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Orphelins de Métal (Les)
Padraig Kenny
Lumen, roman (Irlande), steampunk, 344 pages, avril 2019, 15€

Angleterre, début XXe siècle alternatif. La mécanique, l’alchimie et la magie permettent la création de robots plus ou moins sensibles. Des événements révolus ont conduits à édicter certaines règles : les automates ne peuvent avoir la taille adulte, et leur fonctionnement doit être basique. La propulsion raffinée, ou insufflation, est interdite. En gros, ils ne peuvent avoir d’âme.
Christopher est un jeune garçon qui travaille pour Absalom, un vieil inventeur non déclaré qui vivote en fabricant des automates enfantins (autant de « petits frères » pour Christopher) et tente de les vendre à des couples qui viennent de perdre leur enfant. Une affaire pas forcément florissante, au grand dam du barbon, obligé d’accepter des travaux de force pour ramener quelques sous. Et c’est tandis qu’ils travaillent à déneiger une route que l’accident se produit : Christopher est percuté par une automobile. Et qu’il découvre qu’il n’est pas humain, mais un automate lui aussi.
Des représentants de l’Agence débarquent à la casse pour s’emparer de Christopher. Pour les autres automates, leur discours est nébuleux, mais ils comprennent que leur ami est un modèle interdit, et que ce n’est sûrement pas Absalom qui l’a conçu, mais plutôt un des grands noms de l’histoire de l’alchimie.
C’est ainsi que Jack le rouquin, Rob le tonnelet, Manda la petite et Lapoigne le géant vont trouver Estelle, l’adolescente qui fabrique leur peau synthétique, et qu’ensemble ils prennent la route d’Havrefer, la ville fondée par Philippe Cormier, grand alchimiste et probable concepteur de leur ami. Lui seul est en mesure de sauver Christopher.



Le bon steampunk n’est pas si fréquent. Souvent ses éléments marquants sont plaqués sur une intrigue classique, qu’on aurait aussi bien pu habiller de SF ou de fantasy, comme hélas « Le secret de l’inventeur » de Andrea Cremer, aussi chez Lumen. « Les Orphelins de Métal » ne tombe pas dans cette facilité, en mettant au coeur de sa narration et de son intrigue les thèmes propres au genre : qu’est-ce qui différencie un homme d’une machine ? Lequel est finalement le plus « humain » des deux ? Qu’est-ce que les machines enlèvent à l’homme ? Quand le progrès devient-il un danger ?

Padraig Kenny nous brosse en creux l’histoire de son Angleterre alternative, et, après avoir donné quelques bases, ne mâche pas le travail de compréhension à ses jeunes lecteurs. La narration étant centrée sur les automates, à la mémoire et au savoir limités, on ne peut dans un temps compter que sur Absalom, puis la jeune Estelle, pour combler les trous. Le premier est rétif à trop parler, et on comprend pourquoi lorsque la vraie nature de Christopher est révélée, et la seconde est perpétuellement en colère.
Estelle est un très beau personnage, qui concentre nombre de frustrations Elle est une fille, et subit toutes les restrictions de son sexe dans cette Angleterre victorienne : domination du père (elle s’est enfuie), ambitions impossibles (les inventeurs sont tous des hommes). On comprend sa colère permanente, sa rage face aux refus, aux renoncements auxquels sa petite troupe fera face. Dans le groupe, elle est l’exact opposé de la bonhomie naïve de Rob ou de la prudence de Jack.

Après l’enlèvement de Christopher, c’est principalement sur Jack que la narration se porte. Plus pondéré que ses compagnons, il nous fait à merveille ressentir la minceur de ce que sépare les automates de la vie : leurs sentiments sont forts, mais leur corps mécanique leur rappelle perpétuellement qu’ils ne sont pas vivants. Des têtes qui se détachent, des membres pas bien symétriques, pas de poumons. Mais pas de coeur ? Au fil des pages, d’un voyage qui fait clairement écho au « Magicien d’Oz » de L. Frank Baum, on en doute vraiment. Les personnages, dépourvus des réticences humaines, de double jeu, donnent le meilleur de leurs qualités (même si cela provoque quelques catastrophes), sans arrière-pensée.

En parallèle de leur quête de Philippe Cormier, on découvre que Christopher est en fait aux mains de Richard Blake, le fils d’un autre célèbre inventeur, qui veut percer les secrets que son père ne lui a jamais transmis.
Si la narration nous fait suivre les petits robots qui veulent juste sauver leur ami, leur grand frère, le fond des « Orphelins de métal » tient dans l’opposition entre les deux adultes de cette histoire, ainsi que très bien représenté sur la couverture de Marine Gosselin. L’aîné s’est refermé sur lui-même, refuse sa science au monde suite à un cuisant échec, l’autre au contraire désire plus que tout ramener les machines sur le devant de la scène. En toile de fond, la guerre, et des arguments fort persuasifs : combien de vies des soldats automates permettraient-elles de sauver ? On vous renvoie à l’histoire de la mécanisation de l’armée, depuis les premiers blindés au sujet encore très actuel des drones et des IA autonomes (regardez « Iron Man 2 », par exemple).
C’est l’affrontement entre deux générations, la prudence forgée par l’expérience (douloureuse) contre l’enthousiasme et l’espoir aveugle d’un monde différent.

Sans énormes effets spéciaux, juste une petite bataille finale bien déséquilibrée, Padraig Kenny nous raconte une très belle histoire d’amitié enfantine, de liens affectifs plus forts que tout, dans un monde d’adultes torturés par leurs propres expériences, leurs choix et leurs compromissions. C’est très beau sur la forme, mais rien n’est innocent et tout porte à la réflexion sur notre relation aux autres, aux machines, à notre propre humanité.

Une vraie pépite, et pas de fer-blanc, à lire dès 12 ans.

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Petit bonus presse : une petite marionnette à assembler et animer !

Avant le steampunk, il y avait la SF, et j’encourage fortement ceux qui aimeront « Les Orphelins de métal » à se plonger dans les nouvelles du « cycle des Robots » du grand Isaac Asimov.

Le second roman de l’auteur, « Pog », vient de paraître en anglais.


Titre : Les orphelins de métal (Tin, 2018)
Auteur : Padraig Kenny
Traduction de l’anglais (Irlande) : Julie Lafon
Couverture : Marine Gosselin
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 344
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2019
ISBN : 9782371021693
Prix : 15 €



Nicolas Soffray
30 avril 2019


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