Une novella de Lucius Shepard décédé en 2014, voilà qui relève de la bonne nouvelle, tant cet écrivain a fait montre d’exigence dans sa carrière, séduisant par son imaginaire et sa qualité d’écriture. Autant dire qu’à l’annonce de sa publication, « Les attracteurs de Rose Street » était attendu.
Le cadre et les inventions ramènent au steampunk, mais il l’enrichit avec des présences fantomatiques révélées par une invention défaillante de Richmond. Ce dernier loge dans la maison de sa défunte sœur dont, à l’écouter, il ignorait tout : sa profession, sa présence à Londres. Il a besoin de Samuel Prothero pour en savoir plus sur son cas. À partir du moment où l’aliéniste suit l’inventeur, c’est comme s’il changeait de monde. Sa description du quartier de Saint Nichol s’avère pour le moins saisissante, il n’y voit que le mal, la décrépitude, la bassesse humaine, la noirceur en opposition avec la société feutrée qu’il fréquente. Le voyage en cab ressemble à une plongée dans les bas-fonds. Lucius Shepard excelle dans les descriptions, il donne vie au cadre de l’histoire, sans qu’à aucun moment ce ne soit lourd.
La demeure de Richmond apporte son lot de surprises qui font passer l’aliéniste par toutes les émotions. Il découvre que le bonheur est sans frontière, remet en cause son plan de carrière, tout en s’empêtrant dans l’affaire qui l’a conduit en ces lieux.
Les jours défilent, deviennent des semaines qui se transforment en mois. La vaste maison sise Rose Street devient quasi celle de Samuel qui y prend ses aises à plus d’un titre et ce d’autant que Richmond est plongé dans ses inventions. Mais dans quel but ?
Lucius Shepard plonge sans faillir le lecteur dans l’ambiance lourde des lieux. Le personnage principal Samuel Prothero nage dans les affres de l’incertitude, il est tiraillé entre ces présences à étudier, ce qui pourrait prendre une vie sans en voir le bout, et sa propre existence qui a pris un tour inattendu dans ce quartier et cette maison de déperdition. Il perd ses certitudes, son assurance vacille, sa carapace de la bonne société se fissure... Le glissement est lent et insidieux.
En moins de 130 pages, Lucius Shepard livre un récit dense, subtil, fascinant par son ambiance lourde et mystérieuse. Le cadre steampunk des « Attracteurs de Rose Street » lui sert à explorer la psyché humaine, à décortiquer les motivations qui animent les individus. Le lecteur ne peut qu’être pris dans la toile tissée par l’écrivain qui fait cohabiter amour et répulsion avec Samuel se débattant sur la frontière, cherchant son équilibre entre la vie et la mort. La tension ne cesse de grimper, l’intérêt demeure soutenu. Autant dire qu’une fois que vous aurez ouvert ce livre, vous ne soulèverez plus la tête avant son terme !
Une fois de plus, Lucius Shepard séduit par son écriture et son imaginaire d’une belle richesse. Conjuguer les deux n’est pas aisé et il le faisait à merveille.
Surtout, ne passer pas à côté de cet écrivain.
Titre : Les attracteurs de Rose Street (Rose Street Attractors, 2011)
Auteur : Lucius Shepard
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Jean-Daniel Brèque
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 15
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 136
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : août 2018
ISBN : 9782843449376
Prix : 9,90 €
Autres titres de la collection
1. « Dragon » de Thomas Day
2. « Le nexus du Docteur Erdmann » de Nancy Kress
3. « Cookie Monster » de Vernor Vinge
4. « Le choix » de Paul J. McAuley
5. « Un pont sur la brume » de Kij Johnson
6. « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu
7. « Cérès et Vesta » de Greg Egan
8. « Poumon vert » de Ian R. MacLeod
9. « Le regard » de Ken Liu
10. « 24 vues du mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny
11. « Le sultan des nuages » de Geoffrey A. Landis
12. « Issa Elohim » de Laurent Kloetzer
13. « La ballade de Black Tom » de Victor LaValle
14. « Le fini des mers » de Gardner Dozois
Lucius Shepard sur la Yozone :
« Le Dragon Griaule »
« Le Calice du dragon » »
« Louisiana Breakdown »
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