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Ariane et le défi du labyrinthe / Orphée aux Enfers
Clémentine Beauvais
Nathan, Mythologie et compagnie, roman (France), 48 pages, juin & septembre 2019, 6,20€


Ariane et le défi du labyrinthe

Ariane est la fille du roi Minos, et la demi-soeur du Minotaure, monstre à demi taureau enfermé dans le labyrinthe et nourri, tous les 9 ans, avec 7 jeunes filles et 7 jeunes garçons d’Athènes : c’est le tribut de leur défaite. Cette fois, Ariane est une jeune fille, plus une enfant, et elle comprend toute la cruauté d’envoyer d’autres adolescents comme elle se faire dévorer. Elle tombe presque immédiatement amoureuse d’un des prisonniers : Thésée, le fils du roi Egée, qui s’est porté volontaire et envisage de tuer le minotaure pour mettre fin à tout cela.
Le jeune homme est beau parleur, semble sûr de lui et prêt à mourir héroïquement. Ariane propose de l’aider à sortir du labyrinthe s’il accepte de l’emmener avec elle et de l’épouser. Le garçon promet... Hélas, le monstre tué, tout rempli de son exploit, Thésée rechigne à honorer sa parole, et abandonne Ariane sur une île.

Le parti pris de ce livre est très intéressant : décentrer l’intrigue du « héros » traditionnel et de son exploit guerrier pour celui, « secondaire » et féminin, sans qui rien n’aurait été possible. Clémentine Beauvais nous fait côtoyer une jeune fille profondément sensible et rend à merveille cette différence de perception du monde entre garçons et filles. Thésée rêve d’un exploit qui le rendra célèbre, et son statut de prince lui permet certaines prérogatives. Si on note tout de même quelques craintes concernant sa mission, l’ambition est un moteur puissant.
Tout au contraire, Ariane est guidée par de plus nobles sentiments. Elle a conscience que Thésée est trop imbu de lui-même, trop sûr de lui, mais c’est aussi cette assurance, cette vivacité qui l’attire vers ce jeune et bel étranger de son âge. Elle va l’aider, usant de son intelligence et de sa ruse pour trahir son propre peuple, mais aussi parce qu’elle est convaincue que ce sacrifice barbare de jeunes gens doit cesser. Au bout du fil d’elle a donné à Thésée, elle tremble de peur pour son héros, tout entière submergée par cette passion adolescente, ce premier amour qui ne sait pas se contrôler. Le texte rend très bien cette avalanche de sentiments.

La déception est d’autant plus grande lorsque Thésée la rejette, elle qui lui a tout sacrifié. Elle réalise que ce sentiment n’était qu’à sens unique et que le jeune homme n’a pas hésité à en abuser. Rien ne change, hélas, dans la nature humaine. On n’en sera que plus ravi de l’heureuse conclusion pour Ariane, qui épousera Dionysos.
L’histoire du Minotaure est l’un des nombreux mythes grecs où les qualités « masculines », force et courage, s’opposent à celles, plus « ambigues », des femmes, intelligence et ruse. Deux talents employés à la manipulation et souvent présentés de manière négative, justifiant entre autres le mauvais sort souvent fait à leurs utilisatrices. Les Thésée et Ariane dépeints par Clémentine Beauvais sont bien plus humains que les archétypes, et leur psyché beaucoup plus réaliste. Pour les plus grands lecteurs, on trouvera la même remise en cause dans « La Malédiction des Argonautes » de Richard Normandon.

Le mythe n’en est pas moins fort, bien au contraire, donner la parole à la jeune fille au centre de l’histoire, qui va devoir endurer ces conflits intérieurs, ces trahisons, au nom de ses convictions et de ses sentiments transforme un simple exploit guerrier en un rite de passage bien plus formateur.

Les lecteurs de « Brune du Lac » (même éditeur, même tranche d’âge) apprécieront de retrouver les très belles illustrations de Sébastien Pelon.

Orphée aux Enfers

Orphée le poète aime Eurydice la dryade. Lorsqu’elle meurt, mordue par un serpent, Orphée décide de descendre aux Enfers implorer Hadès de lui rendre la vie. Impossible ! Mais son amour et sa peine sont trop forts. Un par un, il charme les gardiens, Cerbère, Charon, jusqu’à Perséphone. Hadès finit par céder à la beauté de son chant, mais il émet une condition : Orphée ne doit pas se retourner vers son aimée avant qu’ils ne soient tous deux revenus à la surface. Malgré la passion, malgré l’inquiétude, Orphée se retient, mais échouera à la dernière seconde, trop inquiet, trop empressé, et la dryade retourne aux Enfers. Brisé de chagrin, il se tue, seul moyen pour lui de retrouver Eurydice.

L’histoire d’Orphée et d’Eurydice est sans doute le plus beau drame amoureux et le plus ancien à nous être parvenu. Un amour exclusif qu’il suscite des jalousies, et dans d’autres versions c’est cela qui cause la mort de la dryade. Clémentine Beauvais ne s’y attarde pas, pour s’attacher au chagrin du poète et sa résolution, extrême, d’aller défier les lois des mortels. Orphée n’est en aucun cas présenté comme sûr de lui ou imbu de son propre talent : il n’est que ravagé par la peine, et c’est cette tristesse qu’il infuse dans sa musique et son chant pour amadouer ceux qu’il rencontre et qui s’offusquent de son statut de vivant.
De la même manière, quand d’autres auteurs classiques attribuent son échec à une méfiance en la parole d’Hadès, cet Orphée-là n’est qu’inquiétude pour son Eurydice. Il se retient, à chaque étape du retour, à chaque doute sur la santé de son aimée, de se retourner. Il y croit, il veut y croire. Et c’est l’enthousiasme, le soulagement d’avoir réussi à atteindre la surface sans faillir qui le fait échouer, faute d’avoir pris garde à respecter à la lettre l’ordre d’Hadès. Pour la seconde fois Eurydice meurt dans ses bras. Et la peine, cette fois, est trop forte.

Si on vibrait aux battements de cœur d’Ariane, on pleure et on tremble avec Orphée. Clémentine Beauvais va jusqu’à discrètement versifier sa prose, et l’on pourrait sans mal lire cet « Orphée aux Enfers » à voix haute. C’est également un plaisir d’y voir des effets de style manifestes : les jeunes lecteurs n’ont pas affaire à un simple récit descriptif, mais à de la vraie littérature.

Les illustrations de Régis Lejonc, très marquées par un style années 30 post Art nouveau, sont sublimes. Le travail sur les couleurs, les poses ajoute à la dramaturgie lyrique, et achèvent de rendre ce petit roman époustouflants pour les lecteurs un peu plus âgés.
Une petite merveille.


Titre : Ariane et le défi du labyrinthe
Auteur : Clémentine Beauvais
Couverture : Sébastien Pelon
Éditeur : Nathan
Collection : Mythologie et compagnie
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 48
Format (en cm) : 19 x 14,5 x 0,7
Dépôt légal : juin 2019
ISBN : 9782092589632
Prix : 6,20 €


Titre : Orphée aux enfers
Auteur : Clémentine Beauvais
Couverture : Régis Lejonc
Éditeur : Nathan
Collection : Mythologie et compagnie
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 48
Format (en cm) : 19 x 14,5 x 0,7
Dépôt légal : septembre 2019
ISBN : 9782092590881
Prix : 6,20 €


Nicolas Soffray
28 septembre 2019


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