Ken Liu a choisi de décliner cette novella sous la forme d’un documentaire. D’ailleurs le titre entier « L’homme qui mit fin à l’histoire : un documentaire » affiche la couleur. Loin d’être lourd le procédé permet d’explorer les différentes voix intervenant dans l’affaire : les deux scientifiques à l’origine de l’invention révolutionnaire, des professeurs, des journalistes, des hommes politiques, des témoins envoyés dans le camp... tout un panel enrichissant le récit et apportant des éclairages divers sur les conséquences de tels voyages.
Le procédé rendant le passé est décrit et ne manque pas d’une certaine élégance en faisant l’analogie avec les photons. Il explique aussi en quoi il est destructif, ce qui rend justement ces incursions temporelles sujettes à caution. Comment prendre au sérieux un témoin, parti pris avec ce qu’il voit, sachant que ses dires ne pourront jamais être corroborés ? Wei écoute sa conscience, pas forcément la raison qui aurait pu lui apporter le soutien de ses pairs.
« L’homme qui mit fin à l’histoire » s’avère intéressant par le focus sur l’Unité 731 peu connue par chez nous, contrairement aux camps de la mort nazis. Ken Liu nous interpelle sur un plan plus personnel, car il est né en Chine avant d’émigrer aux États-Unis à 11 ans. Il est donc Sino-Américain, tout comme le Pr Wei, son personnage principal avec la nippo-américaine Kirino. Il se focalise donc sur le passé de son pays d’origine et dénonce ces expérimentations orchestrées par l’envahisseur japonais dans la région du Mandchoukouo. L’affaire s’avère bien plus complexe que de prime abord, car l’existence de ce camp a longtemps été démentie et les avancées obtenues au détriment de la dignité humaine ont profité à d’autres qui nient également. De quoi faire réfléchir tout un chacun sur la notion de progrès à n’importe quel prix, sur la guerre qui sert d’excuses à de tels agissements.
Sous forme de documentaire, Ken Liu nous plonge dans un futur proche. Il se sert d’une avancée scientifique pour explorer un pan tragique du passé de son pays natal. Il ouvre aussi le débat sur de nombreuses questions : est-ce un bien que le passé soit accessible ? À qui doit-il l’être ? Qui peut décider de la chose ?... Bien des interrogations demeurent sur la méthode, sur la réaction des gens, des nations, sur la valeur d’un témoignage.
À travers « L’homme qui mit fin à l’histoire », Ken Liu fait montre d’une belle intelligence, il élève le débat sur le voyage temporel et ses conséquences. De plus, il ne le fait pas gratuitement, il dénonce des expérimentations humaines qui ne doivent pas tomber dans l’oubli mais servir de témoins d’alerte pour notre présent.
Une fois de plus, Ken Liu séduit par son imaginaire nourri par sa double culture.
Titre : L’homme qui mit fin à l’histoire (The Man Who Ended History : A Documentary, 2011)
Auteur : Ken Liu
Couverture et conception graphique : Aurélien Police
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Pierre-Paul Durastanti
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Une Heure-Lumière
Numérotation dans la collection : 6
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 110
Format (en cm) : 12 x 18
Dépôt légal : août 2016
ISBN : 978-2-84344-909-3
Prix : 8,90 €
Autre ouvrage de Ken Liu chroniqué sur la Yozone :
« La ménagerie de papier »
Autres titres de la collection
1. « Dragon » de Thomas Day
2. « Le nexus du Docteur Erdmann » de Nancy Kress
3. « Cookie Monster » de Vernor Vinge
4. « Le choix » de Paul J. McAuley
5. « Un pont sur la brume » de Kij Johnson
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