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Livre 1 de la Dynastie des Dents de Lion : La grâce des rois
Ken Liu
Fleuve Éditions, Outrefleuve, roman traduit de l’anglais (États-Unis), fantasy, 844 pages, octobre 2018, 24,90€

L’empereur Mapidéré régnait sur Dara composé de 7 royaumes. Autrefois ils étaient indépendants, se faisaient la guerre, jusqu’à ce que l’état de Xana prenne l’ascendant et unifie l’ensemble sous l’ère du Céleste Diaphane. Mapidéré désirait éradiquer la guerre, entrer dans une ère de paix et pour ce faire, il a divisé la noblesse, écrasé le peuple sous les impôts et fait régner la terreur. Sa folie des grandeurs l’a lancé dans de grands travaux coûteux en main-d’œuvre et ceux qui n’obéissaient pas étaient sévèrement punis, ainsi que leurs proches. À sa mort, son plus jeune fils a accédé au pouvoir. Rien n’a vraiment changé, la situation a même empiré.
Un jour, plutôt que d’arriver en retard et encourir le courroux des soldats, deux hommes ont décidé de se rebeller. Autant risquer sa vie en se battant qu’en courbant l’échine dans l’attente de la sanction. C’est l’étincelle qui a poussé les peuples de Dara à se dresser face aux forces de l’empereur. Deux hommes en particulier vont s’illustrer dans cette lutte : le brigand et beau parleur Kuni Garu et le colosse Mata Zyndu, descendant d’un grand combattant.



Ce roman fleuve de plus de 800 pages s’attache essentiellement aux pas de ces deux personnages liés au destin de Dara.
« La grâce des rois » est fortement imprégné de politique, car le pouvoir ne se gagne pas seulement sur les champs de bataille, mais aussi dans les coulisses. Mata Zyndu est un géant de 2,30 m qui galvanise ses hommes dans l’ardeur des combats, alors que Kuni Garu, tout brigand qu’il était, pense au peuple, à son bien-être et sait s’imposer sans être craint. Les deux n’ont pas du tout la même conception du pouvoir, ils diffèrent sur les moyens de parvenir au sommet, mais après leur première rencontre, le courant passe entre eux, ils s’estiment frères, mais l’ascension vers le pouvoir ne risque-t-elle pas de les changer ?
Ken Liu, connu et apprécié pour ses œuvres de SF, change ici de registre. Il s’intéresse à la fantasy et, pour montrer sa singularité, a inscrit ce roman dans le courant Silkpunk, terme qu’il a inventé pour l’occasion. Cette fantasy est influencée par la Chine, ce qui n’a rien d’étonnant au vu des origines de l’auteur, et il y implante un zeste de steampunk avec des aérostats, l’émergence de la vapeur, des inventions mécaniques... En gros, il s’agit tout de même de fantasy !

Les lecteurs croisent un grand nombre de personnages dans et en-dehors de l’entourage de ces deux hommes appelés à s’élever dans l’histoire de Dara. Une liste des principaux est présentée en entame et un glossaire de quelques termes particuliers se trouve à la fin. De plus, deux cartes figurent dans ce volume. Je n’ai d’ailleurs pas compris l’utilité de la seconde et il m’a fallu un moment pour trouver Rima sur l’autre. Ce sont les descriptions qui m’ont fait deviner le nom quasi illisible, car écrit sur les symboles d’arbres. Il est toujours important de soigner les détails.

Le récit s’avère riche en péripéties et fertile en trouvailles diverses, l’auteur relate comment l’histoire de Dara a changé, comment la rébellion de deux hommes a suffi à la transformer. Le pouvoir est une chose grisante qui modifie tout être qui s’y confronte. Les buts les plus nobles sont parfois oubliés pour la satisfaction d’un homme gagné par l’ivresse de sa position dominante. « La grâce des rois » n’est pas le seul apanage des hommes, les femmes figurent en bonne place dans le récit. Elles inspirent les hommes, les supplantent ou les poussent à se dépasser, et n’hésitent pas à devenir actrices de leurs avenirs. L’histoire de Kuni Garu est liée à celle de sa femme Gia qui le pousse même à prendre une autre femme pour qu’elle ne puisse être vue comme une otage. L’équilibre du pouvoir est affaire subtile, manigances incessantes pour tromper l’ennemi. À ce jeu, certains sont bien plus forts que d’autres et bien mieux entourés, ce qui est très important mais demande de la confiance. Les lecteurs traversent les 800 pages sans faiblir, passant par bien des émotions souvent contradictoires.

Ken Liu apporte aussi de l’originalité au contexte en l’imaginant terrain de jeu des Dieux de Dara. Ils sont plusieurs, chacun symbolisant un royaume de Dara et supportant ses champions. Ils se sont accordés sur l’interdiction d’interférer directement dans les affaires humaines, mais chacun à sa façon n’hésite pas à influencer subtilement les choix, à donner un coup de pouce à son favori. Ils ressemblent tant aux simples mortels, prenant plaisir à les voir se débattre et se chamaillant sur leurs interventions, que cela en devient presque amusant.

Les batailles émaillent le roman, ainsi que les traîtrises, car la fin justifie les moyens. Selon les camps, aucun ne les voit de la même manière. Le futur jugera les intervenants. Que retiendront leurs descendants ? Comment jugeront-ils l’empereur Mapidéré, Kuni Garu, Mata Zyndu... ? Le lecteur est pris dans cette toile soigneusement tissée par l’auteur qui le laisse se faire sa propre opinion sur les agissements de chacun. Le récit s’avère d’une grande richesse à tous les points de vue, notamment sur les rapports humains.

Passionnant du début à la fin, « La grâce des rois » montre que Ken Liu dispose de plus d’une corde à son arc. Toutefois, son apport à la fantasy n’est, à mon sens, pas du même calibre que pour la science-fiction. D’un côté, le premier tome de plus de 800 pages d’une trilogie de fantasy et de l’autre des nouvelles et des novellas de science-fiction, comme deux faces d’un même homme qui ne poursuit pas le même but, le premier semblant plus personnel.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, lire « La grâce des rois », porté par de magnifiques personnages et complexe à souhait, revient à lire de la bonne fantasy. Le lecteur prendra du plaisir à suivre les exploits de Kuni Garu et Mata Zyndu.

Ken Liu est un auteur attachant, très porté sur l’humain, et que ce soit en science-fiction ou en fantasy, une fois que l’on a goûté à ses écrits, on n’a de cesse d’y revenir pour retrouver la magie qui s’en dégage.
« La Dynastie des Dents de Lion » démarre sur de bonnes bases et bien des développements futurs s’y profilent. Il reste juste à attendre la traduction du second tome pour retrouver Dara qui s’est imposé aux lecteurs.


Titre : La grâce des rois
Série : Dynastie des Dents de Lion, Livre 1
Auteur : Ken Liu
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Élodie Coello
Couverture : Sam Weber, 2015
Cartes : Robert Lazzaretti, 2015
Éditeur : Fleuve Éditions
Collection : Outrefleuve
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 844
Dimensions (en cm) : 14 x 21
Dépôt légal : octobre 2018
ISBN : 9782265116757
Prix : 24,90 €


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Pour écrire au rédacteur de cette chronique :
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François Schnebelen
15 octobre 2018


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