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Thair, tome 1 : Renaissance
Jean-Luc Marcastel
Leha, roman (France), fantasy / post-apo, 380 pages, janvier 2020, 19€

Thair, 1500 ans après un cataclysme, l’Anthir, et presque autant de vie sous terre, le Nocturnage. En Avarnia, la forteresse d’Orguenoire est attaquée par les mêmes créatures biomécaniques et poisseuses que dans les légendes d’autrefois, et la jeune Faïria, castalaïna en devenir, se voit confiée la tâche d’aller au plus profond du castel réveiller l’arme qui en viendra à bout, tandis que les méca-armures retardent les monstres.
Bien loin de là, Yaïn, un jeune pêcheur au harpon vit un amour secret avec une créature marine. Mais de retour de pêche, il découvre qu’une amante éconduite a vendu sa sirène à des marchands de la capitale. Affolé, il part à leur poursuite, aidé par un ancien officier, relégué comme poster dans ces confins sauvages.



J’apprécie beaucoup les romans de Jean-Luc Marcastel. Sans l’avoir lu in extenso, depuis « Frankia », transposition en dark fantasy biomécanique de la seconde Guerre Mondiale, à « Praërie », grande aventure au niveau des insectes, c’est scotchant, inventif, palpitant. Le travail de transposition, la réflexion sur l’évolution de la langues, des concepts sociaux, la dramaturgie littéraire nécessaire, j’ai vraiment eu plaisir à lire ses romans.
Mais hélas, dès les premières pages de « Thair » - dès le titre, même - cette inventivité devient mécanique, motif inlassablement répété.

La carte nous présente une France (voire une Auvergne) à la toponymie aisément identifiable. Au thoïl d’Orguenoire, la multiplication des trémas dans le moindre terme (Faïria, castalaïna, armiaïre, bestiaïre, capitolaïre, etc) génère cependant une fatigue de lecture de mauvais augure.

Sur le fond, les trames de Yaïn et Faïria ont la même construction : une course contre la montre.

Bien cadencée pour Faïria, avec compte à rebours réguliers tandis qu’elle s’enfonce dans les sous-sols du castel, traverse les abris plus ou moins usités, rejoint le secret saint des saints, les monstres biomécaniques aux trousses, guidée par son GPS. On pourra apprécier le mélange entre fantasy et SF, ce résultat régressif de post-apo, qui lui fait porter une combi intelligente sous sa robe de cuir et brandir des armes à énergie (dont un fouet mortel dont elle ne se servira étrangement pas, juste nous le montrer).
Tout en flash-backs, on découvre sa relation avec la castalaïna précédente, sa mère spirituelle qui se sacrifie, comme tout son peuple, pour lui laisser du temps, et cette éducation stricte qui devait faire d’elle une dirigeante à la fois ferme et douce, inaccessible et séductrice... et vierge. L’auteur capitalise sur des idéaux féminins d’un autre temps (littéraire), et n’en exploite que plus grossièrement le conflit intérieur de son héroïne lorsque l’IA lui annonce que l’arme ultime - un super-soldat - est mort dans son caisson de congélation, mais qu’elle peut lui implanter un clone dans le ventre qui sera viable en 3 heures. Et adulte en 3 de plus, solution miracle quasi instantanée. Avec en fond sonore permanent l’avancée implacable de la horde et le décompte des survivants, pas évident de faire une croix sur une éducation qui plaçait la virginité au sommet de tout. Ni pour l’auteur de prendre le temps de nous faire ressentir la tempête d’émotions qui fait rage en elle. Elle doit dire oui.
Les choses empirent ensuite. Le choc hormonal lui fait aimer autant qu’haïr, sans guère de nuances, cet être sorti d’elle à la seconde où son peuple est décimé. S’ensuivent d’étranges scènes malsaines, d’une autre époque, entre lien maternel et inceste, où elle donne le sein à un adulte (sachez que le lait maternel recharge aussi les batteries de pisto-laser biomécanique), et lui, clone d’un héros passé, retrouve dans cette grande adolescente les traits de son amour d’autrefois. Mais les émotions sont exacerbées, furtives, mêlées à la fuite qui continue, jusqu’à échapper à la horde et changer le castel en champi nucléaire pour bien vitrifier tout ça et de tirer un trait sur le passé.
Cet arc narratif se conclut sur un récap’ historique de Faïria à Jaan-le clone sur les 1500 ans qu’il a manqués, remâchant pour le lecteur ce qu’on avait déjà bien compris au fil de ces 150 pages, qu’on résumera à : elle court vers le bas, elle accouche d’un super-soldat qui bourrine tout, mais il n’y a plus personne à sauver. Dommage, pour une société qui a survécu 13 siècles sous terre, un poil de maintenance sur l’arme ultime, au cas où, n’aurait pas été du luxe. Revoyez « Le Cinquième Élément » de Luc Besson. A la place, on avait stocké du grain devant la porte, c’est ballot.
Tout cela relève d’un niveau de scénario hollywoodien, tout en urgence forcée, en stress, en rebondissements artificiels, en scènes d’exposition ultra-léchées à la sensualité exagérée face à une horreur tout aussi travaillée (ne revoyez pas « Annihilation » de Alex Garland - lisez le roman). La situation initiale relève d’une accumulations de négligences qui rendront la tâche impossible, physiquement et psychologiquement, à son héroïne, et demanderont un niveau d’acceptation tout aussi élevé au lecteur.

