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Mort de la terre (La)
J.H. Rosny aîné
Bibliothèque Nationale de France, collection les Orpailleurs, anticipation ancienne, 178 pages, avril 2018, 12,50€


« La poésie magnifique et mystérieuse était morte. Plus de vie sauvage, plus même de ces étendues presque libres : les bois, les landes, les marais, les steppes, les jachères de la période radioactive. »

Présente-ton encore « La Mort de la terre  », un bref roman initialement publié en épisodes au cours de l’année 1910, et qui, en un peu plus d’un siècle, a bénéficié d’une bonne quinzaine de rééditions ? L’avenir décrit par Rosny est empreint de la nostalgie d’un paradis perdu, de l’époque où l’homme vivait encore en équilibre avec la nature, l’époque où fleuves et forêts n’étaient pas de simples souvenirs. Un passé dans lequel l’avenir existait encore, plutôt que cette « agonie qui durerait cent millénaires », et qui, plus que par la folie des hommes, semble causée par des évènements naturels, tremblements de terre incessants et remaniements géologiques érigeant de nouvelles montagnes, creusant de nouveaux gouffres, aboutissant à la disparition des réserves d’eau dans les profondeurs de la terre. Au cœur de quelques derniers oasis, en compagnie d’oiseaux qui ont évolué jusqu’à pratiquer des rudiments de langage, quelques centaines, quelques milliers d’hommes peut-être, survivent en sociétés organisées, toujours capables d’utiliser la technologie, comme des planeurs, des motrices, ou des résonnateurs permettant de communiquer à distance. Entre ces sanctuaires, des paysages de granit, de silice, sans un brin d’herbe, sans même un lichen, à travers lesquels erre une espèce nouvelle, les ferromagnétaux, des créatures lentes, nées du métal travaillé par les hommes, régies par des lois physiques incompréhensibles, et anémiantes par proximité.

Les séismes détruisant ces oasis les unes après les autres, ces petites sociétés, à court de vivres et d’eau, finissent par pratiquer l’euthanasie collective : « Nos joies misérables et nos débiles tristesses valent moins que la mort. » En découvrant de l’eau souterraine. Targ, un individu qui refuse tout défaitisme, sauve pour un moment la colonie des Terres Rouges, puis, lorsque celle-ci disparaît, il préfère chercher le salut ailleurs plutôt que d’en finir. Son espoir : trouver une nouvelle oasis, refonder le monde. Il sera à deux doigts d’y parvenir, il sera le dernier homme.

Court roman d’une centaine de pages, « La Mort de la terre  » n’a pas vraiment vieilli. Si l’on y trouve ici et là un lexique passé de mode et une poignée de tournures anciennes, la thématique apocalyptique semble à peu près indémodable et, dans son caractère poignant et désespéré, émeut toujours autant. Qui plus est, cette « Mort de la terre » trouve plus d’un écho dans le temps présent, particulièrement en ce qui concerne les inquiétudes au sujet des ressources en eau – citons parmi les auteurs contemporains Paolo Bacigalupi, qui aborde ce thème sous forme de roman (« Water Knife ») ou de nouvelle (“Le Chasseur de tamaris”, dans le recueil « La Fille-flûte »). On pourra voir dans ces ferromagnétaux incompréhensibles, mais nés du fer travaillé par les hommes, et qui indiscutablement vont lui survivre, sous une forme encore embryonnaire, ces machines dont la science-fiction a toujours craint qu’elles ne finissent par nous remplacer, le fameux « Successeur de pierre  » de Jean-Michel Truong. Et si Rosny aîné se garde bien d’attribuer la lente apocalypse aux humains, on notera qu’il considère le moment où l’homme parvient à saisir la force enfermée dans le cœur des atomes comme un sommet avant sa chute, qu’il mentionne, comme en passant, le déclin et la disparition irréversible d’espèces animales sauvages au profit d’animaux d’élevages dégénérés, et qu’il parle en même temps de progrès considérables et d’une population excessive, bien au-delà des vingt milliards d’individus, avant que ne commence l’inexorable processus aboutissant à la mort de la terre.

« Le mouvement des torches dans l’ombre de la cour fut une fête pour les fous. »

« La Mort de la terre » a toujours été publié en compagnie de nouvelles, souvent différentes en fonction des éditions. Le présent ouvrage sélectionne treize contes parmi les trente-deux que Rosny avait choisis pour accompagner « La Mort de la terre » dans sa première publication en volume (Plon, 1912). Parmi ces treize contes, douze n’avaient pas été repris depuis cette date. Le lecteur pourra donc savourer “Le Hanneton” (une folle considérée comme inoffensive viendra à bout de l’un de ses gardiens en dupant les vieux de la vieille, un récit empreint d’un humour noir et grinçant), “La petite aventure” (où la méditation sur la fragilité de toute chose se trouve rapidement et tragiquement confirmée par un fait affreux), “Mon ennemi” (un court western joyeusement cruel), “Dans le néant” (entre crime par omission et récit naturaliste), “Le Condamné à mort” (le souvenir d’un avocat qui décrit une scène peut-être plus terrible que l’exécution elle-même), “L’Alligator” (aventure, drame et passion), “La plus belle mort” (Eros et Thanatos comme toujours mêlés, en une histoire à la fois épouvantable et belle), “Les Pommes de terre sous la cendre” (que l’on pourrait qualifier de conte édifiant et moral), “La Marchande de fleurs” (également), « Après le naufrage » (héroïsme et vilenie chez le même individu), “Le Quinquet” (joli conte merveilleux et fantastique, dont la véritable héroïne est une lampe porte-bonheur), “L’Avare” (une étonnante ruse romantique), et enfin l’effarant et grotesque “Le Lion et le taureau.”

On ne paraphrasera pas le préfacier qui écrit fort justement au sujet de l’auteur que “son écriture varie selon les sujets de chaque conte, la forme s’adaptant au fond” et que les nouvelles ici reprises peuvent se considérer à plusieurs niveaux de lecture. Ce sont des récits à la fois stylés et féroces, de ces récits comme on savait si bien en écrire à l’époque et dont on a l’impression que l’art s’est perdu – des friandises pour le lecteur, des contes dans lesquels on trouve ici et là des petites touches à la Bierce ou à la Maupassant.

Belle publication, donc, entre un classique jamais oublié et une douzaine de contes à redécouvrir. Un regret, un reproche tout de même, l’absence de table des matières qui apparait inexplicable. Mais ce sera bien le seul défaut pour ce joli volume au format intermédiaire qui bénéficie d’une intéressante préface de Roger Musnik, et, comme les autres volumes de la collection, d’une élégante couverture due à Hokus Pokus.


Titre : La Mort de la terre et autres contes
Auteur : J. H. Rosny aîné
Couverture : Hokus Pokus créations
Éditeur : Bibliothèque Nationale de France (édition originale : [Plon], 1912)
Collection : Les Orpailleurs
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 178
Format (en cm) : 12,5 x 20,5
Dépôt légal : avril 2018
ISBN : 9782717727722
Prix : 12,50€



Hilaire Alrune
3 avril 2018


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