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Empire des Tempêtes (L’), tome 1 : Hope & Red
Jon Skovron
Bragelonne, roman traduit de l’américain (USA), fantasy, 422 pages, mars 2017, 22€

Hope est la seule rescapée de son village d’une île du Sud, où les biomanciens impériaux ont décimé la population pour une expérience de magie à grande échelle. Secourue par un capitaine marchand, elle a grandi dans un monastère de moines guerriers vinchen, sous la houlette du sage grand maître Hurlo. Jusqu’à ce que d’autres membres de l’ordre découvrent cette hérésie - initier une fille à leurs techniques ! Hope doit fuir, sur l’ordre de son maître, en emportant Chant des Larmes, une épée capable de contrer la magie des biomanciens. Recueillie par le bateau du capitaine Carmichael, elle va apprendre à se faire respecter des marins et découvrir le monde et ses règles pas toujours justes.
A Laven-la-Nouvelle, île principale de l’empire, Red s’est retrouvé à la rue à la mort de ses parents. Affligé d’yeux rouges à cause de la consommation de drogue de sa mère, il n’aurait pas fait long feu sans Sadie, une loubarde qui décide d’une occasion pour s’improviser pirate, jusqu’à ce que le vent tourne. En quelques années, Red devient un voleur habile et beau parleur, une figure incontournable des bas-fonds du quartier miséreux de Cercle Paradis. Avec son fidèle ami Bouche-trou, qui veut devenir honnête, il monte des coups aussi audacieux que lucratif, allant jusqu’à s’en prendre à Drem, le caïd du quartier. C’est alors qu’il croise Ronce, une fille débrouillarde et pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Mais malgré ses efforts, l’alchimie ne prend pas.
Et un jour, Carmichael débarque avec Hope. Pour Red, c’est le coup de foudre. Mais les choses dégénèrent : le second de Carmichael le trahit pour complaire à Drem. la jeune femme veut venger son mentor, et Red est tout disposé à l’y aider, pour ses beaux yeux, d’autant que cela pourrait hâter la chute de Drem.
Mais les choses vont s’emballer. A la recherche d’appuis contre Drem dans les autres quartiers, Hope et Red découvrent le marché noué entre le caïd et les biomanciens...



Avec son « Empire des Tempêtes », Jon Skovron nous propose de la fantasy très contemporaine, préférant les huis-clos et les bas-fonds, le destin de petites gens plutôt que de héros-nés, dans la lignée des « Salauds Gentilshommes » de Scott Lynch. Si c’est plaisant, notamment parce qu’on y retrouve les mêmes ingrédients, y compris les décors maritimes et une vengeance compliquée à assouvir, ne nous voilons pas la face, c’est un cran en-dessous, malgré les bonnes idées de l’auteur.

On commencera par ces biomanciens ; mages capables d’agir sur le vivant (y compris eux-mêmes), ils prennent des allures de savants fous à la botte de l’Empereur. Comme traverser les océans pour s’en prendre à un village isolé et tester une guêpe tueuse sur la population, certes c’est discret mais ça prend du temps en voyage, on comprendra qu’ils fassent aussi du travail à la maison. Et que ramasser les traîne-savates des bas quartiers, voire les faire ramasser par les caïds locaux, c’est quand même plus pratique. Seuls pratiquants d’une magie présentée comme mortelle et imparable, ils sont craints et haïs. Pour contrebalancer ce pouvoir, l’ordre vinchen, des moines soldats, est quant à lui indépendant, fidèle à l’Empire, non à l’Empereur. Fait exprès ? les deux groupes sont fermés aux femmes, le premier parce que les biomanciennes seraient trop puissantes et incontrôlables, le second... parce que c’est comme ça. Et l’auteur, via Hope et un personnage très secondaire, de nous ressasser sans aucune finesse la leçon sur l’égalité hommes-femmes. Bref.

Au chapitre des bonnes idées, comme l’essentiel de l’intrigue se déroulera à Cercle Paradis, c’est un argot local, qu’on retrouvera dans un lexique en fin d’ouvrage, une trentaine de termes et expressions pour faire ambiance. C’est soleil pour c’est super, mectons et midinettes pour gars et filles, je ne blâmerai pas Olivier Debernard pour le choix des termes, mais leur suremploi, comme si les miséreux n’avaient pas droit à la même langue que les bourgeois, peut finir par fatiguer.

