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Rempart Sud, tome 1 : Annihilation
Jeff Vandermeer
Au diable vauvert, roman (USA), SF horrifique, 221 pages, février 2016, 18€

La Zone X, mal connue, mouvante, dangereuse. Le Rempart Sud y envoie une 12e expédition en trente ans, 4 femmes : une psy, une géologue, une anthropologue et une biologiste (la narratrice). Une traversée de la Frontière sous hypnose après une longue préparation et évaluation psychologique.
Dans la Zone X, un monde étrange, post-apo, rendu à une nature sauvage, différente, les attend. Briefées a minima, équipées tout autant (la technologie est bannie de la Zone X, pour des raisons nébuleuses), elles doivent rejoindre le camp de base des équipes précédentes avant de cartographier la région et d’y relever tout ce qui leur semblera utile.
Très vite, les quatre femmes tombent sur une bouche de béton qui descend sous terre, qu’elles appellent le tunnel mais que la biologiste s’obstine à appeler la Tour, comme si l’édifice était inversé. Et malgré sa proximité avec un phare au centre des attention des équipes précédentes, la Tour n’apparait pas sur la carte...
Leur exploration est des plus étranges : une matière vivante, fongique, a écrit des mots sur la paroi, une longue litanie aux accents bibliques. La biologiste en respire des spores par accident mais tait cette contamination aux autres.
Puis les choses dégénèrent à grande vitesse. La psy tente de garder le contrôle du groupe grâce à des ordres conditionnés, mais la biologiste réalise qu’elle y est désormais insensible. Leur leader semble savoir plus de choses qu’elles autres.



Jeff Vandermeer est hélas trop peu traduit en France. Je voue personnellement un culte à son désormais introuvable « Cité des saints et des fous » (Calmann-lévy, 2007). Annihilation a été couronné des prix Nebula et Shirley Jackson en 2014. Avant de visionner son adaptation par Alex Garland avec Natalie Portman, descendu par la critique, et maintenant que les 3 tomes de la trilogie du Rempart Sud sont traduits, je me suis plongé dans « Annihilation » avec le moins d’a priori possible, positifs ou négatifs.

Ce n’est pas un roman facile, et pour ceux qui comme moi aiment les réponses, les faits, il faudra repasser. Tout Annihilation repose sur l’inconnu : cette Zone X dont on ne sait rien de la catastrophe initiale, des raisons de son isolement, de son étrange et terrifiante Frontière (qu’on ne verra pas)... ni de la narratrice.
Le roman prend la forme du rapport rédigé par la biologiste, presque une confession. Les effets littéraires de cette rédaction a posteriori émailleront le texte, prédictions de drames à venir, de regrets, de mauvaises décisions lourdes de conséquences. La narratrice nous rappelle également qu’elle nous dit ce qu’elle veut bien, et elle a parfois des pics de sincérité mais elle demeure suspicieuse envers ceux qui liront son rapport.

Au-delà de la tension fantastique de cette exploration d’un monde mort et aux pièges aussi inconnus que probablement mortels, de la remise en question des modes de pensée scientifiques des protagonistes, c’est une histoire de relations humaines, de confiance (ou non) (surtout non) en l’autre. Les quatre femmes sont à couteaux tirés. Leur formation les a dépouillées de leur identité, elles ne sont plus que leur fonction - psy, biologiste, géologue, anthropologiste. La psychologue a un ascendant sur les autres, les a conditionnées sous hypnose pour leur permettre de supporter le choc de la Frontière. Plus que leurs compétences scientifiques, c’est pour leurs forces et faiblesses mentales qu’elles sont là, devine rapidement la narratrice. Les choses dégénèrent vite, dès les premières pages elle nous prévient que l’une va mourir dans les premiers jours et que les autres vont suivre. Tous leurs échanges sont autant de coups portés, d’évaluation des forces de l’autre, de tentatives de prendre le dessus. De s’assurer aussi que les autres ne perdent pas les pédales.

Car c’est la folie qui les guette. Si la plupart des expéditions ont disparu, quelques-uns sont revenus, mystérieusement réapparus dans le monde, mais effacés. Le mari de la biologiste était dans l’expédition précédente. Il a resurgi dans leur maison, de nulle part, mais effacé, l’ombre de lui-même. Vite récupéré par le Rempart Sud, il est mort comme les autres, dans les 6 mois, d’un cancer. Bien qu’elle s’en défende, la biologiste est aussi à sa recherche, dans la Zone X, à la recherche de son journal. À marcher dans ses pas, elle cherche une rédemption inutile, elle se cherche elle-même, elle cherche la compréhension de ce qu’elle est au plus profond, et qu’elle nous laisse entrevoir avec quelques souvenirs d’enfance. Elle court après des regrets d’une vie de couple sans communication. Ce qui se cache dans la Tour souterraine va, en quelque sorte, l’y aider. La détruire. La retourner. Toute cette expérience, toutes ses découvertes, toutes ses hypothèses impossibles à vérifier vont la changer. Cela donne, en creux de cette aventure violente et horrifique, un très beau portrait d’une femme blessée, solitaire, aveugle, qui va s’éveiller à une autre vie, une vraie, vibrante.

« Annihilation » tient du thriller scientifique et du huis-clos, dans des décors lovecraftiens. Comme la narratrice, on avance dans un flou total, sans réponses à nos questions, sans garantie que nos maigres éléments de base soient certains. Sans faire confiance aux autres. Sans savoir dans quoi on met les pieds. En tant que lecteur, il faut l’accepter, autant que ce second filtre d’une confession qui ne dit pas tout non plus. Qui ne trouve pas les mots pour dire l’indicible, qui en choisit certains qui ne conviennent pas, plus sensitifs que descriptifs parfois, comme la luminescence qui s’empare d’elle. Tous ces filtres, parfaitement maîtrisés par l’auteur (et on salue le traducteur Gilles Goulet au passage - il a dû bien s’amuser...) rendent un hommage magnifique à l’horreur lovecraftienne. Mais on peut s’interroger sur leur rendu à l’image. De même que la forme littéraire, au plus proche des pensées de la narratrice, nécessiterait sans doute une voix off quasi omniprésente, étouffante jusqu’à la saturation, pour bien retranscrire la tension mentale qui est la sienne.

Je regarde le film et je vous dis ce qu’il en est. (MAJ / SPOILER : Alex Garland n’a pas du lire le même livre que moi. beurk. Beurk beurk beurk beurk)

Pour les plus téméraires, sachez qu’« Annihilation » peut parfaitement se lire seul, pour peu qu’on préfère la beauté du texte aux réponses de l’univers imaginé et que la suite, « Autorité », met en scène une autre équipe et promet lesdites réponses.


Titre : Annihilation (Annihilation, 2014)
Série : Le Rempart Sud, 1/3
Auteur : Jeff Vandermeer
Traduction de l’anglais (USA) : Gilles Goullet
- Édition originale
Couverture : studio éditeur
Éditeur : Au Diable Vauvert
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 221
Format (en cm) : 20 x 13 x 1,5
Dépôt légal : février 2016
ISBN : 9791030700213
Prix : 18 €
- Poche
Éditeur : Le Livre de poche
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 240
Format (en cm) : 18 x 11 x 1
Dépôt légal : septembre 2017
ISBN : 9782253183785
Prix : 7,10 €



Nicolas Soffray
5 janvier 2019


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