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Radley (Les)
Matt Haig
Le Livre de Poche, roman (Grande-Bretagne), vampires mais je me soigne, 494 pages, mars 2012, 8,10€

Une petite ville d’Angleterre, bien proprette et tranquille. Au 17 Orchard Lane vivent les Radley, famille bien ordinaire en apparence. Peter est médecin, Helen vaguement artiste à la maison, et leurs deux ados Rowan et Clara sont en crise : le premier entretient son mal-être en lisant Byron, la seconde en devenant vegan. cette dernière lubie va, en ce vendredi, déclencher une avalanche de conséquences. Car les Radley ont, officiellement, une petite carence génétique qui les contraint à manger de la viande rouge dès le breakfast et à ne sortir que tartinés de crème indice 50.
Les parents suivent le guide de l’abstinent, et ont abandonné leurs instincts bestiaux pour vivre avec les hommes, dans leur monde. Les enfants ne sont pas au courant de leur « état ».
Mais voilà, une soirée bien arrosée entre lycéens, un garçon trop entreprenant, et Clara, dans un réflexe atavique, détruit des années d’efforts en quelques secondes.



Vous avez bien compris. Mais la première qualité de ce roman est de ne pas écrire le mot « vampire » avant la 100e page, et même ensuite d’en user avec parcimonie. Mais c’est bien ce que sont les Radley. Pour le lecteur, les indices s’accumulent jusqu’à ce que chaque nouvelle preuve balayée par les personnages provoque un frisson de plaisir de lecture.
Matt Haig, auteur reconnu et scénariste à succès, joue ici une partition sans faute. Il croise une famille anglaise typique, dans ses qualités, sa normalité et ses failles, avec un énorme secret. Le genre qui vous rend la vie encore plus difficile. Le genre également qui pousse les témoins et les lecteurs de cette histoire à interpréter différemment vos faits et gestes.
On retrouve dans « Les Radley » cet amour de l’humanité, dans ses plus grandes faiblesses, qu’il avait déjà exprimé dans « Humains ». Mais aussi ce désespoir ambiant, la lourdeur du fardeau de la vie, écho de son histoire personnelle (il est l’auteur de « Rester en vie », témoignage de sa dépression et « Débranchez-vous » sur l’impact de la société hyperconnectée). Ses personnages sont tous, à un niveau ou un autre, au bout du rouleau. Peter et Helen ont de plus en plus de divergence sur l’éducation de leurs enfants. Peter voudrait leur révéler la vérité sur leur naissance. Helen quitte la chambre - où il ne se passe, de son fait, plus rien - pour aller pleurer chaque soir devant le placard de ses souvenirs d’avant. Rowan est secrètement amoureux de la nouvelle de sa classe, Eve, mais elle ne le regarde pas. Clara, malgré une copine populaire, est souvent moquée par les garçons sur lesquels elle ne peut pourtant pas s’empêcher de fantasmer. Rien que de très normal. Mais voilà, pour le lecteur, l’ajout du vampirisme ouvre des possibilités de solutions tellement plus larges ! On rit, on sourit du choc culturel ubuesque que s’imposent les Radley, et qui va bientôt voler en éclats.

Et c’est là que le talent scénaristique de Matt Haig prend tout son rôle. L’affaire ne dure qu’un gros week-end, mais l’enchainement de causes (malheureuses) et de conséquences (désastreuses) est un travail d’orfèvre, d’une logique implacable. Sur à la mort du jeune, Peter appelle son frère à l’aide. Son frère avec qui ils avaient coupé tous les ponts, car Will est un solitaire, libertin, qui ne respecte même pas les accords passés entre la communauté de la nuit et le service spécial de Scotland Yard. Tout ce que Peter a réprimé, Will le respire à chaque instant, au prix d’une vie itinérante dans un mini-van qui lui convient très bien. Un autre secret a séparé les deux frères, non-dit mais transpirant à chaque scène, et on comprend vite qu’il tourne autour d’Helen. Là encore, le vampirisme ajoute une tension supplémentaire à un évident triangle amoureux.

Pour Helen, retrouver Will est douloureux, et dangereux. Il faudra des pages et des pages avant de cerner la véritable nature de ce qui les unit. Et l’auteur ne se contente pas d’une seule réponse, complexifiant encore les relations déjà tendues entre ses personnages. Dans cette maison qui se veut très anglaise et policée, les silences se font nombreux, et d’autant plus assourdissants qu’ils doivent répondre aux petits jeux agaçants de Will, près à tout pour faire craquer les masques, d’abord par jeu, puis en redécouvrant au fond de lui une passion jamais éteinte.

Du côté des ados, si Clara est le déclencheur, elle va voir son enthousiasme initial vite retomber. Rowan, sous la houlette de son oncle, prend une nouvelle confiance en lui. Paradoxalement, si Helen craignait les dommages induits par la présence de Will, le réflexe de Peter d’appeler son frère a un effet positif sur les enfants, découvrant une autre figure parentale, bien plus libre, avec ses avantages et ses inconvénients. Un mauvais exemple à suivre jusqu’à se brûler les doigts et revenir dans le droit chemin en pleine conscience de ses limites.

On pourrait aussi évoquer le portrait social brossé au travers d’Eve et son père. Sa femme morte, entre chagrin, alcool et refus d’obéir, il a été démis de son poste d’inspecteur de police. C’est une déchéance économique et sociale pour Eve, qui intègre une nouvelle ville, un nouveau lycée et un nouveau rôle à la maison. Qui subit le regard des autres, avec un père enchainant les petits jobs, incapable de payer le loyer au proprio qui s’avère le voisin des Radley et dont le fils est dans la même classe... Oh, et vous vous doutez bien de qui a tué la mère ? Will est autant la solution que le début de nouveaux problèmes qui vont se déclencher en une spirale millimétrée durant ce long week-end.

La littérature de genre cache souvent bien son jeu, parlant de société, de sentiments très humains dans des décors irréels. « Les Radley », sorti chez Albin Michel sans estampille de genre (et idem en Livre de Poche), satisfera autant les amateurs de roman social un peu ouverts d’esprit et les lecteurs de fantastique, car les deux sont si finement entremêlés qu’ils ont deviennent à la fois indissociables et transparents. L’un n’est que le révélateur de l’autre.

Une pépite à mettre entre toutes les mains, des ados qui y trouveront des réponses en échos à leur quotidien, des adultes trop coincés, ou au contraire en pleine crise de la cinquantaine. Chacun en prend pour son grade et en tirera quelques leçons, la première qu’il faut vivre en accord avec soi-même avant de se soucier du regard des autres.


Titre : Les Radley (The Radleys, 2010)
Auteur : Matt Haig
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Françoise du Sorbier
Couverture : Martin Parr / Magnum photos
Éditeur : Le Livre de Poche(édition originale : Albin Michel, 2010)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 32493
Pages : 494
Format (en cm) : 18 x 11 x 2,5
Dépôt légal : mars 2012
ISBN : 9782253166610
Prix : 8,10 €



Nicolas Soffray
3 novembre 2019


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