Paradoxalement, l’arc de Yaïn, qu’on suit en parallèle et qui n’a quasi aucun lien, m’a semblé merveilleusement écrit et immersif. Ici, aucune référence au passé, Nocturnage, on est dans le présent, la vie, la pêche, le commerce, loin des grandes villes. Classique de la fantasy, avec un héros qui ne se sait pas encore tel. Yaïn est un garçon sauvé du caniveau, harponneur talentueux couvé par son père adoptif. Et heureux, car amoureux. Mais c’est un amour compliqué, réprouvé, tabou qui l’unit à Naïde (là encore, à une lettre de naïade, c’est pas pire que la sirène qui s’appelle Sirena dans « Pirates des Caraïbes 4 »), mais Jean-Luc Marcastel prend son temps, en flash-backs, pour narrer leur rencontre, leurs incompréhensions, leur apprentissage de la communication.
Le soin qu’il accorde à la psyché de son personnage, qui interroge cette attraction contre-nature qu’il éprouve pour cette sirène, surpasse le classicisme très masculin avec lequel il traite leur relation, essentiellement charnelle, et fait presque oublier quelques détails fâcheux pourtant pivots de l’histoire (comme le fait qu’il part bosser en la laissant enfermée dans des ruines, loin de l’eau, à la merci de tous puisqu’elle est incapable de tenir sur ses jambes !). La rencontre avec Vicent, l’ancien grand officier rétrogradé postier des marais, fait également preuve d’une grande finesse, puisque son passé nous est distillé goutte à goutte et qu’à l’issue de ce volume, de nombreux détails nous échappent encore.
Leur traque dans le marais, le long du rail, et la rencontre avec une ombre sont la encore des très beaux moments de lecture, prenants, où l’ambiance post-apo est parfaitement employée, la tension bien amenée. Cela tient narrativement à l’ignorance des deux personnages de ce qu’ils vont affronter, et la connivence avec le lecteur fonctionne même sans la débauche des batailles de l’arc de Faïria. Le vocabulaire spécifique de la zone, moins agressif à l’oreille, plus rare et plus subtil, aide beaucoup. La rétro-technologie, avec véhicule au charbon et arquebuses, présente mais à petites touches, renforce l’immersion et l’originalité de la trame.
La gestion temporelle joue aussi : Yaïn ignore son retard réel sur les kidnappeurs, la météo, la fatigue jouent à brouiller encore ses repères. Peut-être est-elle déjà morte ? Au froid et implacable décompte d’Orguenoire, le mystère des marais s’étale sur des jours, répond par une ignorance bien plus angoissante, qui laisse largement sa place aux questionnements personnels et à l’humanité des protagonistes. Tout cela cadencé par suffisamment de rebondissements pour malmener les héros et garder le lecteur en haleine. Bref, ce qu’on attend d’un roman d’aventures.

