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Journal de Claire Cassidy (Le)
Elly Gryffiths
Hugo et Cie, collection Hugo Thrillers, thriller, 444 pages, janvier 2020, 19,95€


Holland House, un collège britannique de province. Holland House pour R.M. Holland, une gloire locale depuis longtemps défunte, l’auteur d’une nouvelle célèbre, « L’inconnu », que l’une des enseignantes de littérature anglaise, Claire Cassidy, utilise souvent pour faire travailler ses élèves. En arrivant dans cette petite ville avec sa fille Georgie, elle a trouvé en cet auteur atypique un nouveau but : écrire un ouvrage sur le personnage et son œuvre, percer les mystères de ce qu’a pu être son existence. Qui a vraiment été son épouse, qu’il a subitement perdue, dont on pense qu’elle s’est suicidée sur les lieux même, et dont on dit qu’elle hante encore le collège ? Est-ce vraiment elle, celle dont Holland a tracé les pas sur l’escalier qui mène à son bureau, silhouette spectrale que certains jurent avoir vue et que d’autres finiront eux aussi par voir, dame blanche évoquant une œuvre célèbre de Wilkie Collins, autre auteur évoqué plusieurs fois au long de cet ouvrage ?

Wilkie Collins, mais aussi William Shakespeare, dont une citation célèbre – « L’Enfer est vide. Tous les démons sont ici » – apparaît comme un leitmotiv, comme un gimmick, tout au long du roman. Citation reprise par R.M. Holland lui-même dans « L’inconnu » ou dans « La Bête déchaînée », œuvre plus violente, plus cruelle et demeurée inédite, citation reprise par les uns et les autres à travers les cours, les pièces de théâtre, les conversations, citation affichée sur les tableaux, citation, enfin, retrouvée près du premier cadavre, celui d’Ella Elphrick, enseignante et proche amie de Claire Cassidy, lardée à son domicile de coups de couteau. Une citation qui ne contribue pas peu à l’ambiance, et qui, on le devine, augure d’autres crimes.

Ambiance trouble qui s’épaissit encore lorsque Claire Cassidy, qui, dans la plus grande tradition littéraire, tient depuis toujours un journal extrêmement détaillé et précis, y découvre un jour des mots qui ne sont pas de sa main – et qui de toute évidence ne sont pas sans rapport avec le crime. Voilà que Kaur, l’inspectrice en charge de l’enquête, et Neill, son binôme moins futé, s’intéressent de très près à elle. Les mettent sous protection, elle et sa fille adolescente, mais aussi la suspectent. Et se trouvent en fait confrontés à un indémêlable sac de nœuds, tant les suspects apparaissent nombreux. Entre les professeurs de Holland House et ceux d’autres collèges – car tous, quand ils se retrouvent dans des hôtels pour des sessions de travail, se livrent à des jeux de séduction et multiplient les aventures – et les élèves dont certains se trouvaient tout de même au mauvais endroit au mauvais moment ou s’intéressaient un peu trop à la victime, et avec les personnes extérieures à cet univers professionnel, y compris un séduisant professeur d’université qui s’intéresse de près à R. M. Holland et à Claire Cassidy, cela fait beaucoup de monde. Claire et Georgie, dans leur ancienne maison ouvrière si charmante, ne se sentent plus vraiment en sécurité, d’autant plus que l’ancienne usine désaffectée qui leur fait face semble elle aussi hantée par une étrange présence.

« D’une certaine manière, tout cela est une sorte de mariage épouvantable. Le cercueil remonte l’allée centrale, porté par des hommes en noir, et les gens suivent, comme des demoiselles ou des garçons d’honneur. »

