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Baiser de la Déesse (Le), tome 1
Aprilynne Pike
Pocket, PKJ, roman (USA), fantastique, 330 pages, février 2017, 17,90€

Tavia n’a pas la vie de tout le monde. Cette lycéenne, unique survivante d’un crash aérien, se remet lentement de ses blessures physiques et psychologiques. Recueillie par ses jeunes oncle Jay et tante Reese, suivie par Elisabeth, psy attentionnée, elle reste fragile, traumatisée par la mort de ses parents et la violence de l’accident, qui lui ont effacée de grands pans de sa mémoire.
Heureusement, elle a un ami fidèle, Benson, qui travaille à la bibliothèque, où il l’aide à rattraper son retard scolaire. Et un soir, depuis la voiture, elle croise le regard d’un magnifique inconnu, habillé à la mode d’il y a deux siècles, une étrange chaleur la parcourt, une attraction irrésistible... Mais quand ce même inconnu, Quinn, réapparaît sur la pelouse devant chez elle, elle hésite entre deux frissons... Peur ou passion ?
Et puis tout s’accélère : Benson lui avoue qu’il craquelle pour elle, un mystérieux étranger à lunettes noires la suit, ses tuteurs ont une attitude étrange, des gens disparaissent sous ses yeux, et elle se découvre capable de voir des signes invisibles et de créer des objets éphémères... Enfin, Jay, Reese et Elisabeth se révèlent de mèche, et membres d’une mystérieuse organisation, et Tavia apprend qu’elle n’aurait plus qu’un semaine à vivre. Trahie, elle fuit, avec Benson, le seul en qui elle peut avoir confiance. Elle fuit sur les traces de Quinn, sur les traces d’un passé qu’elle a oublié. Du temps où elle et lui étaient des dieux.



Aprilynne Pike est une jeune autrice américaine à succès, diplômée en creative writing. Pour ceux qui ne le sauraient pas, aux USA écrire des romans cela s’apprend. Le problème, à mon goût, c’est que cela formate très souvent la prose produite ensuite. Je vous conseille à ce sujet l’excellent documentaire Best-seller à tout prix. C’est édifiant.
Je n’ai pas lu ses romans précédents, ni sa série « Wings » traduite en français, mais ce livre-ci m’a semblé hélas révélateur... « Le Baiser de la déesse » n’est pas un mauvais roman ni une mauvaise histoire. C’est juste un énième roman américain pour ados, bourré de tics et de clichés typiques des fictions littéraires ou télévisuelles d’outre-Atlantique, sur le fond (romance, fantastique créationniste) et que la forme structurelle, justement, je pense, parce que l’autrice sort de “creative writing” (et s’en vante).

L’intrigue se met en place très vite : tandis qu’on apprend le passé récent de Tavia, on découvre son quotidien et ses proches, et déjà l’élément perturbateur (la première rencontre avec Quinn) apparaît. C’est efficace, immédiatement captivant. Quand les pièces commencent à s’assembler, nouvelle révélation : tout cet univers est factice, c’est un complot, on ment à l’héroïne, qui doit fuir avec le seul être qui lui est fidèle et sincère. Mais oh, devinez quoi ? à mi-roman (page 188), une nouvelle bribe de conversation surprise, et on a la confirmation que Benson est lui aussi impliqué, dans le mauvais camp, même si Tavia ne le comprendra qu’au dernier moment, quand le Grand Méchant (TM) appellera le traître à ses côtés. Évidemment, c’est une situation qui le met mal à l’aise, car il est réellement tombé amoureux de sa cible, et donc il va se sacrifier pour lui sauver la vie, en s’opposant à ses chefs.

Sur le fond, et bien qu’on puisse admettre que l’accumulation de révélations et la tension continue de la course-poursuite empêchent de penser à tout, il faut attendre longtemps (la page 190, sous les 2/3 du livre) avant que Tavia n’envisage que Quinn puisse être un fantôme ou une forme d’hallucination. Quand bien même elle a le pouvoir de créer des objets (tube de Labello, eau, nourriture ou liens métalliques), qu’elle voit des gens disparaître en pleine rue, et qu’elle fait des cauchemars fort réalistes, la réalité tangible de Quinn, qu’elle n’a jamais touché, lui était jusqu’alors indiscutable.
Viennent également, après la fuite et la quête du passé, les deux grands moments de révélations, où par un procédé magique Tavia retrouve la mémoire de ses vies antérieures, celle de Becca, la compagne de Quinn, mais aussi les souvenirs de sa vie d’avant. Car ils étaient des dieux, ils étaient là au début, ils ont créé les hommes, ils étaient des Pharaons (ah, l’Égypte antique à toutes les sauces) puis il y a eux des dissensions, les perdants ont été déchus et incarnés dans leurs créations mortelles, deux sectes se sont formées, l’une qui veut les aider, l’autre les anéantir. Et qui n’ont jamais chercher à se détruire mutuellement, non, elles se contentent de leur mission.

