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Pur
Antoine Chainas
Folio, Policier, roman (France), n°801, 346 pages, mai 2016, 7,10€

Sur l’autoroute, un insaisissable sniper se met à abattre des immigrés. Si cela fait en déjà quelques-uns de moins, la chose ne va pas forcément dans le sens de ceux qui s’en réjouissent : pour prendre en toute légalité des mesures à la fois discriminatoires et drastiques, mieux vaudrait que ce soit des immigrés qui s’en prennent aux autochtones. Aussi, quand survient un accident bizarre, ou un assassinat, avec une femme blanche comme victime, qui plus est après une altercation avec des maghrébins, nombreux sont ceux qui voient là un fait divers susceptible de venir soutenir leurs thèses, même s’il faut manipuler quelque peu la vérité.



Patrick Martin, l’époux de la victime, n’a pas spécialement d’affinités pour l’extrême-droite mais il est prêt à pactiser avec le diable pour faire la lumière sur la mort de sa femme et pour punir les assassins. Alice Camilieri, jeune flic métisse absolument dénuée de tout scrupule, et prête à tout pour se faire une place dans la société, a déjà depuis longtemps vendu son âme. Intrigues de couloir et manœuvres politiques l’attirent. Faisant partie de la commission de sécurité de la ville, une ville tenue par un maire quelque peu radical, où elle rencontre des notables et se donne de l’importance, elle s’est laissée embringuer dans le groupe 68, dit aussi Force et Honneur, grand amateur de quartiers paisibles et de ratonnades d’immigrés. Elle est manipulée par le maire, par le groupe 68, par un ancien commissaire également, elle trouve en Martin un candidat idéal pour parvenir à ses fins en le manipulant à son tour. D’autant que le beau-père de Martin, tout comme son beau-frère, qui ne sont pas particulièrement des tendres, essaie de le pousser dans la même direction. Et puis, dans des quartiers ultra-sécurisés, ont lieu bien d’autres manipulations encore. Quant à Durantal, le commissaire en charge de l’enquête, un quinquagénaire en perdition cédant avec délices aux joies de l’avilissement dans l’obésité morbide, il est bien le seul à garder la tête sur les épaules, et, peut-être, à ne pas se laisser manipuler par quiconque.

L’écriture d’Antoine Chainas est fonctionnelle, sans fioritures, et s’adapte parfaitement à son propos. Lorsqu’il essaye de s’en éloigner, notamment avec du vocabulaire anatomique, le résultat est rarement heureux. Ainsi par exemple : « (…) le front haut, dégagé sous la chevelure blonde à l’implantation parfaite, la grande aile du sphénoïde où battait la pulsation des veines temporales ». Belle idée que de remplacer la tempe par la grande aile du sphénoïde, même si ce n’est, sur le plan anatomique, que partiellement vrai (puisqu’il faut considérer surtout l’os temporal, en arrière du précédent), mais on ne peut pas vraiment écrire qu’une pulsation bat, et il est tout à fait faux que des veines temporales puissent battre, un inextirpable cliché du polar (les artères battent, pas les veines). Il n’est pas juste d’écrire « Les épiphyses du vieil homme pâlirent sur la balustrade », à moins qu’il n’ait les mains entièrement écorchées. Tout ceci donne l’impression que l’auteur a sur son bureau un vieux traité d’anatomie et de physiologie humaine qu’il veut recycler, avec des formules particulièrement peu naturelles comme « les muscles puissants des mâchoires qui saillaient sur le confluent intraparotidien, ceux du cou, là où la platysma recouvrait la jugulaire »… soyons sérieux. Quant à une phrase comme « Une brise fraîche, portée par une masse d’air maritime dans la troposphère, leur apportait un soulagement ponctuel via les corpuscules de Meissner du derme papillaire », elle semblera, aux yeux de plus d’un lecteur, relever tout simplement de l’humour involontaire.

L’intérêt majeur de ce roman réside donc non pas dans sa prose, non pas dans son intrigue assez classique reposant sur la fracture sociale, le problème de l’immigration, les peurs bourgeoises, les tentations d’un ordre radical et la dénonciation des manipulations sinistres des tenants d’un tel ordre, qui sont déjà le terreau de bien des polars contemporains, mais dans l’approche et la description de ces enclaves privées coupées du monde, hypersécurisées, dotées de polices privées, vivant en quasi autarcie, uniquement accessibles aux plus riches et aux plus blancs.

Certains lecteurs chagrins seraient tentés de dire que James Graham Ballard a depuis longtemps défriché tout cela, et plus finement, avec des romans comme « Super-cannes » ou « La face cachée du soleil ». Il n’empêche : si Antoine Chainas ne prend pas vraiment de gants pour sa démonstration, il la pousse dans des directions qui lui sont propres, et pour cela construit son intrigue avec suffisamment d’astuce pour que le roman ne prenne jamais un aspect trop didactique. En faisant du protagoniste principal, Patrick Martin, l’employé d’une société chargée de sélectionner les candidats à de telles enclaves, il glisse ses thématiques essentielles dès les premiers chapitres – ces enclaves mais aussi les manipulations auxquelles Martin se livre, qui sont le fondement de son métier pour faire avouer par des moyens détournés ce que ces candidats sont ou ne sont pas, sans poser frontalement aucune des questions que la loi jugerait discriminatoires – puis revient sur ces quartiers privés, par petites touches, parfois dissimulées, avant qu’ils n’émergent comme sujet essentiel du roman.

On s’en doute : ceux qui sont dans ces paradis qui sont aussi des enfers policés façon Big Brother où l’on passe son temps à s’espionner les uns les autres ne valent pas forcément mieux que ceux qui sont au-dehors. On n’en révélera pas trop pour ne pas gâcher le lecteur dans sa découverte de ce roman qui est à la fois une description sans fard du présent et une pointe d’anticipation sociale, mais le lecteur appréciera sans doute le collège sécurisé basé sur le même système, et cette magnifique idée d’un jeune garçon qui n’est pratiquement jamais sorti de cette enclave, sauf à l’occasion d’un pique-nique banal, et même enchanteur, avec les « autres », et dont son père et son frère refuseront obstinément de se souvenir.

Excepté le commissaire Durantal, tous, absolument tous, dans ce roman, finiront d’une manière ou d’une autre par trouver le destin qu’ils méritent. La pureté à laquelle renvoie le titre n’est aucune de ces puretés de façade, de tradition, de race, de religion ou de pacotille auxquelles aspirent ces individus perdus qui ne pensent qu’à se manipuler réciproquement, mais celle du commissaire Durantal qui, en acceptant le monde tel qu’il est, finit par retrouver la lumière. La pureté de ce récit, c’est en définitive celle de ce « noir » qu’Antoine Chainas définit et maîtrise, et qui avec ce roman lui a valu un grand prix de littérature policière amplement mérité.


Titre : Pur
Auteur : Antoine Chainas
Couverture : Plainpicture / the Glint
Éditeur : Gallimard (édition originale : Gallimard, série noire, 2014)
Collection : Folio Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 801
Pages : 343
Format (en cm) : 10,7 x 17,7
Dépôt légal : mai 2016
ISBN : 9782070469277
Prix :7,10 €


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Hilaire Alrune
13 juillet 2016


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