Récit d’investigation, récit d’ambiance, ce « Journal de Claire Cassidy » fonctionne tout au long de ses quatre cents pages. Elly Griffiths, c’est évident, a du métier. On retrouve ici et là bien des astuces, bien des détails qui sont là « pour faire vrai », mais contrairement à d’autres auteurs qui en usent et en abusent, Griffiths les utilise à bon escient, et les intègre toujours soigneusement à son intrigue. Ainsi le chien Herbert dont Cassidy est un peu folle est-il utile au déroulement du récit, ainsi les messages que s’envoient Georgie et les autres adolescentes ou adolescents ne servent-ils jamais à « tirer à la ligne », comme on le voit de plus en plus souvent, ainsi le recours à des applications telles que « Monjournal.com », utilisé par les élèves, fait-il également avancer l’intrigue en apparaissant comme une variante du journal intime, avec plages publiques et plages privées, avec zones de réel et zones de fiction. Et surtout, Griffiths varie en permanence les points de vue : ainsi, par exemple, Georgie vue par sa mère comme l’adolescente typique apparaît-elle beaucoup moins stéréotypée et infiniment plus intéressante que lorsqu’on la découvre à travers sa propre narration, ainsi Claire Cassidy elle-même apparait-elle moins sympathique vue avec la perspicacité et le regard sociologique de l’inspectrice qu’à travers son propre journal. Toute la finesse du roman est de faire en sorte que les personnages en viennent à s’éclairer mutuellement, à chaque fois avec un angle légèrement différent, sans que jamais Griffiths ne se laisse aller à la facilité, sans qu’elle ne se laisse aller à forcer le trait ou à augmenter les contrastes.

« Elle nous a appris à créer un cercle protecteur autour de nous et à nous libérer des esprits pestilentiels. Elle nous a aussi offerts à chacun une pierre, une obsidienne noire, qui nous protège des esprits malins. C’est pour ça que je n’ai pas peur d’être toute seule à Halloween, à lire une histoire de fantômes. Au contraire, je veux m’ouvrir aux âmes qui errent ce soir et leur venir en aide dans la mesure du possible. »

« Whodunit » classique à arrière-fond littéraire, ce « Journal de Claire Cassidy » apparaît en permanence hanté par l’ombre des grands auteurs, par celle des récits fantastique ou cruels comme cette nouvelle (bien entendu apocryphe) de l’auteur local, « L’Inconnu », que l’on découvre par bribes et dont on ne saura le dénouement qu’après l’épilogue. Pointe de cruauté avec ce premier contact véritable avec la mort que sont pour les adolescents les crimes de Holland House, pointe de fantastiquesavec les apparitions de la dame blanche et aussi avec cette enseignante atypique, qu’est Bryony Hughues, elle aussi suspecte, qui, se plaisant à se définir elle-même comme une « sorcière blanche », exerce sur bon nombre d’élèves une influence excessive dont on a du mal à déterminer si elle est bienveillante ou trouble, dont la sagacité, la mémoire et la pertinence inquiètent, et qui pousse un petit groupe d’adolescentes, par ailleurs lectrices des romans d’épouvante de James Herbert, à se livrer à l’évocation des morts.

« Ce soir, nous avons évoqué un esprit. Ça paraît presque banal, dit comme ça. Comme une corvée de plus sur une liste de choses à accomplir. Faire les devoirs, sortir les poubelles, invoquer les esprits. Mais en vérité, je n’avais jamais rien vécu d’aussi extraordinaire. »

Les plus exigeants pourront émettre une légère réserve sur une fin qui, si elle est en plein cohérence avec l’intrigue et la logique du whodunit, semble dans un des ultimes chapitres assez peu vraisemblable sur le plan des péripéties et de leur chronologie. Elle apparaît comme une tentative de rejoindre une optique cinématographique et une tension paroxystique, exercice qui, en tout subjectivité, nous semble à la fois superflu et en rupture de ton avec l’ensemble. Mais ce n’est là qu’un défaut bénin pour un roman par ailleurs prenant, inventif, astucieux et sans fausse note, un roman qui par ses mystères et ses ambiances devrait, d’un bout à l’autre de ses quatre cents pages, captiver plus d’un lecteur.


Titre : Le Journal de Claire Cassidy (The Stranger Diaries, 2018)
Auteur : Elly Griffiths
Traduction de l’anglais (Royaume-Uni) : Elie Robert-Nicoud
Couverture : R. Pépin / Vizerskaya / Arcangel
Éditeur : [Hugo et Cie>http://www.hugoetcie.fr/]
Collection : Hugo Thrillers
Site Internet : page roman
Pages : 444
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : janvier 2020
ISBN : 9782755647068
Prix : 19,95 €

Les thrillers Hugo et Cie sur la Yozone :

- « Les Passagers » de John Marrs
- « Crow » de Roy Braverman
- « Les liens du sang » par Olivia Kiernan
- « Irrespirable » par Olivia Kiernan
- « Hunter » de Roy Braverman
- « Vérité » de Hervé Gagnon
- « La faim et la soif » de Mickaël Koudero
- « Âmes soeurs » de John Marrs
- « Le Tricycle rouge » de Vincent Hauuy


Hilaire Alrune
9 janvier 2020


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