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Laverie (La), tome 3 : Le Memorandum Fuller
Charles Stross
Exoglyphes, roman (Grande-Bretagne), fantastique, 304 pages, 2017, dès 3€

Bob Howard travaille toujours pour la Laverie, le service secret du surnaturel de Sa majesté. Angleton, son supérieur SAT - Sorcier Affreusement Terrifiant, un type sans âge passé maître dans l’art de la rétention d’information - l’envoie dans un musée de l’armée inspecter un bombardier. Sans bien sûr lui en dire plus. Du coup, les choses dérapent sévère et Bob est sous le coup d’une enquête - une procédure... douloureuse. Au même moment, Mo, sa compagne épistémiologiste de combat, revient d’Amsterdam - opération CLUB ZERO, et ç’a a été tellement affreux que le gus qui a posé le verrou sur tout cela a forcé la dose, l’empêchant, même sans détails, de s’épancher à la maison.
Bien que mis en vacances forcées, Bob reçoit des devoirs d’un Angleton qui a mystérieusement disparu - un fait très inquiétant. Notamment un dossier BARON SANGLANT sur un fou d’Europe de l’Est au début du XXe siècle, dont l’adjoint, un surnommé Théière - dossier classifié, nous n’êtes pas habilité - semble aujourd’hui encore le sujet de bien des convoitises...
Et cerise sur le gâteau de l’angoisse, un dossier a disparu des archives de la Réserve. D’autres incidents viennent étayer l’hypothèse d’Angleton : il y a une taupe à la Laverie.
Et devinez qui va la trouver en jouant l’appât ?



Le cycle de la Laverie de Charles Stross est un monument qui mêle adroitement horreur, mathématiques pures et humour très noir. La magie étant une histoire de maths, le développement de l’informatique a permis l’essor d’un bouclier pour l’Humanité contre l’Apocalypse. Temporairement, du moins, car l’équation de la fin du monde est insoluble et son échéance inévitable. A Bob et ses confrères de la retarder le plus possible. Super perspective professionnelle, qui plombe également tout désir de fonder une famille.
Dès « Le Bureau des Atrocités », nous avions fait connaissance avec ce genre très particulier de mesquineries bureaucratiques et de luttes contre des « choses » lovecraftiennes. Dans ce tome encore, les fournitures ont un rôle très important, et c’est plus explicite - un truc de contingence de proximité, vous verrez. Dans « Jennifer Morgue », on s’attachait à d’autres formes de magie, notamment les geis, et Bob se retrouvait dans un scénario de James Bond, avec ses règles propres, mais pas dans le rôle qu’il croit.
Et jusqu’à l’an dernier, cela s’arrêtait là. Robert Laffont n’avait pas publié les tomes suivants, quand bien même « Codex Apocalypse », le 4, raflait le Locus 2013 (excusez du peu) et « Equoid » le Hugo de la novella 2014 (re-excusez-moi). Plus récemment, le roman « Accelerando » n’a pas été traduit par un grand éditeur mais par Piranha- même s’il a été repris par le Livre de Poche, comme toute la bibliographie de l’auteur.
Ce désintérêt des grands éditeurs de SF pour Stross, je serais bien en peine de l’expliquer, et ne peux que le déplorer, et du coup applaudir à deux mains les initiatives de Piranha et pour la Laverie, le travail d’Exoglyphes.

Exoglyphes découle de l’éditeur associatif 500 Nuances de Geek et se propose de traduire des monuments de la SF injustement délaissés. Plutôt qu’un crowdfunding ponctuel, couteux en communication, c’est une autre forme de financement participatif qui est proposé : le tip, pour assurer la pérennité du projet, et d’autres à venir. Il a aussi l’avantage de permettre aux intéressés de se raccrocher à tout moment au truc, et de l’abandonner idem. Actuellement, pour 3€, vous pouvez accéder à tout ce qui a déjà été produit. Vous pouvez donner plus, tous les mois, vous impliquer, etc...

