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Generations (The), tome 1 : Alive
Scott Sigler
Lumen, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 462 pages, février 2016, 15€

Se réveiller piquée par un tube dans la nuque, menottée et enfermée dans une sorte de cercueil a de quoi traumatiser. Réaliser que ses vêtements sont trop petits est moins bizarre que ne pas se souvenir de quoi on est, et pas même de son nom... Heureusement pour notre héroïne, une plaque indique « M. Savage »à côté de son « cercueil ». Rebutée par la violence de son nom (mais qui illustre bien la rage dont elle a fait preuve pour s’extirper du truc), elle choisit de s’appeler Em.
Autour d’elle, une pièce bizarre, d’autres cercueils dont elle extrait de jeunes gens qui, comme elle, ont la tête pleine de blancs et des uniformes d’écoliers bien trop courts. Tous, comme elle, savent qu’ils ont 12 ans et qu’aujourd’hui c’est leur anniversaire. Tous ont un symbole circulaire sur le front, mais pas le même : cercle, cercle-crocs, cercle-étoile, demi-cercle, double-cercle...
Certains cercueils ne contiennent plus que des cadavres depuis longtemps desséchés.
Il faut sortir de là, trouver des adultes, à manger, à boire, et des réponses.
Et très vite, le grand problème se pose : qui va commander ?



En 4e de couverture, Lumen décrit la dystopie de Scott Sigler « entre « Sa Majesté des Mouches » et « Hunger Games » ». C’est pas faux, mais le fossé entre les deux est large...
Là où la comparaison avec le grand classique de William Golding saute aux yeux, c’est qu’à mesure que le groupe s’agrandit (de un à six, puis beaucoup plus), on a affaire à cette vieille tendance humaine d’abandonner toute trace de civilisation pour sombrer dans la violence en appliquant la loi du plus fort, tout cela dans un seul but : commander aux autres.

En post-face, l’auteur demande aux blogueurs de ne pas spoiler son intrigue, pour préserver le plaisir de lecture des autres. Il ne faudra cependant pas être grand clerc pour comprendre ce qui se passe, et les lecteurs gavés de dystopie seront moins neuneus que les protagonistes : des ados qui se réveillent dans des « cercueils », tous du même âge, sans souvenirs...

L’intrigue de Scott Sigler passe par les étapes habituelles pour ce genre de huis-clos : sentiment de sécurité, apparition d’une menace mortelle qui est vaincue, découverte d’un refuge, nouvelle menace bien plus mortelle que la précédente... À force de recherches, le groupe des leaders (Em et les « prétendants », loyaux ou traitres) découvrira le fin mot de l’histoire, pas forcément original (là, je vous laisse la surprise).
On ne nous épargnera hélas pas le poncif d’une héroïne toute affolée par ses hormones de grande adolescente devant les corps à demi nus des beaux mâles du groupe, alors que pour mémoire, ils n’ont rien à manger, à boire, nulle part où dormir, qu’ils ignorent où ils sont et l’ampleur des dangers qui les menacent. Sans compter qu’Em s’accroche bec et ongles à son autorité et doit avoir des yeux dans le dos... Bref.

Chacun a des petits souvenirs qui reviennent, ce qui permet à l’auteur de saupoudrer quelques indices et nous permet, ainsi qu’à ses personnages, de comprendre ce qui se passe. Et surtout d’avancer... Certains détails sont intéressants : alors que les noms des personnages semblent venir de toutes les ethnies terriennes (anglo-saxonnes, russes, asiatiques...), les décors et certains termes (comme un nom de dieu, Tlaloc) renvoient à la civilisation aztèque. De quoi émettre quelques hypothèses, qui hélas, ou ô surprise, tomberont à l’eau : nous ne sommes pas dans une pyramide mexicaine.

