La zone autour de la centrale est sévèrement surveillée par l’armée, mais avec un ancien militaire dans leur rang, l’équipe de Sanglier ne met pas beaucoup de temps à prendre le chemin de Pripyat, la ville fantôme. À partir de la barrière, la zone devant eux est devenue leur terrain de chasse, mais Kolia montre rapidement son inutilité en étant incapable de tuer un chien dans une une maison abandonnée. Sanglier ne sait vraiment pas quoi faire de son rejeton, surtout que les choses sérieuses vont bientôt commencer. L’armée rase toutes les maisons en bois aux alentours mais les immeubles de béton de Pripyat sont épargnés. Là-bas, la quantité de chiens errants ayant trouvé refuge dans les rues et les bâtiments désertés par les hommes est assez impressionnante. Voilà une belle récompenses en perspective, surtout qu’un peu de poison dans de la nourriture va fortement aider à faire grimper le nombre de victimes. Le genre de massacre qui n’intéresse pas du tout Kolia. Pravda a par contre trouvé un adversaire à sa hauteur, un chien noir plus proche du loup qui semble être le chef de la meute locale. Toutefois, si les hommes s’intéressent aux chiens, Kolia a éveillé l’intérêt d’un autre groupe, dont les membres se baladent revêtus de combinaison pour se protéger des radiations.

C’est grâce au livre de la journaliste Svetlana Aleksievitch, “La Supplication”, racontant l’après Tchernobyl (Prix Nobel de littérature en 2015), qu’Aurélien Ducoudray eut l’idée des “Chiens de Pripyat”. L’anecdote sur ces chasseurs de chiens ne dure que quelques pages mais cela a suffi pour mettre en marche l’imagination du scénariste. Aurélien Ducoudray est un photographe de presse et un journaliste qui a lui-même réalisé de nombreux documentaires. Il s’est installé récemment dans la bande dessinée avec comme titres majeurs “Grocery” chez Ankama ou encore “L’Anniversaire de KIm Jong-Il” chez Delcourt. Il s’était déjà intéressé à nos amis russes avec l’excellent diptyque “Amère Russie”, déjà chez Grand Angle, qui relatait l’histoire d’une mère à la recherche de son fils en Tchétchénie. Le journaliste nous entraine de nouveau vers l’Est, dans ce qui était encore l’U.R.S.S., pour un événement qui allait marquer irrémédiablement le monde entier : la catastrophe de Tchernobyl. Oui, les années 80 peuvent paraître bien lointaines pour de jeunes lecteurs qui n’étaient même pas encore nés à l’époque et qui n’ont comme référence pour les accidents nucléaires que Fukushima. Seulement, plusieurs décennies avant, le monde avait pourtant été alerté des risques qu’engendrait la mauvaise exploitation et le mauvais entretien d’une centrale nucléaire. Tchernobyl, ce sont 985 000 victimes attribuables aux retombées radioactives générées par l’accident et sept millions de personnes vivant dans les 150 000 km2 de territoires contaminés au césium 137.

Pripyat était alors une ville modèle pour la Russie soviétique. Un terreau de modernisme où la moyenne d’âge était de 25 ans. Il ne fallut que quelques heures pour transformer cette magnifique cité en ville fantôme. Les 50 000 habitants furent évacués en pensant que ce n’était que provisoire. L’histoire des “Chiens de Pripyat” commence six mois après la catastrophe. Ducoudray nous propose de suivre un groupe de ces chasseurs de chiens, grassement payés (par rapport au salaire moyenne d’un soviétique de l’époque) pour ramener des dépouilles de chiens... et se balader sans protections en milieu hautement radioactif. Car Pripyat n’est qu’à peine à trois kilomètres de Tchernobyl. Ducoudray nous raconte l’histoire d’hommes totalement ignorants du danger qui les menace, un danger invisible, impalpable alors que la récompense pour des cadavres de chiens est, quant à elle, bien concrète. À la lecture de l’album, on en viendrait presque à oublier le contexte de leur petite virée, s’il n’y avait les pillards ou cette femme gardant précieusement les statues de Lénine, acte certes symbolique mais parfaitement inutile. Et il y a aussi ces personnages en combinaisons, le visage couvert d’un masque à gaz, dont l’identité nous sera révélée en toute fin de l’album.
Cette histoire démontre bien l’incroyable aveuglement des autorités devant le danger radioactif, l’insouciance de ces hommes vaquant à des occupations proches de la chasse. Toutefois, Christophe Alliel n’a pas représenté Pripyat telle qu’elle était réellement car montrer une cité bien propre, seulement vide de gens, n’aurait pas eu le même impact chez le lecteur qu’une ville fantôme faisant clairement apparaître des signes d’abandon (certes plus anciens que six mois). La couverture de cet album nous montre le travail de recherche et le souci du détail dans les décors. Car l’atmosphère se dégageant de Pripyat est tout aussi importante que les personnages, la ville jouant clairement son sinistre propre rôle dans cette aventure. Christophe Alliel, avec l’excellent travail de Magali Paillat à la colorisation, nous livre des dessins soignés et très réalistes. Le personnage de Kolia est le seul n’ayant pas le réalisme dans les traits des visages qu’ont les autres protagonistes, de la gueule limite psychotique de Pravda à la douce folie de Sputnik. Kolia semble même parfois virer vers le semi-réalisme, comme pour bien le mettre à part des autres car sa destinée n’est pas de tuer bêtement des chiens.

Ce premier tome du diptyque “Les Chiens de Pripyat” parvient à créer une forme de suspens presque fantastique sur une tragédie malheureusement bien réelle, et ne laissera pas le lecteur indifférent face à cette tragédie.
(T1) Saint Christophe
Série : Les Chiens de Pripyat
Scénario : Aurélien Ducoudray
Dessin : Christophe Alliel
Couleur : Magali Paillat
Éditeur : Grand Angle
Dépôt légal : 11 janvier 2017
Format : 235 x 310 mm
Pagination : 54 pages couleurs
Numéro ISBN : 978-2-81894-075-4
Prix public : 13,90 €
Illustrations © Christophe Alliel et Édition Grand Angle (2017)