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Empire électrique (L’)
Victor Fleury
Bragelonne, Le Mois de Cuivre, steampunk, 471 pages, février 2017, 28€

De Victor Fleury, on ne sait pas grand-chose, et pour cause : c’est sous le pseudonyme de Vyl Vortex qu’il a fait ses premières armes en littérature, avec la publication d’une poignée de nouvelles dans des anthologies comme « Sombres félins » (éditions Luciférines), « Dimensions système solaire » (Black Coat Press / Rivière Blanche) ou « Du Plomb à la lumière » (éditions Mille Saisons). Des nouvelles, encore, mais rassemblées en un seul volume et regroupées cette fois autour d’un seul univers, un XIXème siècle uchronique dominé par la France et l’énergie voltaïque : bienvenue dans l’Empire Électrique.



Nous sommes en 1886. L’Empire électrique des Napoléon, servi par des savants tels que Volta, Ampère ou Frankenstein, a assujetti la Grande Bretagne et l’Écosse. Sherlock Holmes est tiré du bagne, où, au prétexte d’activités séditieuses, il était déporté depuis dix ans, pour résoudre à Edimbourg une énigme qui ressemble furieusement à l’Affaire du Collier. Un Holmes plus sarcastique que jamais (dont l’ironie, par instants, tourne à la gouaille française) et toujours doté de capacités de déduction confondantes, des dialogues pleins d’humour, un rythme façon récit d’aventures, des références discrètes ou explicites, comme le recours – que la démarche steampunk rendait inévitable – à des noms comme celui du professeur Moriarty et des lieux tels que les chutes de Reichenbach, autant d’éléments faisant du premier de ces six récits, « Le Gambit du détective  » une nouvelle enlevée et plaisante.

1887 : en Afrique du nord, le capitaine Jean Gailleton, de l’armée coloniale, trouve un homme en train de mourir de soif. Il s’agit de Marc Frankenstein, fils du savant célèbre et à présent disparu, qui lui raconte une bien étrange aventure. Dans ce monde ou Victor Frankenstein est connu comme un savant classique qui, comme Ampère ou Volta, a multiplié les inventions dans le domaine de l’électricité, Victor Fleury, ici encore sur une soixantaine de pages, mêle épouvante, aventures et humour. Avec « Les Légataires de Prométhée », l’auteur semble tout d’abord dérouler un récit moins astucieux que le précédent, mais au fil des pages, en un beau mouvement tangentiel, il fait fusionner à la perfection sa fiction avec celle de Mary Shelley, et – cerise sur le gâteau – s’autorise sur la fin un très bel effet de chute, que les amateurs d’un certain maître de Providence, et eux seuls, sauront pleinement apprécier.

« D’un geste, l’homme masqué rejeta sa cape en arrière, découvrant son exosquelette crépitant d’énergie voltaïque »

« Le Baron Samedi, voûté, découvrit ses dents dans un rictus effroyable. Son rire dément s’envola dans la moiteur du crépuscule. »

Petersburg, Amériques, 1864. La guerre entre nordistes et sudistes n’en finit pas. Les uns ont la bravoure, les autres des armes voltaïques. Le massacre est d’envergure. Dans cette lutte pour l’émancipation, une certain Don Diego de la Vega, malgré son âge avancé, prend une fois encore – et une fois encore sous la forme du célèbre justicier masqué – la défense des faibles et des opprimés. Son exosquelette voltaïque, il est vrai, lui permet de bondir de toit en toi avec plus d’extravagance encore que dans sa jeunesse. Face à lui, entre autres, un certain Tom Sawyer qui a mal tourné. Les Loas et le vaudou s’en mêlent. Et seuls les fins connaisseurs d’un très fameux film d’épouvante sentiront venir, en reconnaissant le nom et le prénom d’un des protagonistes, puis le sort qui lui est fait, la naissance d’une célèbre figure du cinéma fantastique.

« À présent, nous ne sommes que des rouages de la machine industrielle, des fusibles asservis par la technologie voltaïque des Bonaparte ! »

Dans « Comment je me suis évadé du bagne  », ce sont deux très fameux personnages de Victor Hugo que l’on retrouve dans l’Australie de 1888. Gavroche et Cosette, âgés mais toujours révolutionnaires, enfermés au bagne Vidocq, au cœur du désert. En compagnie de célèbres révolutionnaires du monde réel, comme Errico Malatesta ou Clément Duval, de personnalités troubles comme Grigori Efimovitch Raspoutine, de personnages de fiction empruntés à Jules Verne, Sax Rohmer ou Émile Zola, ils chercheront à s’évader de ce gigantesque panoptique de pierre et d’acier, arachnéen et tentaculaire à la fois, perdu au cœur du désert brûlant, et dirigé par un automate semi-humain construit par le Dr Rapperschwyll, connu des seuls lecteur d’Edward Page Mitchell.