Mais revenons au roman. Quoique non, j’en ai déjà dit beaucoup. Juste ajouter que les choses vont aller de mal en pis, et qu’à l’instar d’Angleton, Stross est un maître pour lâcher les infos au compte-gouttes. Normal, me direz-vous, dans un service où le secret est primordial. On ne se coule que davantage dans les bottes de Bob Howard, qui avance en aveugle les trois quarts du temps. Cruauté supplémentaire, quand il peut enfin lire certains dossiers, l’auteur se garde de nous révéler quoi que ce soit, se délectant de ne nous laisser en pâture que la confirmation des pires craintes de son héros. Ne vous attendez pas à lire « oh, ce n’est que ça... » L’horreur qui menace la race humaine, et dont hélas quelques éléments, ici des cultistes « enc... de chèvres » pour reprendre l’expression de Bob, sont partie prenante, est toujours pire que prévu.

C’est un savant dosage d’humour noir, de terreur fantastique, de routines ordinaires et surnaturelles qui fait tout le sel de la Laverie. Une avalanche de vocabulaire complexe, entre la magie, les relations politiques, les codes de l’armée et l’organigramme occulte, fait exprès de nous ensevelir, pour mieux nous désorienter. Mais au 3e tome, on sait où on a mis les pieds, et c’est un plaisir de se faire piéger aux côtés d’Howard (bon, il morfle, et pas qu’un peu, tandis que nous sommes bien à l’abri derrière notre écran. Quoique...). L’employé mal tombé entre les griffes du service anti-occulte est plus désabusé que jamais, plus rodé aux arcanes du travail dans ces étranges bureaux... Bref, il a victorieusement survécu jusqu’à la quarantaine, par un mélange de compétence, de débrouillardise et le développement d’un instinct de survie hybride aussi efficace dans un cimetière la nuit que dans les bureaux londoniens.
On n’accroche pas ou on adore définitivement. Je suis addict, et ce « Memorandum Fuller » d’environ 300 pages m’aura scotché 72h à ma liseuse toutes affaires cessantes. Question de vie ou de mort. Voire de fin du monde. Ce doit être un glamour puissant, autant que l’iPhone l’est pour Bob dans le roman. L’appareil, initialement appelé JesusPhone, deviendra le NecronomiPod après une mise à jour pas vraiment régulière. Les nombreuses références aux cultures pop, geek et imaginaire sont un régal, car toujours incluses pour une bonne raison, tissant un nouvel imaginaire foisonnant, intriqué dans le nôtre, mais ô combien plus sombre et dangereux.

4 nouvelles et la novella « Equoid » ont d’ores et déjà été traduites, le tome 4 est en cours.
Vous pourrez aussi découvrir « Le Dernier Anneau », une saga de fantasy russe qui reprend le monument de Tolkien mais du point de vue des orcs, déjà un succès dans de nombreux pays, et tout aussi délaissé en France.

Saluons donc cette excellente initiative, soutenons (à la mesure de nos moyens) ou pas, car la fin du monde est pour bientôt.
Mais pour chaque jour de plus à ne pas être un zombie, un esclave des Profonds, des Chtoniens ou un hors-d’oeuvre sur le buffet des Grands Anciens, remercions Bob Howard, Mo, Angleton et of course, Charles Stross.


Titre : Le Mémorandum Fuller (The Fuller Memorandum, 2010)
Série : La Laverie, tome 3
Auteur : Charles Stross
Traduction de l’anglais (GB) : David Creuze
Couverture :
Éditeur : Exoglyphes (crowdfunding non lucratif) / 500 Nuances de Geek
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 304
Format numérique : PDF, ePUB sans DRM
Dépôt légal : mai 2017
ISBN : N/A
Prix : à partir de 3 € sur tipeee



Nicolas Soffray
11 mars 2018


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