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Passeur (Le)
Lois Lowry
L’école des Loisirs, Médium, roman traduit de l’anglais (USA), 220 pages, juin 2016, 6,80€

Jonas vit dans un monde d’où le mal est absent. Une communauté basée sur l’entraide et la bonne place de chacun. A 12 ans, il va bientôt se voir attribuer son rôle, en fonction des observations du Conseil des sages sur son attitude, son caractère, sa façon d’être. Cette échéance le stresse un peu, et il a quelques hallucinations, des flashs où il trouve une autre texture, une autre saveur au monde. Il hésite à en parler, de crainte d’être jugé inapte à rester dans la communauté, à être « élargi » et envoyer dans une autre ville, aux mœurs différentes et moins parfaites.
Le choc est de taille lorsqu’il est désigné pour succéder au Dépositaire de la mémoire, un homme très important mais à part de leur société.
Au fil de son apprentissage, toutes ses certitudes vont s’effondrer.



Et les nôtres par la même occasion.
Car « Le Passeur » est un grand roman, une pépite d’écriture, qui joue avec nos a priori et nos constructions mentales par un biais de lecture.
Lois Lowry nous donne beaucoup d’informations sur le fonctionnement de sa société, qui peut nous sembler, sinon idéale, presque idyllique, mais malgré une narration externe, elle ne nous donne pas les clés pour comprendre ce qui cloche. Plus virtuose encore, par la voix de son personnage, elle ne nous permet pas de comprendre exactement ce qu’expérimente Jonas, puisqu’il n’a pas de mots pour l’expliquer.
Chaque scène voit s’affiner notre perception du monde, de son fonctionnement, de toutes les choses positives qui y prennent place : l’apprentissage de la solidarité intergénérationnelle, les rites de passage, les règles et leurs petites entorses tolérées (comme savoir faire du vélo avant la cérémonie de remise de son vélo). Ce monde pourrait sembler presque parfait, mais comme Jonas on ne peut s’empêcher de s’interroger sur tout ce qu’on nous cache.

L’autrice produit une dystopie où le hasard n’a pas sa place, où les émotions sont tempérées, l’attachement dépassionné. Les parents de Jonas ont été choisis pour vivre ensemble, tous comme Jonas et sa sœur Lily leur ont été confiés par le Centre des Naissances. Chacun a sa place, selon ses compétences et certains choix, administrateurs (comme la mère de Jonas), soignants (son père est nourrice / sage-femme, un très bon exemple de basculement de genre pour ce métier essentiellement féminin), ou simples ouvriers. Même les naissances sont encadrées, et les femmes qui portent les enfants de la Communauté ont un statut spécial durant leurs années de « service », et sont choyées.
Entre « 1984 » et « Equilibrium », ce modèle social très rigide, totalitaire, laisse pourtant une grande place à l’humain, et malgré ses interrogations, Jonas a une enfance heureuse. Tout juste hausse-t-on un sourcil concernant ses parents : sont-ils inquiets ou à la recherche d’une déviance à dénoncer chez leur enfant ? Sera-t-il exclu de ce bonheur trop lisse ?

Ce n’est qu’une demi-surprise lorsque Jonas ne reçoit pas une affectation ordinaire pour ses 12 ans ; Son apprentissage auprès du Passeur emprunte à la magie, puisque le vieil homme solitaire va lui transmettre la charge de la Mémoire des hommes. Des images, mais aussi des saveurs, des sensations. Toutes ces choses dont les autres sont privés, et on comprendra pourquoi.
Et ce que cela signifie aussi sur la nature humaine des personnages. Car privés de mémoire, de sentiments, sont-ils encore humains ? A encadrer toute la vie sociale et intime des gens, ne devient-on pas des machines, avec des règles, des lois, mais sans morale ni éthique ?

Jonas, seul « voyant » parmi les aveugles, va enfreindre toutes les lois, et tant pis s’il met en péril cette communauté qui lui a menti « pour son bien » toute son enfance, et dans laquelle il n’aurait pu trouver sa place de mouton docile.

Une très belle dystopie, à lire absolument.

Le roman a été adapté à l’écran par Philip Noyce en 2014, avec le même procédé visuel que « Pleasantville ». Cela retranscrit bien le phénomène vécu par Jonas, mais évidemment cela gâche toute la surprise de lecture...


Titre : Le Passeur (The Giver, 1993)
Auteur : Lois Lowry
Traduction de l’anglais (USA) : Frédérique Pressmann
Couverture : d’après l’affiche du film
Éditeur : L’école des Loisirs (édition originale : L’École des Loisirs, 1994)
Collection : Medium poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 220
Format (en cm) : 19 x 12,5 x 2
Dépôt légal : juin 2016
ISBN : 9782211205825
Prix : 6,80 €



Nicolas Soffray
8 juillet 2019


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