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Homme qui aimait trop les livres (L’)
Allison Hoover Bartlett
Pocket, n°17720, traduit de l’anglais (États-Unis), essai, 259 pages, janvier 2020, 6,95€


« Cela fait des siècles que les bibliophiles et les escrocs s’affrontent au sein de ce petit monde, et cette histoire en est l’écho. »

Curieuse idée, pour une journaliste qui ne s’intéresse pas plus aux livres que le tout-venant de la profession, mais ne demande pas mieux que de se laisser fasciner, que de se lancer dans une enquête au sujet d’un voleur de livres rares. Et d’en faire à son tour un livre. À l’obsession du vol de cet individu répond la fascination d’Allison Hoover Bartlett pour le voleur, jeune homme fascinant et sans états d’âme qui durant des années aura dépouillé, à travers les Etats-Unis, des dizaines de libraires spécialisés dans les livres rares et anciens.

« Pour ouvrir le Kräuterbuch, vous devez le presser entre vos mains, afin de libérer les fermoirs de cuivre en forme de colonnes égyptiennes, évasées à l’extrémité en de magnifiques palmiers. Lorsqu’on les tourne, les pages émettent un craquement étouffé, qui n’est pas sans rappeler le bruit d’un drapeau par un après-midi venteux, et elles dégagent une odeur sèche et boisée, une combinaison de moût et de suavité qui me rappelle les livres de mes grands-parents. »

Il se nomme John Gilkey, il a la trentaine. Il vole des livres rares, se fait attraper, passe un peu de temps en prison, ressort, se remet à voler, repasse par la case prison. Encore et encore, comme si c’était la première fois, comme si cela devait finir par marcher. Il rêve de faire fortune – il parvient à accumuler des livres rares et coûteux sur les lieux joliment nommés de Treasure Island. Il rêve de créer un empire. Il rêve de devenir respectable, de finir, peut-être, lui aussi par écrire un livre, lui aussi d’ouvrir une boutique de livres rares et anciens. De quoi il rêve encore, il ne le sait pas exactement. Peut-être est-il simplement un peu fou.

Allison Hoover Bartlett ne ménage pas ses efforts pour en savoir plus. Lorsque Sanders, un libraire particulièrement obstiné et chargé de coordonner la sécurité d’une association de libraires spécialisés dispersés à travers le pays, parvient à faire mettre Gilkey sous les verrous, elle va le voir en prison. Lorsqu’il ressort, elle multiplie les entretiens avec lui, et même se laisse entraîner avec lui dans des librairies ou il a déjà accumulé les forfaits. Elle s’entretient avec les uns et les autres. Elle cherche à comprendre Gilkey.

Les limites de cet ouvrage tiennent aux limites de la personnalité du voleur, une personnalité à laquelle Allison Hoover Bartlett essaie de donner une véritable richesse sans vraiment y parvenir, et surtout sans jamais convaincre : enfant frustré en quête de richesse, individu fasciné par les connaisseurs et croyant en devenir un à son tour, voleur souhaitant être un gentleman et finissant par atteindre ce statut. Las, le personnage n’est ni riche d’esprit ni même inventif. Ses arnaques sont rodées mais sont aussi toujours peu ou prou les mêmes. Il ne s’intéresse guère aux livres, pas même à ceux qu’il dérobe, dont il n’aura lu en définitive que quelques-uns. Ses focalisations littéraires, avant tout axées sur le vol, sont désordonnées, superficielles, versatiles. Il cherche à justifier ses vols avec une puérilité consternante. Dans le registre de la psychopathologie, Gilkey n’est guère qu’un de ces monomaniaques sans grand intérêt et réfractaires à tout argument, un séducteur sans classe et de très peu d’envergure. Le personnage est triste, simple, sans véritable relief. En deux mots, guère intéressant, et, surtout, pathétique.

« Dans un salon comme celui-ci, il est évident que n’importe quel livre est sensuel. Je regardais des collectionneurs se régaler les yeux, les mains et les narines. Un Anglais a déposé sa tassa de café à bonne distance avant de humer profondément un exemplaire d’Alice au pays des merveilles et de sombrer dans le terrier du lapin blanc des illustrations féériques de John Tenniel. »

Plus intéressants sont l’acharnement de Sanders, les réactions des libraires, et surtout la découverte de ce petit monde où des livres, des cartes, des lettres manuscrites atteignent des prix fabuleux. En entraînant le lecteur à travers librairies et salons, en cherchant à comprendre pour quelles raisons certains deviennent des collectionneurs féroces, des amateurs inextinguibles, des connaisseurs d’exception, Allison Hoover Bartlett dresse un panorama incomplet, mais savoureux, d’un petit monde où abondent à la fois désintéressements et coups fourrés, petites arnaques et arnaques moins bénignes, et où naviguent des collectionneurs extrêmement spécialisés : par exemple, l’un collectionne les écrits de vagabonds et autres laissés pour compte, un autre la littérature lesbienne ancienne. Plus intéressants également sont les personnages historiques, amateurs, collectionneurs ou autres, qui apparaissent dans les marges. Jefferson, le collectionneur Wilmarth Sheldon Lewis, le comte italien Guglielmo Libri, qui, au dix-neuvième siècle, vola mais aussi préserva, le mémorable moine don Vincente qui assassina au moins neuf personne pour quelques livres au début du dix-neuvième siècle (et qui inspira Gustave Flaubert pour sa nouvelle « Bibliomanie  »), Qin Shin Huang, qui, en 213 avant J.C, ordonna de grands autodafés, ou encore John Milton qui, en 1644, écrivait : “Les livres ne sont pas des objets inertes, mais portent en eux autant de vie que l’âme qui les a fait naître, en effet ils conservent, comme dans une fiole, la puissance et l’essence de l’intellect qui leur a donné le jour.” C’est peut-être cela que cherche, sans le savoir, l’incorrigible voleur de livres John Gilkey.


Titre : Homme qui aimait trop les livres (L’) (The Man Who Loved Books Too Much, 2009)
Auteur : Allison Hoover Bartlett
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Cyril Gay
Couverture : Tanguy /Morin
Éditeur : Pocket (édition originale : Marchialy, 2018)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 17720
Pages : 259
Format (en cm) : 10,8 x 17,7
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782266298629
Prix : 6,95 €


Hilaire Alrune
1er mars 2020


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