Malgré ces remarques, ne croyez pas que « Hope & Red » soit mauvais. Loin de là, les aventures des deux jeunes gens sont trépidantes. Elles manquent juste d’originalité pour tout lecteur expérimenté de fantasy, et l’intrigue sent le scénario de jeu de rôle. On suit leur enfance, leur entraînement mutuel, Hope est une vierge guerrière avec une connaissance livresque du monde mais aussi une compréhension fine des hommes, grâce au microcosme relativement protégé dans lequel elle a grandi. Red, après une enfance douloureuse, un père prostitué aimant et une mère artiste qui sombre dans le drogue, survit à la rue, et en gamin habile et intelligent (ce n’est pas un hasard) il devient le meilleur voleur du quartier. Deux personnages surpuissants qui pourront donner le maximum, voire plus, à mesure que les événements leur en feront baver.

On pourra s’amuser un temps du coup de foudre à sens unique et des espoirs douchés de Red, si au fil des heures (c’est trépidant, je vous ai dit) on ne voyait pas Hope s’attacher à lui. Pas encore au point de rompre ses vœux, mais bon... et la carapace de Red qui se fendille le rend encore plus touchant. Si cela n’avait pas été vu et revu cent fois. Bon, c’est bien écrit, et donc pas déplaisant à suivre, mais on sait pertinemment où l’on va. Et on ne sera « pas déçus ».

Les objectifs des deux héros se rejoignent, la vengeance échappe à Hope pour un temps, les poussant dans les beaux quartiers, sur les traces de l’ancienne vie de Red. Après des retrouvailles familiales explosives, le petit groupe s’enrichit d’un cousin naïf du monde mais inventeur de génie, puis d’une biomancienne reniée elle aussi prête à tout pour abattre l’ordre. Le groupe est au complet, les dés peuvent rouler.

La conclusion, ouverte et pleine de suspense, surjoue sur des éléments grappillés ici ou là dans l’univers geek, la main de métal de Hope rappelant évidemment celle de Guts, le héros de « Berserk » de Kentaro Miura (LE manga de dark fantasy à connaître) à à défaut celle de Jaimie Lannister, quant au pouvoir latent de Red, on ira pas chercher trop loin, puisqu’on parle ouvertement de programme de super-soldat pour l’empire, donc entre Osborne dans « Spider-man » et les mutants d’Umbrella dans la saga « Resident Evil »...

Rien de mauvais, encore une fois, mais peu de choses originales, hormis peut-être le passé de Red (des passages d’ailleurs fort bien racontés, avec sensibilité et une dramaturgie modérée), un agrégat qui pourrait sans mal passer pour du fan-service. les méchants sont prévisibles au possible, autant que le switch final, de plus guère convaincant. Je n’ai pas retrouvé le choc quasi visuel et viscéral de « L’Ange de la Nuit » de Brent Weeks, l’originalité du « Fils renégat » de Miles Cameron, le dépaysement de « Sharakhaï » de Bradley Beaulieu ou même la densité de « Blood Song » d’Anthony Ryan. Pour ne citer que le catalogue anglo-saxon de Bragelonne, dont je suis loin d’avoir tout lu.

On passe un bon moment, car le rythme est soutenu et l’écriture plutôt agréable, mais les lecteurs novices y trouveront sans doute davantage leur bonheur. Encore une fois, ce n’est pas un défaut : il faut de bons ouvrages « moins » mémorables, pour s’initier au genre en douceur, et il est parfois agréable de voyager en terrain connu, au prix de quelques clichés et archétypes. Ne serait-ce que pour mieux apprécier ensuite un bouquin qui casse les codes. C’est un ancien ado qui a dévoré les Royaumes Oubliés (tronçonnés par Fleuve noir) qui vous l’écrit.
Le tome 2 devrait nous faire suivre, c’est la promesse de son titre, deux autres personnages. Espérons être agréablement surpris.


Titre : Hope & Red
Série : L’Empire des Tempêtes, tome 1
Auteur : Jon Skovron
Traduction de l’anglais (USA) : Olivier Debernard
Couverture : Johann Bodin
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 422
Format (en cm) : 24 x 15,5 x 3,2
Dépôt légal : mars 2017
ISBN : 9791028102500
Prix : 22 €


L’empire des tempêtes :
Hope & Red
Bane & Shadow
Blood & Tempest


Nicolas Soffray
27 décembre 2017


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