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Homme électrique (L’)
Victor Fleury
Bragelonne, collection steampunk, 359 pages, février 2019, 9,90€

Nous avions découvert à travers les récits de « L’Empire électrique » le monde parallèle imaginé par Victor Fleury. Nous étions alors en 1886 : l’Empire électrique des Napoléon, servi par des savants tels que Volta, Ampère ou Frankenstein, avait assujetti la Grande Bretagne et l’Écosse. Une capitale, Lyon, avec pour emblème le Phare de Bourdais, et comme ministre de l’Empire le fameux policier Frédéric Larsan, avatar du non moins fameux Ballmeyer, personnage bien connu des lecteurs de Gaston Leroux. Très loin en Australie, des déportés comme Gavroche et Cosette, dans un bagne dirigé par un automate semi-humain construit par le Dr Rapperschwyll, fameux savant fou d’Edward Page Mitchell. Frédéric Larsan, le Dr Rapperschwyll : deux individus qui, dans la floraison de personnages historiques ou de fiction croisés dans « L’Empire électrique », vont, près d’une décennie plus tard, prendre dans l’aventure de « L’Homme électrique », une importance toute particulière.



1778 : le savant Mesmer examine un mystérieux artefact. 1895 : dix ans après les évènements relatés au début de « L’Empire électrique », tous ignorent que de mêmes artefacts sont sur le point de mener le monde au bord de l’abîme. Des objets mystérieux, antiques, qui n’ont rien à voir avec la technologie de l’époque. Les ondes scalaires, le voxographe, les abeilles électriques, les bicycles voltaïques, les dirigeables, un canon géant, d’autres merveilles de la science, pour prodigieuses qu’elles soient, pourraient bien face à cette menace ne pas peser plus lourd qu’un simple décor de théâtre.

Un décor : ce monde voltaïque en est un, composé des scènes des plus élégantes qui soient. L’ouverture du roman sur des joutes nautiques à Venise, à bord de gondoles voltaïques, ne doit rien au hasard. Nul hasard non plus, ces dialogues feutrés ou ces scènes d’action à bord de l’Orient-Express ou dans les coursives et salons de dirigeables de luxe. Mais l’on retrouvera aussi bien d’autres lieux– le col de Borgo avec ses bohémiens, le Gun Club de Baltimore – qui, pour les amateurs de romans populaires, seront de délicieuses rémanences, de véritables madeleines proustiennes.

Des lieux, mais aussi, et en cela fidèle à la démarche steampunk, des personnages connus, authentiques ou échappés d’autres fiction. Nos saluerons une belle apparition d’Arsène Lupin, sous son avatar le prince Sernine, les frères Lumière, Michel Strogoff, émissaire du Tsar, un certain Sandorf, lui aussi originaire des univers de Jules Verne, Joseph Vacher (criminel célèbre dans le monde réel), le baron Savitch (un nom qui ne mettra la puce qu’a l’oreille des connaisseurs d’Edward Page Mitchell, lesquels y verront peut-être un signe avant-coureur de la trame des chapitres finaux) et d’autres encore.

« Le sang galvanisé lui déforme l’esprit. Il se prend pour son aïeul, le quinzième comte Dracula, celui qui éventra de ses mains le sultan Mahmoud II lors de la prise du palais de Topkapi par les Bonaparte.  »

Une des réussites du roman est de ne jamais s’appesantir sur ces références, de ne jamais chercher l’ostensible, et de donner l’impression, que tout cela va de soi. Mieux encore, Victor Fleury n’hésite pas à s’amuser avec cette démarche référentielle qui est un des traits marquants du steampunk, ne se contentant pas de reprendre des figures obligées mais d’en imaginer des variantes : van Helsing trucide les vampires au vilebrequin voltaïque, le comte Dracula n’est pas l’authentique mais un descendant du personnage de Bram Stoker, des figures célèbres trouvent leur pendant féminin (ainsi de Joséphine Balsamo, alias la Comtesse de Cagliostro, tout autant prétendument immortelle que le Comte du même nom), et d’autres figures encore permettent à ce roman à clef d’ouvrir sur d’autres romans à clefs : ainsi croise-ton la fameuse Sophie de Réan, héroïne de l’autobiographie déguisée de de Sophie Rostopchine, plus connue sous le nom de comtesse de Ségur, et autres personnages rostopchiniens, Jean de Rugès (anagramme évident de Ségur) et Paul d’Aubert, ici explorateurs et archéologues découvrant le corps momifié d’un personnage inventé par le maître de Cross Plains.

« Deux personnalités s’affrontaient en lui. Le Valet devait contenir l’indignation de Tancredo, qui refusait de n’être plus qu’une ombre reléguée dans l’arrière-fond de son esprit.  »

Des lieux, des personnages qui tous sont des éléments du destin de celui que l’on croit être le vicomte Tancredo de Fante, lequel se révèle être un fabuleux robot à la solde de la comtesse de Cagliostro. Dans un échiquier planétaire, une pièce subtile destinée à des rôles complexes dans les jeux de pouvoir auxquels se livrent Napoléon IV d’une part, le tsar de Russie d’autre part. Mais des grains de sable, des personnages inattendus viennent se glisser dans l’équation. Des personnages qui se glissent dans le monde réel, mais aussi dans l’encéphale électrique du Valet, capable de devenir, grâce à l’empreinte cérébrale des victimes de la Cagliostro, un sosie parfait de ces derniers.

« Demain soir, Messieurs, l’Empire français s’étendra jusqu’à Vladivostok ! »

Cette capacité mimétique, ce jeu de remplacements, d’amnésies, de manipulations, de personnalités successives dont certaines – ce qui n’était pas prévu – réapparaissent sans crier gare dans l’esprit du Valet, permet à l’auteur de tisser une intrigue complexe multipliant les rebondissements. Le roman apparait donc comme un jeu d’engrenages soigné qui permettra dans le dernière partie une série de retournements de situation digne du meilleur vaudeville, non sans aspects effrayants, inattendus, avec des scènes très cinématographiques qui font songer, plus qu’aux pyrotechnies contemporaines (même si, de ce côté-là, le spectacle est également assuré), aux anciens films d’épouvante. On n’en s’en étonnera pas dans la mesure où ce roman est animé par l’esprit des feuilletons littéraires d’antan, dévoilant à mesure les tenants et les aboutissants de l’intrigue sur deux trames temporelles voisines (1893 et la naissance du Valet, 1895 et ses aventures).

Ludique, enlevé, théâtral, servi par une écriture sans prétention, cet « Homme électrique », une fois son postulat accepté, apparaît donc comme un digne successeur de « L’Empire électrique » et comme un bel exemple de steampunk à la française. On s’amuse beaucoup aux péripéties et aux références glissées ici et là, tout en devinant que l’on en manque bien d’autres (dans sa postface, l’auteur évoque maintes pistes comme Ossendowski, Hector Malot, Guy de Maupassant), ce qui au fond n’importe guère, l’intrigue du roman se suffisant à elle-même. Mission accomplie, donc, pour cet « Homme électrique  » qui, en sus du plaisir de lecture, nous invite à redécouvrir nos classiques.
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Titre : L’Homme électrique
Auteur : Victor Fleury
Couverture : Benjamin Carré / Adèle Silly
Éditeur : Bragelonne
Collection : Steampunk
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 359
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : février 2019
ISBN : 9791028110734
Prix : 9,90 €

Victor Fleury sur la Yozone :

- « L’Empire électrique »
- « Victor Fleury, un entretien voltaïque


Hilaire Alrune
7 mars 2019


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