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Praërie, tome 2 : Le Secret des Hoams
Jean-Luc Marcastel
Scrineo, roman (France), fantastique, 446 pages, avril 2015, 16,90€

Vincent, Lo’hiss et Séfan fuient Forroc avec la fillvolmort qu’ils ont arrachés à l’horrible sort auquel les prêtres la condamnaient. Pyr couvre leur fuite, mais c’est s’enfoncer en territoire tabou, à Labjank, au-delà de la barrière protectrice de Vivagues, qui leur assurera de ne pas être poursuivis. Mais là-bas, les dangers pullulent davantage encore. Mais Vincent doit entrer dans l’ancien labo de son père pour y trouver la formule de décompression. Las ! malgré les exploits guerriers dont ils doivent faire preuve, le soldat ne trouve qu’un message vidéo. Mais la piste n’est pas perdue : le code, gravé sur un « Sedrôme », doit être encore intact, l’objet étant vénéré comme une relique par les fillvolmorts, une société matriarcale qui a adopté la structure des guêpes. Mais leur nouvelle amie, qui s’est rapprochée de Lo’hiss, y est-elle encore la bienvenue ? Il faut l’espérer, car même sil le temps s’écoule plus lentement, il n’en reste pas beaucoup à Vincent.



Le second volet de « Praërie » capitalise sur les qualités évoquées dans la chronique du « Monde des Sinks » : un univers très proche rendu terrifiant par le changement d’échelle, une société très complexe jusque dans les défauts qu’elle met en lumière.

Le trio est ici complété de la fillvolmort délivrée. Danseuse mortelle, totalement endoctrinée dans une haine des mâles, elle subit de plein fouet son sevrage de gelée royale, qui déclenche les transformations adolescentes de son corps. Le jeune fille, qui n’a pas de nom, bascule alors dans la terreur de devoir rejoindre la caste des Pondeuses si elle rejoint son camp. Mais ces changements s’accompagnent d’un intérêt (réciproque) pour Lo’hiss, qui aura du mal à s’exprimer (les mâles ne savent pas parler aux filles, quelle que soit leur taille). De son côté, elle réprime des sentiments qui l’excluraient définitivement de sa caste, du sien il se refuse à réitérer son attitude avec la douventre. Cela le travaille en dedans, avec la certitude de ne pas devoir tout gâcher, tout comme il a admis la sauvagerie du viol auquel il s’est livré.
En pleine période de mise en avant des relations hommes/femmes, le romans de Jean-Luc Marcastel tombe à pic et devrait être mis entre les mains de tous les ados. Il y décrit sans mièvrerie le développement du sentiment amoureux, et l’incapacité des garçons à exprimer ce qu’on leur a toujours présenté comme une faiblesse.
Dès le tome précédent, avec des femelles (les douventres) surprotégées, cloitrées et uniquement destinées à la reproduction, à la survie de l’espace, et la parole donnée à des personnages masculins - j’y inclus Séfan, puisque elle cache son genre pour échapper à ce sort - on avait pu voir comment une société peut endoctriner sa population et enfermer chacun dans une caste avec ses devoirs et ses privilèges. Et comment ceux qui détiennent le pouvoir peuvent faire des femmes, et de la disposition de leur corps, une récompense pour les plus « méritants ».
Avec les fillvolmorts, on a donc la société inverse. L’identité et les mérites individuels sont gommés, fondus dans l’anonymat des masques de guêpes et des castes. Les femmes dominent, les mâles ne servent qu’à la reproduction... et à l’alimentation. C’est le même horreur qui saisit nos héros en faisant ce constant qu’à la découverte du Doigt de Douventre, et Vincent leur en fera le reproche : si les fillvolmorts se voulaient plus justes que les Sinks de Forroc, à vouloir punir leurs bourreaux, elles sont tombées dans les mêmes travers.

Du côté de la trame, la densité du fond et l’épique des péripéties feront oublier la linéarité prévisible de l’histoire : La formule n’est pas là où on l’attend, mais on sait où chercher, on la trouver, on va à l’hélico, mais un nouveau monstre fait obstacle, etc. Idem sur les dessous de l’histoire : rien des événements survenus il y a 20 ans n’était accidentel, et le vrai méchant est celui attendu. Et il sera puni, comme de juste. Mais qu’importe, car Jean-Luc Marcastel nous ficelle ce thriller fantastique au millimètre et que, s’adressant à des ados et jeunes adultes, son histoire est déjà si dense, le vocabulaire de son univers si riche (avec des noms propres et une langue compressée) qu’un peu de « simplicité » n’est pas un défaut mais bien une qualité. On sent même qu’il joue avec délectation avec certains codes de la fantasy (la prophétie de Vimarty la messie).
Car jamais il ne perd de vue - et nous non plus grâce à l’alternance de narration - que ce qui fait l’originalité de son histoire, c’est justement cette alternance entre deux cultures, deux appréhensions totales de l’univers radicalement différentes. Les lieux tabous (Labjank, le Mur) provoquent des réactions intenses chez les Sinks. Même si Séfan et Lo’hiss ont été élevés par Pyr et que Vincent leur répète depuis leur rencontre que les Hoams ne sont pas des dieux, toute une éducation ne se balaie pas d’un revers de main. Tandis que pour Vincent, ces lieux sont plus familiers que les villes des Sinks, il y a ses repères, il sait ce qu’ils sont, qu’il n’y a point de magie dedans. Il lui faut juste se rappeler régulièrement que des choses insignifiantes (bébés araignées, fourmis, lézard) peuvent être des dangers mortels lorsqu’on fait à peine 5 mm)

L’aventure se clôt sur une bataille dantesque, un conflit total qui permettra de faire repartir les Sinks sur de meilleures bases (s’ils survivent). Même dans les pires moments, l’auteur sème des traces d’espoirs, et rares sont ses personnages totalement négatifs ou soumis à leurs plus violentes pulsions. Jul ou Lauran montrent leur humanité, même si c’est parfois tard. Enfin l’auteur nous propose un long épilogue, imprégné d’optimisme, pour nous montrer que chez les Sinks, à défaut de chez les Hoams, un nouveau départ est possible. Les plus grincheux crieront à la guimauve, mais ce sont des grincheux.

Et si en tant qu’adulte j’ai parfois râlé devant la simplicité du scénario, j’ai dévoré ce second tome aussi avidement que le premier : l’immersivité est totale, et tous les personnages sonnent terriblement vrais. On pourra parfois trouver quelques longueurs ou redites dans l’expression de leurs sentiments (le chagrin de Vincent pour sa vie passée et son amour pour Séfan, surtout) mais ces passages contrebalancent les moments d’action pure d’une extrême tension. Jean-Luc Marcastel ne tombe pas dans le piège de la surenchère : son univers et sa narration sont tellement denses qu’une intrigue alambiquée aurait rendue illisibles les multiples rebondissements qui nous tiennent en haleine jusqu’à la fin.

Bref, un roman trépidant, un univers fabuleux et aussi bien trouvé que maîtrisé, mais aussi une réflexion profonde sur nos sociétés, notre rôle, celui qu’on nous assigne et celui qu’on décide de jouer. A mettre entre de nombreuses mains !


Titre : Le Secret des Hoams
Série : Praërie, tome 2/2
Auteur : Jean-Luc Marcastel
Couverture et illustrations : Isabelle Dumontaux
Éditeur : Scrineo
Collection : Jeunesse & jeunes adultes
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 446
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2015
ISBN : 9782367402864
Prix : 16,90 € (à cette date, l’édition papier n’est plus disponible mais vous le trouverez aux formats numériques)



Nicolas Soffray
20 novembre 2018


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