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Paroles de facteurs
Jean-Pierre Guéno
Hugo, collection Hugo Doc, essai, 259 pages, novembre 2018, 17,50 €


Multiplicité d’approches pour ce travail de compilation qui commence par une poignée de « Facteurs célèbres » (essentiellement Guillaumet, le facteur Cheval, Saint-Exupéry), se poursuit avec « Les facteurs dans la littérature et dans les chansons  », anthologie d’une vingtaine de pages (extraits de Maupassant, Jules Janin, André Breton, mais surtout paroles de chansons), puis avec « Facteurs d’hier et d’aujourd’hui », depuis la Grande Guerre jusqu’à nos jours, partie regroupant une trentaine de textes d’origines diverses (paroles de chansons ici encore, extraits de thèse, extraits de journaux, pour la plupart des anecdotes ou portraits de facteurs par eux-mêmes). Viennent ensuite «  Éloge de la lettre » : après un extrait des « Collected Shorter Poems » de W.H. Auden, de brefs textes de Xavier Bordes, Pierre Dhainaut, Claude Margat, Henry Raynal, Jacques Reda, Jean Ristat, Bernard Vargaftig et Bernard Collot dont la source n’est pas précisée, et « Éloge du facteur  », partie construite sur le même principe. On découvre ensuite les versions successives du « Serment des facteurs », trois « Lettres des facteurs » (l’une écrite sur une planchette en captivité en Allemagne, la seconde, jamais envoyée, d’un facteur délivrant du courrier à sa mère qu’il n’a jamais connue, la troisième d’une facteur militaire affecté en Bosnie), « Les facteurs du père Noël » consacrée à la tradition de la lettre envoyée au père Noël par les enfants et au difficile problème de la réponse, les « Facteurs très spéciaux » (dont un fantaisiste facteur répondant aux adultes écrivant au père Noël et quelques facteurs des temps futurs) et « Les plus belles lettres de la marelle du petit facteur », brève anthologie mêlant des courriers de personnes célèbres (Jean Zay, de Gaulle) et d’individus ordinaires.

Ces « Paroles de facteurs  » sont donc un vaste pot-pourri de textes journalistiques et littéraires d’origines et d’époques diverses. Des textes souvent intéressants mais dont le classement en chapitres thématiques ne parvient jamais à convaincre : chaque partie est en effet assez hétérogène et plus d’une pièce pourrait passer d’un chapitre à un autre sans modifier l’impression d’ensemble. Plus compilation qu’étude ou essai, ces « Paroles de facteurs » sont à prendre non pas comme un catalogue raisonné mais comme une anthologie disparate, un vagabondage à travers un thème, une multiplicité kaléidoscopique d’approches. On ira donc butiner à travers ces « Paroles de facteurs », qui donnent l’impression d’être à leur thématique ce que les cartes postales sont à la géographie – une série d’instantanés – , pour y trouver ici une anecdote, là un éclairage historique, plus loin l’extrait d’un classique, ailleurs encore une approche sociologique. Ces « Paroles de facteurs » seront aussi l’occasion, pour ceux qui n’ont pas idée des époques ou tes téléphones étaient encore rares et captifs de leurs fils, et où le réseau internet n’existait pas encore, de comprendre l’importance toute particulière qu’ont pu avoir pour les générations précédentes les lettres en tant qu’objets, des lettres porteuses de sens, des messages que l’on médite avant de formuler, des messages qui mettent des jours et des mois avant de parvenir à leurs destinataires, et que l’on lit et relit au lieu de les effacer d’un simple clic de souris.

On ne saurait être complet sans parler de la très belle préface de Jean-Pierre Guéno, vibrant hommage aux facteurs et aux liens humains – et à leur nécessité. Il n’y a hélas pas besoin d’être particulièrement affranchi pour y voir l’éloge d’un monde déjà mourant et d’une évolution prononcée sur laquelle l’auteur tend à faire l’impasse. Une Poste devenue une banque, aucune humanité de la part de cette vénérable institution pour des « facteurs » recrutés en contrats à durée (très) déterminée, aucune humanité non plus des facteurs eux-mêmes qui prennent le parti, sans jamais sonner chez les destinataires, de déposer dans leur boîte aux lettres un message comme quoi ils sont passés « en leur absence » leur délivrer une lettre ou un colis. Un mépris et une indifférence qui ne sont au fond que le reflet de ceux de leurs destinataires, qui ont préféré passer leur commande sur les sites des multinationales plutôt que d’acheter le même produit dans leur boutique de proximité, auprès de gens qu’ils connaissent ou devraient connaître. Un monde mort, donc, ou mourant, une belle idée, une belle tradition : lorsque tout cela sera définitivement fini et que nous serons livrés par des drones, nous l’aurons amplement mérité. Reste à espérer, comme l’écrit joliment Pierre Dhainaut, que tout ne se terminera pas ainsi, et que ces postes qui sont aussi des cathédrales républicaines ne deviendront pas des cathédrales abandonnées.


Paroles de facteurs, éloge sentimental de la lettre et de son messager
Auteur : Jean-Pierre Guéno
Couverture : Vincent Van Gogh
Éditeur : Hugo&Cie
Collection : Hugo Doc
Pages : 259
Format : 15 x 22 cm
Dépôt légal : novembre 2018
ISBN : 9782755640908
Prix public : 17,50 €



Hilaire Alrune
10 mars 2019



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