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Underlife
Anne-Gaelle Balpe
Slalom, roman (France), science-fiction, octobre 2019, 234 pages, 11.90€

Alix est l’une des quatre sentinelles de Neuveterre, et du haut du rempart de bois, elle veille à protéger le village des envahisseurs des autres clans. Fille du chef, elle rêve de découvrir le monde, inexploré, plutôt que succéder à son père. Intrépide et aventureuse, elle brave régulièrement l’interdit et explore la forêt alentour.
Un soir de grande tension entre les villageois, Alix repère une ombre dehors. Elle la prend en chasse, suivie par Jean, son ami dont elle n’a pas deviné les véritables sentiments. Les choses dérapent et Alix meurt... pour se réveiller dans une mine où des gardes armés les forcent à extraire une roche rouge. Dex, un « robot », soigne son visage amoché et tente de lui expliquer les règles des lieux, surnommés « les enfers ».
Très vite Alix, qui n’a aucun souvenir de Neuveterre, organise son évasion. Remontant les tunnels, elle débouche dans une ville en ruines, désertique, où la population chine dans les décombres pour gagner sa pitance mais surtout l’accès à un divertissement sur écran : Underlife. Ils y observent la vie d’une petite communauté retranché derrière sa palissade, et peuvent voter pour provoquer certains événements...



Privée de ses souvenirs, Alix ne fait pas immédiatement l’affreux constat du lecteur : sa vie d’avant n’est qu’un divertissement ! Grâce à Frénétik, une jeune fille qui se présente comme une rebelle, elle retrouve une partie de ses souvenirs et apprend quelques vérités, comme le fait qu’elle n’est pas humaine. Underlife est une émission créée par Incubo Corp, une multinationale qui a progressivement asservi l’humanité après un grand cataclysme, et le programme achève de les endormir chaque soir.

Dans ce roman d’anticipation, Anne-Gaelle Balpe s’en prend violemment à la société de consommation et aux médias qui nous abrutissent. Les habitants de la Cité passent leurs journées à fouiller les ruines en quête de métal, une denrée devenue précieuse, en échange d’une pâte nutritive mais surtout de leur émission quotidienne et de votes pour en changer le cours. Pour la sensation d’avoir le pouvoir de vie ou de mort sur d’autres gens, l’espace de quelques instants. Ils sont devenus du bétail.
Pour ce qu’Alix en voit, Underlife est leur principal centre d’intérêt, oblitérant la monotonie de leur vie et leur absence totale de perspectives. Il n’y a que leur émission, et les doses d’alcool synthétique qui achèvent de leur engourdir l’esprit. C’est une société d’esclaves plus ou moins volontaires, qu’on pourrait trouver plutôt proche de la nôtre : la place et le temps accordés au travail sont de moins en moins légitimes, et les sollicitations de consommation de divertissements, au travers du cinéma, des séries, toujours plus fort.
Je ne m’étends pas davantage sur le voyeurisme de l’aspect « télé-réalité » d’Underlife, poussé à l’extrême : les spectateurs peuvent voter la mort d’un habitant, et les habitants de Neuveterre n’ont aucune idée de la réalité qui est la leur.

Suivre le point de vue d’Alix est bien trouvé. Les premiers chapitres font davantage penser à de la fantasy, avec ce village fortifié, ces clans ennemis et le tournoi annuel pour dénouer le conflit. La transition vers la mine et son amnésie n’en sont que plus brutales pour le lecteur, un peu déboussolé, et la découverte de la Cité va encore accroître l’incompréhension. Certes, on est un peu moins perdu que l’héroïne, néanmoins les quelques explications de Frénétik ne seront pas de trop pour les plus jeunes lecteurs (les plus âgés auront assemblé les pièces du puzzle). D’autant que tout va très vite, l’autrice ne s’embarrasse pas de fioritures et va à l’essentiel, ce qui peu être parfois un peu frustrant.

Informée de son statut d’A-Humaine, Alix rejoint les Rebelles et veut retrouver Neuveterre pour délivrer les siens du mensonge qui les retient, et de l’influence d’Incubo Corp qui peut les désactiver à n’importe quel moment. Frénétik, de son côté, veut sortir la Cité de sa léthargie, lui montrer en face la vérité, pas ces paysages magnifiques mais disparus que la Corp diffuse sur écrans géants autour de la ville. Le monde dehors est mort, et ce n’est pas un espoir qu’on leur donne, mais un mensonge.
Hélas, l’avenir de la Cité sera un peu laissé de côté : on suit Alix qui doit convaincre les siens, sauver son ami Jean et évacuer Neuveterre, qui s’avère une immense caverne. Elle découvre qu’elle n’est pas la première à avoir découvert la vérité, ou une partie, et que son père a balisé leur fuite.

Très sincèrement, cette fin est un peu décevante. Si on a bien la galerie complète des réactions attendues (ceux qui refusent de la croire, ceux qui ne veulent pas abandonner le village, ceux qui la suivent...), les péripéties qui suivent (un tunnel caché, qui s’effondre en partie, le glas du manque d’oxygène pour leur ami Humain) obéissent à une mécanique de surenchère d’autant plus artificielle que la conclusion ne répond pas à de nombreuses questions, ce qui est fort dommage dans de la littérature jeunesse. Que sont devenus les autres Rebelles ? Que va devenir Hino, l’Humain qui les accompagne, et qui contrairement à eux a besoin de boire et de manger ? Alix prend le temps de répéter ce qu’elle a appris sur les A-Humains, alourdissant la narration inutilement dans les derniers chapitres au rythme dictés par la catastrophe.

Cette conclusion insatisfaisante mise à part, « Underlife » saura entrainer les jeunes ados dans une bonne réflexion sur notre avenir, ceux qui le dirigeront car ils nous dirigent déjà maintenant, et sur notre place dans la société. Sur ce qui fait de nous des êtres humains, dans nos pires aspects comme nos meilleurs penchants.
Ici, ce sont surtout les A-Humains qui sont capables de sentiments positifs, d’amour, une émotion qui n’est plus partagée que par les Rebelles, qui ont su sortir du système imposé. Qui ont su vivre, affronter le danger, plutôt que simplement survivre, comme des bêtes, jour après jour, sans rien éprouver de sincère ou d’empathique. Ceux guidés par un idéal commun, plutôt que les individualistes.
Un message plutôt positif, non ?
Mention à la très chouette couverture de Fabrice Bertolotto.


Titre : Underlife
Auteur : Anne-Gaelle Balpe
Couverture : Fabrice Bertolotto
Éditeur : Slalom
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 234
Format (en cm) :
Dépôt légal : octobre 2019
ISBN : 9782375542200
Prix : 11,90 €



Nicolas Soffray
8 décembre 2019


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