En revanche, certaines choses restent dans un flou incroyable. Il est évident que les symboles circulaires sur leur front signifient quelque chose, définissent des clans, des castes, eux-mêmes s’en doutent, puisque des groupes se forment par symboles (notamment les cercles-étoiles, physiquement supérieurs, prototypes même des chasseurs/guerriers). Mais jamais personne n’abordera le sujet ! Rien des hypothèses d’Em ne sortira de sa tête.
En toile de fond, Scott Sigler tente d’aborder le sujet de l’inné et de l’acquis. Mais on ne sait pas trop où il va, puisque lorsque les clones (oui, bon, ça va, vous aviez compris) rencontrent leurs originaux, il y a clairement eu des soucis dans le protocole... Em entend des voix, la plupart ont des connaissances qu’ils ne s’expliquent pas, mais surtout les « originaux » ne sont guère surpris de voir certains jeunes marcher dans les pas de leurs modèles (Bishop est attiré par la violence, Aramovski plonge dans la religion... et Em est un leader) alors qu’ils ne sont censés être que des coquilles vides !

« Alive » est un pur produit d’aujourd’hui : un roman où l’auteur distille goutte à goutte les informations, les tronquant souvent pour augmenter le mystère, et dont le rythme soutenu, avec de l’action à foison entrecoupée de scènes d’une grande tension, ne laisse que peu de répit pour se pencher sur les nombreuses incohérences qui le parsèment et qui s’expliquent peu ou prou au fil des pages. Alors oui, c’est très agréable à lire, à dévorer même, mais comme l’héroïne, voire un peu plus, on passe son temps à se poser des questions :
- Pourquoi des jeunes de 12 ans (mentalement) ont-ils de telles idées et de tels arguments sur le leadership ? D’où leur viennent ces réflexions, ces piques typiques de jeunes adultes ?
- Pourquoi, alors qu’ils sont dans le même bateau, une telle agressivité immédiate ? Qu’ils aient 12 ou 18 ans, comment peuvent-ils remettre en cause si facilement l’autorité des autres, chercher à la saper, alors que les dangers rôdent ?
La seule réponse est que quelque chose ne s’est pas passé comme prévu. En fait, au fil des pages, on découvre que rien ne s’est passé comme cela aurait dû...

Bref, là où « Sa Majesté des mouches » voyait le groupe se scinder au fil du temps (et de l’improbable retour des adultes), ici le sujet est une lutte permanente pour le pouvoir, Em n’étant pas la dernière à se justifier qu’elle le veut pas tant parce qu’elle est la plus apte mais parce qu’elle a envie de commander. Il n’y a qu’O’Malley (le beau gosse réfléchi) pour tenter de calmer le jeu, sinon tout se règle à coups d’égo et de regards.

Je suis plus que dubitatif quant à la suite. La fin d’« Alive » marquant une rupture nette et irrémédiable, les jeunes quittant ce lieu sans pouvoir y revenir, ni être suivis, beaucoup d’éléments scénaristiques, liés à leurs originaux, ne pourront plus être exploités. Aurons-nous une nouvelle fois une guerre silencieuse pour le pouvoir, dans leur nouvel environnement ? Le réveil de certaines connaissances poussées, chez certains, va-t-il chambouler les rapports de force ?
Le point le plus intéressant sera sans doute l’explication des symboles frontaux, et le choix sociétal du groupe : recréeront-ils les anciennes castes, quitte à répéter les erreurs du passé, ou sauront-ils restés unis, se mélanger, profiter des forces de chacun ?

J’ai la sensation d’avoir dit beaucoup de mal d’« Alive », mais cela ne m’a pas empêché de le dévorer. C’est une vraie lecture-plaisir, un roman paradoxalement haletant alors qu’on avance dans des ténèbres qui se dissipent lentement. En tant qu’adulte, je trouve seulement regrettable qu’une fois encore, sous prétexte de faire la part belle à la psychologie des ados, l’intrigue soit si peu originale et ses ressorts aussi mécaniques.
Lisez « Sa Majesté des mouches ». Cela fait réfléchir. Puis lisez « Alive ». Et demandez-vous honnêtement dans quel camp vous seriez...


Titre : Alive
Série : The Generations, tome 1/3
Auteur : Scott Sigler
Traduction de l’anglais (USA) : Mathilde Montier
Couverture : David G. Stevenson (montage photo)
Éditeur : Lumen
Pages : 462
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 4
Dépôt légal : février 2016
ISBN : 9782371020696
Prix : 15 €


Et pourquoi les autres s’appellent par leur nom et pas leur initiale de prénom, comme Em ? ;-)


Nicolas Soffray
4 mai 2016


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