Au début du livre figure la dédicace : “À H. P. Lovecraft, avec tous mes sentiments contradictoires”. Pour « La ballade de Black Tom », Victor LaValle s’est inspiré de “L’horreur à Red Hook” de Lovecraft, nouvelle pour le moins controversée. Son sentiment mitigé envers l’écrivain se ressent très bien. D’un côté, il est admiratif de son œuvre, mais de l’autre, impossible de faire abstraction du racisme dont ses écrits sont souvent empreints.
Au fil de ce court roman, Charles Thomas Tester devient Black Tom, son nom change, affichant sa condition dans les années 1920 et aussi son affirmation face à l’injustice frappant les gens de couleur en général. Il suffit de voir l’élément déclencheur, proprement révoltant, mais qui ne génère aucun problème à son auteur. Ce n’est pas sa faute mais celle de Thomas Tester qui a laissé son père seul. Tester ne pouvait que réagir et employer les moyens à sa disposition. Bien sûr, il ne s’agit pas de la justice qui différait suivant la couleur de peau de ceux qui l’invoquait.
Les lecteurs ne pourront pas s’empêcher de faire le parallèle avec ce qui se passe toujours aux États-Unis de nos jours. Combien de fois les forces de l’ordre lynchent-elles quasiment un homme de couleur en disant l’arrêter ? Les temps ont changé depuis, mais les mentalités ont-elles vraiment suivi le même chemin ?
Né d’une mère ougandaise émigrée aux États-Unis dans les années 1970, Victor LaValle ne peut empêcher cette réalité de transparaître au sein du roman.
« La ballade de Black Tom » est découpé en deux parties et la rupture s’avère pour le moins déstabilisante. D’abord, le lecteur s’attache aux pas de Charles Thomas Tester, découvrant ainsi ce qui va le changer ; puis l’inspecteur Malone devient le personnage principal, retrouvant Thomas devenu Black Tom. Ce dernier assiste un homme blanc, versé dans l’ésotérisme et qui veut ramener le roi endormi. Toutefois il faut avoir la force, le courage d’ouvrir la porte de notre monde à cet être dont la simple vue effraie. Seul un révolté est peut-être à même de faire un tel geste...
Victor LaValle décrit très bien le contexte avec les quartiers définissant ses habitants et la triste condition des personnes de couleur. Il dénonce l’injustice, l’inhumanité de certains entraînant la révolte. Et ici, elle est loin d’être anodine ! En utilisant une nouvelle de Lovecraft comme support, il renforce d’autant le message en se réappropriant une œuvre teintée de racisme.
Même si l’action se déroule en 1924, le lecteur ne peut que réagir et établir des parallèles propices à la prise de conscience. Dans « La ballade de Black Tom », le fantastique s’invite et redistribue les cartes. Une réécriture riche et salutaire !
Après le présent roman et le récent « La quête onirique de Vellitt Boe » de Kij Johnson, on ne peut s’empêcher de remarquer cette tendance de certains auteurs à se réapproprier l’œuvre controversée de Lovecraft pour l’expurger de son côté malsain et en conserver la richesse des seules idées. Une redécouverte sous un angle plus favorable.
Titre : La ballade de Black Tom (The Ballad of Black Tom, 2016)
Auteur : Victor LaValle
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoît Domis
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 13
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 150
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : avril 2018
ISBN : 9782843449338
Prix : 9,90 €
Autres titres de la collection
1. « Dragon » de Thomas Day
2. « Le nexus du Docteur Erdmann » de Nancy Kress
3. « Cookie Monster » de Vernor Vinge
4. « Le choix » de Paul J. McAuley
5. « Un pont sur la brume » de Kij Johnson
6. « L’homme qui mit fin à l’histoire » de Ken Liu
7. « Cérès et Vesta » de Greg Egan
8. « Poumon vert » de Ian R. MacLeod
9. « Le regard » de Ken Liu
10. « 24 vues du mont Fuji, par Hokusai » de Roger Zelazny
11. « Le sultan des nuages » de Geoffrey A. Landis
12. « Issa Elohim » de Laurent Kloetzer
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