Si on retrouve dans les deux arcs la patte de Jean-Luc Marcastel, et des qualités indéniables, avec un sens grandiloquent de la dramaturgie, l’artificialité de la partie consacrée à Faïria met trop souvent à mal le pacte littéraire avec le lecteur. Il donne l’impression de torturer avec perversité son héroïne, trainée plus bas que terre, dépossédée en quelques heures de sa mère, de son peuple, de son avenir, de sa féminité, sans pouvoir s’y opposer : un vrai jouet du Destin.
C’est légèrement compensé par le sort de Jaan, dont le clonage a un net goût de purgatoire rédempteur, mais son appellation d’« archange » par Faïria le place en nette position du mâle dominant ultra-archétypal, malgré quelques fêlures annoncées.
La conclusion, dans la base lunaire des Grands Méchants, laisse deviner les épreuves classiques sur sa route, comme son ancien amour, une mécanique qu’on trouvait déjà, si ma mémoire est bonne, dans « Frankia » (et dans x romans, films, etc. dont l’évidente réplique « je suis ton père... »).
Rien de neuf, et un cocktail post-apo/dark-cyber-fantasy/horreur qui peine à prendre, faute de fond auquel se raccrocher. Cette « Renaissance » qui titre le tome 1, c’est celle du Mal, car elle signe bien la fin, tambour battant, de tout ce que Faïria aura connu.

A l’inverse, en prenant davantage son temps, l’arc de Yaïn convainc, captive, enveloppe le lecteur petit à petit, en donnant lentement mais sûrement les clés du monde. S’il n’y a rien de foncièrement nouveau, l’auteur utilise avec talent les éléments de la tragédie, l’amour caché, la trahison, l’espoir, la peur, appaire ses personnages avec efficacité, les liant par un sens de l’honneur commun mais laissant entre eux nombre de zones d’ombres, à même de les rapprocher ou au contraire de les séparer, multipliant les sujets de tension pour eux comme pour le lecteur.

Vous pourrez juger mon avis bien dur. Sans nul doute les jeunes lecteurs du genre dévoreront-ils « Thair » avec satisfaction, comme j’ai moi-même il y a 20 ans pris grand plaisir à forger ma culture et mes goûts par de nécessaires étapes et l’assimilation de nombreux clichés narratifs. « Thair » a un petit goût de fin de XXe siècle, me rappelle l’interminable saga « Rohel » de Pierre Bordage.
Mais voilà : peut-on en 2020 publier une histoire-monde, certes avec passion et métier, en faisant abstraction de ses prédécesseurs, et du temps présent ? Peut-on se placer dans la filiation de « Dune » et ne proposer d’un système politique matriarcal que le viol, sacrificiel et inutile, de sa jeune reine, au prétexte qu’elle va le surmonter ?

Jean-Luc Marcastel, dès son introduction, se tire une balle dans le pied, échouant à réhabiliter une dramaturgie excessive, forcée, hollywoodienne, en l’accolant à une aventure parfaitement maîtrisée d’autant plus attractive qu’elle ménage justement ses effets.
Le mieux aura été l’ennemi du bien.

Deux histoires dans un même livre, deux ressentis complètement différents.


Titre : Renaissance
Série : Thair, une histoire du futur, tome 1
Auteur : Jean-Luc Marcastel
Couverture : Lionel Marty
Éditeur : Leha
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 380
Format (en cm) : 21 x 14,5 x 3,5
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9791097270421
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
15 mars 2020


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