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Rêve d’un fou (Le)
Nadine Monfils
Fleuve, roman, 128 pages, septembre 2019, 14,90 €

On connaît Nadine Monfils pour son humour, pour ses polars déjantés, pour ses récits décalés, trépidants, truculents, grinçants, cocasses. Les séries « Elvis Cadillac », « Mémé Cornemuse » et le « Commissaire Léon » sont animées par une verve et une tonalité qui n’appartiennent qu’à elle. Pourtant, avec « Le Rêve d’un fou », Nadine Monfils change totalement de registre. En écrivant l’autobiographie rêvée d’un personnage réel, elle livre une œuvre brève, émouvante, et très légèrement teintée de fantastique.



Qui n’a jamais entendu parler de cette bâtisse fantastique mais pourtant réelle, de ce palais insensé, de cette construction qui mêle, grotesque, bizarre, surcharge, de ce chef-d’œuvre dit d’« art naïf » qui depuis plus d’un siècle, divise, amuse, étonne, stupéfie, émerveille, et qui, acclamé par les surréalistes, finit par être classé Monument Historique par André Malraux dans les années 1960 ? Entre folie et génie, entre rêve et délire, cette folie nourrie par des sources d’inspirations architecturales multiples, hantée par un bestiaire lapidaire très dense, mais aussi par bon nombre de créatures relevant de la mythologie, n’a pas fini de fasciner.

« C’est à sa mort que ma tête a commencé à être envahie par ce rêve fou, constitué de Palais des mille et une nuits, grouillant d’animaux bizarres et de végétaux venus d’ailleurs. Rêver pour ne pas rentrer sous terre avec lui. Pour ne pas me noyer dans une vallée de larmes. Ce Palais allait aussi me relier à l’au-delà, à tous ceux que j’avais perdus et qui me regardaient de là-haut, pareils à des anges dont j’allais graver les rires dans la pierre… »

Mais qui était le fameux Ferdinand Cheval, facteur de son état, qui, durant plus de trois décennies – de 1879 à 1912 – consacra son temps libre à l’édification de ce palais insensé ? Et surtout, quelles motivations l’ont poussé à consacrer une telle somme d’efforts ? C’est à partir de sources historiques, notamment d’écrits laissés par le facteur Cheval lui-même, que Nadine Monfils écrit cette petite autobiographie imaginaire. Un récit qui ne cache ni la misère matérielle dans laquelle on vivait à l’époque, ni les drames répétés des enfants mourant de maladies infectieuses que l’on ne savait alors ni soigner ni prévenir, mais qui a aussi de beaux accents de fable.

« Mes rêves me sont venus en marchant. Chaque pas me menait vers ma construction féérique. »

On se glisse donc dans la tête de ce facteur opiniâtre marqué par les coups du sort, la mort de plusieurs de ses enfants, et toute particulièrement celle d’Alice, à l’âge de quatorze ans, et qui, durant ses tournées à pied – jusqu’à trente kilomètres par jour – avait le temps de cogiter, de méditer, mais aussi de s’émerveiller et de rêver. Un déclic : la première pierre qu’il ramasse, intrigué par sa forme singulière, qu’il ramène, et qui, dite « pierre d’achoppement », sera la première pierre de son Palais Idéal. L’amorce d’un projet fou qui occupera ses efforts, et aussi ses pensées, dans les trente ans à venir.

« Mon imagination galopante se manifestait aussi pendant mes tournées. Et il n’était pas rare que j’invente des existences fabuleuses aux femmes prisonnières de leur vie à la maison. Je leur traçais des destins de reines, dans des pays de lumière.  »

Les drames, la misère : Nadine Monfils décrit très bien comment ces éléments ont pu être transmutés par cet homme modeste, mais aux capacités immenses, qui comme son art était peut-être naïf – ou, peut-être, ne l’était pas du tout. Ce que Nadine Monfils dessine aussi en filigrane, c’est aussi ce que l’on peut nommer, sans connotation péjorative, la misère mentale des campagnes à une époque où l’on ne se déplaçait guère, où l’on avait peu de nouvelles, peu d’occasions de se cultiver, peu de livres, peu d’images, peu de sources d’information. D’où l’importance toute particulière de cet ermite dont le facteur Cheval découvre qu’il est secrètement peintre, et la relation taiseuse, mais profonde, qui se noue entre les deux hommes, et qui exercera une influence notable sur la vocation de Ferdinand Cheval. L’occasion aussi pour l’auteur de glisser ici et là quelques petites touches de fantastique, à travers les métamorphose spontanées, rêvées ou non, des tableaux de cet ermite.

« Je ne suis qu’un passeur de chimères.  »

À ce récit poignant, tout en pudeur et en retenue, Nadine Monfils mêle une autre histoire, celle d’une usurpation d’identité – quand on vient du polar, on ne se refait pas – qui vient s’intégrer avec la même finesse, et la même pudeur, dans cette autobiographie émouvante. Un autre récit de drame et de filiation qui vient joliment nourrir ce roman d’une centaine de pages auquel on ne fera qu’un seul reproche : peut-être n’était-il pas nécessaire qu’au chapitre treize Ferdinand Cheval parle de ce qui s’est passé bien des décennies après sa mort, précisions qui auraient pu être intégrées dans la préface et qui laissent un léger sentiment d’anachronisme. Mais on ne s’arrêtera pas à ce détail et l’on goûtera ce « Rêve d’un fou » venu jeter un peu de lumière sur le mystère d’un homme modeste devenu artiste, sur un homme et une œuvre – festival de statues, de colonnes, d’escaliers, de galeries, de terrasses, de faunes et de flores sculptées – qui fascinent depuis plus d’un siècle et fascineront sans doute encore les générations à venir.

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Titre : Le Rêve d’un fou
Auteur : Nadine Monfils
Éditeur : Fleuve
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 128
Format (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : septembre 2019
ISBN : 9782265116313
Prix : 14,90 €


Hilaire Alrune
27 septembre 2019


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