Dernier volume du Secret de l’Inventeur, « Le Pari du Traître » est mené tambour battant, histoire de ne pas nous dépayser. N’hésitez pas à reprendre vos notes, car la légion de personnages secondaires et leurs nombreux liens (parenté/amitié) donnent un peu le tournis. La richesse de l’univers d’Andrea Cremer se retourne contre les étourdis ! Néanmoins, entre les multiples rebondissements, les triangles amoureux, les allégeances de situation et les trahisons réelles ou simulées, sans parler des simples suspicions, il est facile de s’y perdre si vous n’enchainez pas la lecture des 3 volumes.
C’est le principal reproche qu’on peut faire à l’histoire d’Andrea Cremer, même si cela peut sembler paradoxal : une trop grande densité, tellement d’aventures parfois expédiées en un chapitre (la bataille de La Nouvelle Orléans ne dure que le temps du 28e, soit une dizaine de pages) avant de sauter à autre chose ; des groupes qui se font et se défont très vite, au point que les relations naissantes et contrariées deviennent un imbroglio digne d’un soap, au même titre que les trahisons, ou soupçons de telle. Charlotte, au centre de cette pelote, cumule les aspects politiques et sentimentaux de l’intrigue, et fait le lien entre tous les personnages. On aimerait parfois presque qu’elle nous épargne la visite de courtoisie à tel ou telle, mais chacun est essentiel au bon déroulement de l’intrigue.
Rappelons, à toutes fins utiles, qu’au cœur de cette histoire se trouve Grave, enfant ressuscité par son inventeur de père, mi par la technologie, mi par la magie, et dont l’attachement à un camp ou l’autre pourrait faire basculer le conflit. A lui seul, il est redoutable : quasi immortel, plus fort qu’aucun homme... L’empire rêve d’une armée de super-soldats tels que lui.
Grave, plus tout à fait mort mais pas vraiment vivant, est détaché du monde, bien qu’il voue un attachement sincère à Charlotte, qui est la seule à vraiment se soucier de lui comme d’un être humain et non une machine ou un enjeu militaire. Le contraste entre les deux personnes, les plus positifs de l’histoire, est toujours saisissant. L’une est passionnée, et cela lui joue parfois des tours (les deux tomes précédents l’ont montré) quand l’autre est stoïque et préfère suivre le sens du courant plutôt que lutter contre en pure perte.
Du côté sentiments, tandis que Linnet doit se résoudre à voir s’effriter sa carapace, les événements facilitent la décision de Charlotte entre les deux frères Winter, puisque, ô grande surprise, Coe s’avère le traître ! Mais Charlotte, avec son bon fond, ne se résout pas à le renier, convaincue qu’il y a du bon en lui (...), que l’agent double n’est pas « la même personne » que le jeune homme prévenant qu’elle a côtoyé ces dernières semaines. Les raisons de sa trahison « forcée » lui laissent espérer le meilleur. Andrea Cremer réussit plutôt, dans ce dernier volume, à accroître le fossé entre ces deux visages de Coe, sa part sombre s’approchant d’un fanatisme réaliste pour la cause impériale et son inévitable domination. L’histoire lui donnera tort, car les Français cachent bien leur jeu. Les thèmes du choix, du libre arbitre, de la fidélité à ses idées et des dilemmes moraux sont au cœur de ce volume, avec Coe et Charlotte. Trahir ou mourir ? Trahir, c’est probablement causer d’autres morts, mais œuvrer à en éviter certaines. Mais peut-on sacrifier des inconnus innocents pour sauver une poignée de proches ? Des questions auxquelles sont confrontés les deux personnages.
Après un passage aux mains de l’ennemi, où Charlotte doit jouer la comédie de la collaboration pour mieux donner du temps à la Rébellion, l’aventure se termine en beauté et en explosions, lors d’une contre-attaque aussi audacieuse que meurtrière, où l’on voit Charlotte abattre sans états d’âme des soldats impériaux, en bon soldat qu’elle est redevenue. Puisque, nous avions tendance à l’oublier, c’est sa formation de base, et toutes ces fanfreluches relevaient de nouvelles capacités d’infiltration dans la bonne société impériale. Il est plus facile de tuer un soldat ennemi lambda de loin qu’un adversaire qu’on connaît personnellement, les yeux dans les yeux.
Bref, la victoire finale est un tel choc que beaucoup de choses se résolvent plutôt bien dans un court épilogue nous rassurant sur l’avenir des personnages.
Que dire une fois achevée cette trilogie ? Que tout est plutôt bien dosé. Le sentiment initial d’un steampunk un peu plaqué s’estompe, la survivance des cultes grecs donne une touche originale, la romance sait parfois se faire oublier derrière l’action à toute volée. Même si cela reste une histoire « de fille(s) » et que dans ce climat de guerre nos jeunes héros et héroïnes trouvent toujours le temps de batifoler ou de s’interroger sur leurs sentiments. Dans son dilemme, son renoncement à ne pas y céder puis son constat pragmatique, Linnet rehausse le niveau. Meg également, et l’ambiguïté de son rôle ajoute une dimension manipulatrice à ces rares minauderies. De leur côté, Jack et Ash sont de parfaits chevaliers servants énamourés et impulsifs, conciliants parfois difficilement leur devoir et leurs passions.
Enfin, sur un aspect plus technique, cette surabondance de personnages aux noms désespérément courts (une à deux syllabes) contribue à nous perdre parfois dans le tourbillon de ce conflit et de ces tribulations sur la côte Est. Cela n’entache cependant pas les qualités générales de cette histoire, sa toile de fond originale et les nombreux questionnements moraux soulevés.
Une bonne trilogie, mêlant aventures, romance et choix difficiles, que les ados dévoreront d’une traite !
Titre : Le Pari du Traître (The Turncoat’s Gambit, novembre 2015)
Série : Le secret de l’inventeur, tome 3/3
Auteur : Andrea Cremer
Traduction de l’anglais (USA) : Mathilde Tamae-Bouhon
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 377
Format (en cm) : 22,6 x 14 x 3,5
Dépôt légal : juillet 2017
ISBN : 9782371021327
Prix : 15 €
Le Secret de l’inventeur :
tome 1 : Rébellion
tome 2 : L’Enigme du magicien
tome 3 : Le Pari du traître