« Les deux arcs voltaïques des engins entrèrent en contact, produisant une déferlante électrique qui envoya les machines des combattants valser telles de feuilles au vent contre les flancs du barrage géant. »

On a vu dans les précédentes aventures se profiler le fameux policier Frédéric Larsan, avatar du non moins fameux Ballmeyer, personnage bien connu des lecteurs de Gaston Leroux. Dans « Les Éventreurs », le voilà ministre de l’Empire, au cœur de Lyon, sa capitale, qui abrite le fameux phare de Jules Bourdais, dont le projet, évincé dans le monde réel, a ici évincé celui de Gustave Eiffel. Dans la capitale des crimes affreux calqués sur ceux de Jack L’ Éventreur. Invité à la Faculté de Médecin par un certain docteur van Helsing, le docteur Watson aura affaire à un Raoul d’Andrésy jeune encore (les lecteurs de Maurice Leblanc apprécieront) et rencontrera, entre autres, une certaine Mary Morstan. Il ne pouvait y avoir dans cette histoire épouvantable deux docteurs sans un troisième, et c’est donc le fameux Moreau de H. G. Wells qui revient une fois encore jouer les savants fous. Ici encore, une nouvelle enlevée qui tient ses promesses.

Références toujours avec « A la poursuite du Nautilus  » : entre autres, un inévitable personnage de Jules Verne, un autre tiré d’un roman de Paul d’Ivoi, et un marin tenté par l’écriture apparaissant sous le vrai nom de celui qui sera connu sous celui de Pierre Loti. Mutineries, combats et monstres sous-marins sont au programme de cette aventure se déroulant en 1890, narrée à travers le journal de bord du premier lieutenant d’Abélard Justinien, et où l’on apprend, entre autres, que l’empire pontifical a établi son siège à la Havane, devenue Nouvelle-Jérusalem.

Quel bilan pouvons-nous tirer de ces six nouvelles ? À l’évidence, Victor Fleury a fait le choix d’un steampunk référentiel comme l’était le « Moriarty » de Kim Newman à mi-chemin entre la littérature pour adultes et les récits destinés aux plus jeunes, comme le « Mycroft Holmes » d’Abdul Jabbar.

Pas d’envolées de style, donc (on le regrette un peu), ni beaucoup de vocabulaire d’époque, avec un choix de simplicité d’écriture qui ne permet pas d’instaurer véritablement des ambiances – on n’aura donc pas ces atmosphères victoriennes qui résultent souvent de descriptions plus fouillées – mais propice au rythme, aux dialogues et aux rebondissements. Une écriture qui convient à la volonté de l’auteur de décliner ces histoires de manière plaisante et feuilletonnesque, sans afféteries ni prétention.

Feuilletonesque, donc, avec les emprunts multiples à une littérature souvent populaire et des dialogues pleins d’humour, avec la panoplie habituelle des tromperies, des sosies, des retournements de situation, et même ici et là une pointe de vaudeville. On s’amuse donc, et le lecteur aura intérêt à prêter attention aux noms glissés ici et là, aux éléments évoqués comme en passant, souvent des références à d’autres œuvres ou à d’autres évènements historiques.

On le sait : un des écueils de la démarche steampunk est de vouloir en faire trop. De trop chercher la complicité du lecteur, de trop montrer qu’on a beaucoup lu. De transformer finesse en accumulation et en clinquant. D’aboutir à une situation où l’histoire sert uniquement à faire apparaître des personnages, au détriment du récit lui-même. Un exemple caricatural en était le très discutable « Dracula cha cha cha » de Kim Newman. Si l’on peut reprocher à Victor Fleury de ne pas toujours éviter totalement cet écueil (trop de personnages connus, peut-être, dans «  Comment je me suis évadé du bagne »), force est d’avouer que bon nombre de ses références sont assez finement amenées, et qu’il se garde bien de les mettre en valeur de manière trop ostensible. C’est ainsi par exemple, que l’on apprécie ses allusions lovecraftiennes, lorsqu’il trace un lien subtil entre le professeur Moriarty et « La Couleur tombée du ciel » de Lovecraft, sans citer ouvertement le titre ni l’auteur, dans « Le Gambit du détective », ou lorsqu’il fait glisser le Nautilus au long d’une cité titanesque, engloutie, avec statues de créatures difformes, une cité non pas morte mais endormie et qui, le lecteur s’en doute, ne peut être autre que R’lyeh. Autres exemples de petits détails plaisants, l’on apprend que lors de son séjour en France Holmes était logé au 221 bis rue du Boulanger (facile ? encore fallait-il y penser !), et l’on rencontre en Amérique du Nord un certain docteur Pascal Rougon, rapidement mentionné, mais que les lecteurs d’Émile Zola reconnaîtront.

Un bilan très positif, donc, pour cet amusant premier recueil de Victor Fleury, qui s’est manifestement fait plaisir en rédigeant, avec une inventivité certaine, ces nouvelles que plus d’un amateur de steampunk ou de littérature populaire devrait apprécier. Une fois encore, notons le soin apporté par les éditions Bragelonne à cette collection, avec une belle illustration de Benjamin Carré présentant la fameuse sauterelle voltaïque de la police de l’Empire, les inserts dorés sur la couverture, et la tranche également dorée.

Table des matières :

 Le Gambit du détective
 Les Légataires de Prométhée
 Les Masques du bayou
 Comment je me suis évadé du bagne
 Les Éventreurs
 A la poursuite du Nautilus


Titre : L’Empire électrique
Auteur : Victor Fleury
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 471
Format (en cm) : 15 x 23,6
Dépôt légal : février 2017
ISBN : 979102802449
Prix : 28 €



Un peu de steampunk sur la Yozone :

- « Le Manuel steampunk » par Jeff VanderMeer
- « Anno Dracula » par Kim Newman
- « Dracula cha cha cha » par Kim Newman
- « Moriarty » par Kim Newman
- « Mycroft Holmes » par Abdul Jabbar
- « Steampunk ! » par Etienne Barillier


Hilaire Alrune
5 avril 2017


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