, février 2020, 8,50€

Sur l’île de Montréal, la Commune s’est organisée, retranchée derrière des barricades contre les troupes fédérales. Depuis le soulèvement, Internet n’est plus, mais il existe la Grille, le réseau des autorités, à laquelle les Coureurs parviennent à accéder.
Dans cette ville en délitement, Nikki Chanson travaille dans un vidéoclub dépassé, tout en exerçant ses talents de détective pour chats perdus. Une affaire d’animaux sacrifiés l’entraîne sur une mauvaise pente et l’éloigne de son amie Kim, une coureuse reconnue et respectée. Nikki rêve de forêts, d’une personne à tête de ruche, d’un drôle de chien... autant d’éléments qui orientent sa vie fragile.



« Toxoplasma » ressemble à un feu d’artifice permanent, tant ce roman déborde d’inventivité. Qualifié de thriller proto-cyberpunk, il ne déroge pas à cette appellation large et restreinte à la fois. Sabrina Calvo lâche la bride à son imagination, sans crainte de perdre les lecteurs en cours de route.

Il est difficile de dater l’action, car d’un côté la commune semble engluée dans les années 80 et de l’autre, la société actuelle s’est effondrée, ce qui la place dans un futur assez proche. Le récit navigue ainsi entre deux eaux : le charme vintage des années 80 avec la VHS, les BMX et de l’autre, un avenir peu réjouissant.
Nikki Chanson est une spécialiste des nanars d’horreur qu’elle promeut dans un vidéoclub. Son employeur la laisse faire ce qu’elle veut -d’ailleurs il ne la paye pas- , elle vient elle vient pas, c’est du pareil au même. Elle fait selon son instinct, s’occupant avant tout des sacrifices d’animaux, et met le nez là où il ne faut pas. Sa relation avec Kim, une Coureuse, en souffre et c’est la séparation.
Avec cette dernière, le lecteur plonge dans la trame cyberpunk du livre. En compagnie de Mei et d’un homme, elle s’attaque à une grande société. Les trois surfent sur la Grille avec du matériel bricolé qui ne fait en rien futuriste d’où le doute permanent sur la période. Régulièrement des éclaircissements sur tel ou tel point obscurs permettent de mieux cerner l’ensemble, même s’il faut tout prendre d’une manière critique. Mei voit dans cette Grille un réseau tissé par les chats, ce qui apparait farfelu, mais est tout à fait dans l’esprit du personnage.

Sabrina Calvo tisse une atmosphère oppressante et particulièrement prenante. L’action se déroule à Montréal, donc au Québec et le parler est parfaitement dans le ton. Par exemple, lire « Je vais lui décalisser sa crisse de face » installe l’ambiance. L’auteure s’est emparée du passé plus ou moins récent de la ville, de sa culture avec une marionnette qui s’invite dans le récit. Nikki se trouve des talents cachés et nous offre avec Finn, la marionnette-chien d’un ancien spectacle pour enfants, des moments d’anthologie. Nikki la fait parler, mais Finn semble avoir une vie propre, savoir des choses qu’elle ignore. Voix de son inconscient, existence propre... ? Du grand art, tout simplement.

Si le style de l’auteure surprend au début, après un temps d’accoutumance, il devient vite addictif. Il est percutant et cette omniprésence québécoise des expressions le rend encore plus incisif, rajoutant une touche d’exotisme. Parfaitement intégré au récit, il permet de retranscrire une masse florissante d’idées, une avalanche de données et d’événements, dont il n’est pas aisé de faire le tri. On peut se demander si on a tout compris -j’en doute !-, mais cela ne nuit en rien au roman qui dispose d’une voix originale et d’une étrangeté bienvenue.

Sabrina Calvo fait feu de tout bois, elle mélange les genres, les époques, les technologies, semant ainsi un flou temporel et un peu irréel autour de « Toxoplasma », un véritable feu d’artifice. Il est beau de voir ainsi quelqu’un lâcher son imagination, sans jamais perdre la maîtrise du récit. Elle se fait plaisir et c’est communicatif. Très visuel, ce roman embarque le lecteur dans un futur proche où la civilisation s’effondre, où la liberté se perd. Les personnages principaux, tous féminins, font montre de force et de vaillance, sans compter une bonne dose de folie, ce qu’il fallait pour rédiger un tel roman en marge.
Justement couronné en 2018 du Grand Prix de l’Imaginaire et du Prix Rosny Aîné, « Toxoplasma » n’est un un roman sage, mais brillant et audacieux.
Alors soyez curieux, franchissez le pas et embarquez dans l’imaginaire de Sabrina Calvo.


Titre : Toxoplasma
Auteur : Sabrina Calvo
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Gallimard (1ère édition française : éditions la Volte, 2017)
Collection : Folio SF
Site Internet : page roman
Numéro : 650
Pages : 384
Format (en cm) : 10,8 x 17,9
Dépôt légal : février 2020
ISBN : 9782072836695
Prix : 8,50 €


Sabrina Calvo sur la Yozone :

- « Délius, une chanson d’été »
- « Bifrost 97 » spécial Sabrina Calvo

Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
25 mai 2020


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