Déesse, une lourde charge pour les épaules d’une lycéenne disloquée et en perte de repères. Et quelle surenchère permanente : sorcière, X-(wo)men, cela ne suffit plus...
A partir de là, l’intrigue nébuleuse va reposer sur des éléments de complots millénaires qu’on avalera avec plus ou moins de difficultés...
Terminons sur l’affrontement final entre Tavia, qui accède à la pleine puissance de son pouvoir (cela aura un coût, quand même) et la dirigeante de la méchante secte, qui est aussi une déesse. Vous voyez ce que cela peut rendre en 16/9, avec effets spéciaux de boule de feu et tout ? Ou, pour le décor de forêt hivernal, « Le réveil de la Force » et le duel Kylo et Rey (bon, je vous l’accorde, celui-ci est postérieur au roman)... C’est le but. Une écriture nerveuse, très visuelle, où la tension et l’action font oublier les faiblesses et les énormités scénaristiques. Dommage...

Et pour finir, vraiment... ah, non ? une fin ouverte, et la découverte que le tome 2, « L’Amour de la Déesse », sort ce mois-ci en français.

Parce que sur le fond, c’est une grande histoire d’amour. Parce que les deux divinités sont des âmes sœurs qui se nourrissent mutuellement de leur amour, au fil de leurs réincarnations. Et qu’avec Tavia, malgré les soins d’une secte et à cause des méfaits de l’autre, depuis la fin du XVIIIe siècle, et la mort de Quinn et Becca, ils ne se sont pas retrouvés, et à chaque rencontre manquée leur pouvoir s’amenuise, et ils finiront par mourir (et les méchants gagneront), d’où l’urgence ! D’où ces 8 jours qu’il restait à Tavia pour s’éveiller ! D’où la nécessité qu’elle retrouve la réincarnation de Quinn et qu’ils tombent amoureux, même si elle en aime un autre ! Ah, cruel destin !
Cliché habituel : c’est toujours au dernier moment, à la dernière chance... et que cela marche. Regardez « Edge of tomorrow » avec Tom Cruise : un nombre incalculable de journées répétées, mais miraculeusement lorsqu’il perd son pouvoir, il arrive à tuer le méchant du premier coup !

Vous l’aurez compris, ce que vous pourriez apprécier comme un roman bien conçu n’a à mes yeux que les défauts du modèle certes bien travaillé mais déjà cent, mille fois répété. L’énormité du « secret » derrière les mésaventures de Tavia, cette toute-puissante révélée alors qu’elle se croyait si faible, brisée, cabossée, engendre un brutal bouleversement, un changement de mentalité de l’héroïne qui devient d’un coup, « comme par magie », une super-héroïne. Débutante certes, et on s’attend donc, dans la suite, comme dans toute fiction d’apprentissage, aux tout aussi habituels hauts et bas de la maîtrise de ses nouvelles capacités, leur contre-coup, leurs limites... Revoyez « Spiderman » deux fois rebooté.

Pour enfoncer le clou, signalons aussi quelques erreurs d’inattention, comme les ricochets sur une rivière censée être gelée, une BMW où on dort bien au chaud malgré la vitre arrière explosée (p. 150-161) et éventuellement une douche chaude qui efface 24h de fatigue (p. 209-215).

Une écriture efficace, un rythme soutenu, mais une construction vue, revue et une intrigue fantastico-romantique sans originalité font du « Baiser de la Déesse » une lecture agréable mais très vite oubliable.

Pour ceux qui iraient visiter le site de l’autrice, son dernier roman « Glitter » me fait penser à l’excellent « Sang Maudit » d’Ange paru cet été chez Castelmore...


Titre : Le Baiser de la Déesse (Earthbound, 2014)
Auteur : Aprilynne Pike
Traduction de l’américain (USA) : Cécile Chartres
Couverture :
Éditeur : Pocket
Collection : PKJ
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 330
Format (en cm) :
Dépôt légal : février 2017
ISBN : 9782266250443
Prix : 17,90 €



Nicolas Soffray
16 novembre 2017


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