Il y a bien des manières de lire. La meilleure est certainement – à l’exact opposé de ceux qui bachotant à l’aide de fiches synthétiques leurs épreuves de culture générale, savent très bien parler de livres qu’ils n’ont jamais lus – de savoir prendre son temps. Savourer la prose, oui, lire le texte intégral, certainement, mais la tendance étant au quantitatif, au pavé, à l’infinissable, aux « beaucoulogies », pour reprendre le néologisme de Pierre Pevel, il devient difficile de trouver des volumes à la fois minces et de qualité. D’où l’intérêt d’un guide comme celui-ci, qui propose de découvrir ou de redécouvrir « Cent courts chefs-d’œuvre », soit en librairies, soit – ces ouvrages n’étant pas forcément à la mode – en les empruntant en bibliothèques.
Pas besoin donc de s’abîmer des vendremanches entiers pour se faire, se refaire, se parfaire une culture littéraire. Un voyage en train, une longue et angoissante macération dans l’antichambre du dentiste, l’horripilante attente de cette-amie-qui-est-toujours-en-retard, votre épouse qui dans la salle d’accouchement n’en finit pas d’expulser le petit dernier, l’embouteillage vacancier ou gilet-jaunesque, la claustrophobique panne d’ascenseur, la messe de mariage dont le sermon s’étend au-delà du raisonnable, l’interminable queue pour se procurer le dernier beaujolais nouveau seront, par la mise en oeuvre de ce manuel miraculeux, transformés en excellents moments de détente culturelle. Grâce à Jean-Pierre Montal et à Jean-Christophe Napias, et avec un minimum d’organisation et de prévoyance, il vous sera possible de vous extraire mentalement des troupeaux ovins et béotiens, de quitter la masse bêlante des individus qui-n’ont-pas-le-temps-de-lire et de plonger enfin, et sans culpabilité aucune, dans les délices de la vraie et bonne littérature.
Mais Jean-Pierre Montal et Jean-Christophe Napias, qui feront de vous un être nouveau, ne se bercent pas d’illusions. Ils le laissent entendre dès l’introduction : face aux millénaires, face aux auteurs de tous pays, ça n’est pas seulement que le choix est cornélien, mais que le consensus est impossible. On ne s’étonnera donc pas de ne pas être d’accord sur tout, puisqu’ils n’étaient déjà pas d’accord eux-mêmes. Mais là est la limite de toute sélection. Et puis, si l’une ou l’autre des oeuvricules sélectionnées ne vous paraît pas suffisamment goûteuse, vous l’aurez terminée avant de l’avoir trouvé fade et risquerez encore moins d’en faire une indigestion.
Que peut-on trouver dans ces cent pistes de lectures ? Pour chacune d’elles, une à deux pages résumant l’œuvre et ses qualités, l’éditeur, la date originale de parution, le nombre de pages, la référence à une œuvre à lire ensuite, sur la même thématique ou dans un domaine proche (à ses risques et périls : la longueur de cette œuvre corollaire n’est pas indiquée), et surtout les circonstances dans lesquelles il est particulièrement intéressant de les découvrir. Une crise de libido ? C’est le moment de vous plonger dans « Le Chasseur » de André Hardellet. Une crise mystique ? Détendez-vous avec « Le Livre de Monelle » de Marcel Schwob. Vous vous trouvez une sale gueule dans le miroir ? Lisez « Le baiser au lépreux » de François Mauriac, ça vous fera du bien. Vous en êtes à votre troisième vodka à sept heures du matin ? Descendez cul-sec « Sonietchka » de Ludmila Oulitskaïa, c’est l’occasion. Vous êtes coincé quelque part et regardez passer une manifestation ? Lisez « La Ferme des animaux » de George Orwell. On vous le laissait entendre plus haut : la littérature a réponse à tout, et en toutes circonstances.
Des auteurs français, allemands, anglo-saxons, italiens, russes, argentins, autrichiens, tchèques et d’autres nationalités encore, des hommes et des femmes, des connus et des inconnus, des vivants et des morts, des discrets et des flamboyants, des prolifiques et des rares, des doux et des durs, des tristes et des drôles, des raisonnables et des dingues, il y en a pour tous les goûts, et pour tous les moments. Pour moins de dix euros, il serait regrettable de se priver de ce « Cent courts chefs d’œuvre » qui n’a d’autre défaut que de dépasser lui-même les cent cinquante pages.
Il n’échappera pas à la sagacité du lecteur que quelques-uns des textes choisis ne répondent pas à la définition voulue puisqu’ils dépassent – de peu – les cent cinquante pages. Il n’échappera à personne non plus que cette limite des cent-cinquante pages est suffisamment floue pour renfermer des formats bien différents : pour donner une idée, une page au format de texte word en caractères Times new roman et en corps 12 fait dans les six-cent-soixante mots ; mais certaines pages serrées atteignent voire dépassent les huit cents mots, tandis que d’autres, en livre de poche ou même en grand format – par miséricorde nous ne citerons pas de noms d’« auteurs » (ou d’« autrices ») français contemporains coutumiers du fait, que l’on proclame romanciers mais qui sont à peine novellistes – plafonnent, en gros caractères aérés, à deux cents mots la page. Le format varie donc couramment du simple au triple, voire bien au-delà.
Chaque lecteur pourra, en fonction de ses goûts et de ses expériences, se livrer à l’exercice. Nous ne résisterons pas au plaisir de citer à notre tour quelques ouvrages mémorables, et pourtant, pour certains, déjà oubliés : « Sprats » de David Bessis (105 pages chez Allia), « Voyage aux pays évanouis » du toujours excellent Sylvain Jouty (144 pages chez Fayard), « Encre » de Fernando Trias de Bes (166 pages en Actes Sud, mais il commence en page 17 donc le compte est bon), « Novecento pianiste » d’Alessandro Barrico (87 pages en Folio ; la sélection retenait « Soie » du même auteur) ; « Neige » de Maxence Fermine (96 pages très aérées chez Points), « La Montagne morte de la vie » de Michel Bernanos (159 pages en Livre de Poche, mais il commence en page 11, là aussi le compte est bon), ou encore le « Discours de réception du diable à l’Académie française » du sardonique et grinçant Henri-Frédéric Blanc (135 pages aux éditions du Rocher). Quant à ceux de nos lecteurs qui hésiteraient à s’aventurer hors des terres de la littérature du genre, ils pourront aller chercher du côté de la collection « Une heure lumière » des éditions du Bélial, consacrée à de mémorables novellas.
Titre : 100 courts chefs-d’oeuvre
Auteur : Jean-Pierre Montal et Jean-Christophe Napias
Couverture : Cheeri
Éditeur : La Table Ronde
Collection : La Petite Vermillon
Site Internet : page roman
Numéro : 459
Pages : 212
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : octobre 2018
ISBN : 9782710387688
Prix : 9,60 €
Jean-Christophe Napias sur la Yozone :
« L’Iconographe » de Jean-Christophe Napias
« À mon très cher ami » de Jean-Christophe Napias
La Table Ronde sur la Yozone :
« César Capéran » de Louis Codet
« Le Club des longues moustaches » de Michel Bulteau
« Vagabondages littéraires dans Paris » de Jean-Paul Caracalla
« Je connais des îles lointaines » de Louis Brauquier
« Quinzinzinzili » de Régis Messac
« Un peu tard pour la saison » de Jérôme Leroy
« La Nuit des chats bottés » de Frédéric Fajardie
« Journal de Gand aux Aléoutiennes » de Jean Rolin