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Métaphysique du Vampire
Jeanne-A Debats
ActuSF, nouvelles (France), fantastique, 376 pages, août 2015, 9€

Navarre cumule. Breton, un demi-millénaire au compteur, changé en vampire parce qu’il possède un exceptionnel don pour le pistage, est un chasseur. Et pour éviter de devenir une proie, celle de ses congénères ou des humains, il s’est mis au service d’une petite association de teigneux : le Vatican. Contre une relative amnistie de sa condition -faut pas rêver, cela ne lui ouvrira pas les portes de Là-Haut- et un nom de code super-classe mais dont l’ironie lui donne quelques nausées - Raphael- il traque ses congénères et autres monstres plus humains... Et surtout, il évite de trop réfléchir. Enfin, il essaie.



Figure emblématique la trilogie « Testament » (« L’Héritière », « Alouettes », et dont le 3e tome, « Humain.e.s, trop humain.e.s » paraît ce mois-ci), Navarre est un vampire atypique, ne serait-ce que parce qu’il se nourrit essentiellement de ses semblables, voire en a fait son cœur de métier, bourreau de l’Outre-monde. Mais avant de travailler à l’étude de Géraut, il pointait au Vatican, et le train-train quotidien n’était pas de tout repos.
Dans “Métaphysique du vampire”, le voilà dans les années 60 sur la piste d’un bourreau nazi réfugié à Rio. Le Vatican l’a « prêté » au Mossad, cherchez pas à comprendre. Si plane le doute que la cible a les canines qui poussent, la mission ne sera pas de tout repos dans le pays du soleil. L’enquête s’enlise entre l’épouse et la maitresse du fugitif, l’étrange pouvoir de son frère reclus, et alors, quand le panthéon local s’en mêle et se met à donner des ordres, la coupe est pleine. Mais il est des forces avec lesquelles on ne discute pas... Et dans la villa-bunker où l’autre s’est réfugié, Navarre va devoir déployer toute sa puissance, car l’adversaire s’avère un monstre de taille...
La première personne, que Jeanne-A Debats maîtrise à la perfection, nous plonge dans l’intime de cet immortel qui, bien qu’il s’en défende, voire s’en empêche, réfléchit beaucoup. La balade vaut le coup, la plongée dans le Rio des années 60, entre lumière et bidonvilles, nous immerge tête la première dans la poussière, la crasse et les ordures. Un détour par le folklore local rajoute une couleur chaude, loin des ors poisseux et froids du Vatican, et la plongée à bout de souffle dans la tanière high-tech du nazi nous rappelle qu’en matière d’horreur, l’Homme est le pire des monstres. Que celui-là mette en difficulté Navarre est terrifiant, car nous venions à peine de nous attacher au vampire et à son humour !
Lance” revient quelques années en arrière, alors que l’Europe résonne du bruit des bottes du Reich éternel. La division ésotérique est en train de préparer un coup de p..., et devinez qui doit aller à la rame chercher Lancelot qui pionce sur Avalon ? C’est Navarre. parce que voilà, quand les Méchants réveillent un dragon, il faut un preux et pur chevalier pour brandir sa lance face à lui. Mais voilà, l’idéal chevaleresque en a pris un coup avec les années, et si le bellâtre inspire quelques pulsions charnelles à Navarre, il se révèle cependant tellement niais et bas du front que le vampire en a bientôt sa dose, et a hâte de se débarrasser de son rutilant boulet, dès sa mission accomplie. Et puis quand on peut faire plaisir et que ça débarrasse... Sous cette forme encore une fois propice à une gouaille acide et un humour très sombre, se tissent une nouvelle fois quelques paradoxes dans la coopération entre chapelles et quelques joyeusetés purement germaniques aux yeux bleus. Le croisement entre les mythes judaïques et pré-babéliens et l’ésotérique fanatique du Reich, à faire pâlir le scénariste d’« Hellboy », méritait bien comme réponse un Navarre au mieux de son humeur.
Ovogénèse du vampire” est plus court mais fort distrayant, avec un petit voyage dans le temps, ses modifications possibles, et pour les lecteurs de « l’Héritière », un Herfauges très en forme.
La Fontaine aux serpents” nous envoie dans un avenir relativement lointain, nous garantissant donc que Navarre durera jusque-là. L’Humanité s’est installée dans l’espace, faute d’avoir su prendre soin de la Terre, voire d’avoir hâté sa fin. En pleine élection politique décisive, fruit de nombreuses alliances souvent contre nature, la future présidente du conseil est retrouvée morte, et Navarre est envoyé enquêter, pour son plus grand déplaisir. L’autrice déploie ici tous ses talents pour nous dépeindre un avenir complexe, un panier de crabes politique où le religieux et l’économique ne se cachent même plus mais s’entremêlent encore plus étroitement. Les progrès techniques et leurs conséquences sur les corps sont au cœur de l’histoire, la victime défendant des matrices synthétiques qui délivreraient les femmes de l’enfantement (et accessoirement du spectre du viol), ce qui permet à Jeanne-A Debats de pousser très loin la réflexion sur le corps féminin. De loin le texte le plus dense et difficile d’accès du recueil, mais aussi, du coup, le plus riche. Navarre y est presque en retrait, mais donnera le fin mot, cruel et violent.

Comme tout ActuSF, la postface est la cerise sur le gâteau, et elle est ici signée par un spécialiste des vampires, Jean Marigny.

Si ce petit recueil fera découvrir, aux ignorants, toute la palette du talent de Jeanne-A Debats, on ne pourra que regretter qu’il n’y ait ici que 4 textes parmi la douzaine d’aventures de Navarre publiées çà et là. Patience, patience, cela viendra sûrement...


Titre : Métaphysique du Vampire (nouvelles)
Contient :
- Métaphysique du vampire
- Lance
- Ovogenèse du vampire
- La Fontaine aux serpents
Auteur : Jeanne-A Debats
Postface : Jean Marigny
Couverture : Damien Worm
Éditeur : ActuSF
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 376
Format (en cm) : 18 x 11 x 2
Dépôt légal : août 2015
ISBN : 9782917689912
Prix : 9 € / 3,99€ en numérique



Nicolas Soffray
3 novembre 2017


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