Décidément, Hakin est le seul des trois à ne pas être un tueur au service du maître de ce temple. Hakin est un chirurgien voyant les signes de la bête. Seulement, l’alcool est devenu un de ses compagnons préférés, ce qui ne l’aide pas pour sa profession. Malheureusement, les événements s’accélèrent soudainement sous l’influence de la Dragon Queen. Et la première victime sera le commanditaire des trois chasseurs de bête : Jacobson. Sa voiture se retrouve bloquée par des hommes de main de la Dragon Queen mais surtout, il devient la proie du Wurla, cette créature qui fut un temps un humain mais qui donna son âme à la bête et se transforma en monstre. La Dragon Queen ne l’a pas choisi au hasard. Il lui faut plus d’informations sur ces trois tueurs de bête. Elle doit pouvoir s’en emparer ou du moins les contrôler le temps que son plan pour ramener la bête à la vie ne puisse plus être stoppé. Jacobson paiera le prix fort, se transformant lui-même en Wurla et partant chasser ses anciens hommes de main, en commençant par cette chère Lucie.
Il y a des duos d’auteurs qui marquent en peu de temps. “The Beast” réunit deux grands noms de la BD chacun dans son pays. D’ailleurs un bel hommage leur est rendu en introduction de ce tome par l’incontournable Jean-Pierre Dionnet. D’abord Jean Dufaux, est-il encore besoin de présenter ce scénariste de génie, pouvant aussi bien parler de l’empire romain dans “Murena” que de l’empire aztèque dans “Conquistador” ou encore d’Asie du futur dans “The Beast”. Un génie qui n’est pas prêt d’être récompensé à Angoulême car cumulant deux tares, une ancienne et une récente : il est scénariste et c’est un homme... mais je m’énerve tout seul. Le second grand monsieur, peut-être moins connu, est Li Chi Tak, dessinateur chinois. Ce dernier a déjà 20 ans de carrière derrière lui. Si ses œuvres sont souvent diffusées au Japon ou encore Taiwan, son travail s’est peu à peu diversifié en passant au cinéma mais aussi en arrivant chez nous par des séries comme “Spirit”, paru chez Dargaud en 1993.
Qui dit dessinateur chinois, dit dessin en couleur, ce qui fait de “The Beast” un one-shot qui est une parfaite transition entre la franco-belge et le manwha. Le style de Li Chi Tak est réaliste, avec des traits pour les visages se rapprochant du style comics, gardant une approche plus manga pour les personnages asiatiques masculins. L’ambiance est très sombre avec cette cité maudite au sein de la cité ultra-moderne. C’est une confrontation entre deux cultures, deux sociétés : celle moderne où l’argent est roi et où l’exploitation de son prochain est devenu un lieu commun, et celle ancestrale, vénérant des dieux innommables comme la bête, un lieu de perversion, rongé par la magie noire. Si la torture sera omniprésente, les dessins de Li Chi Tak ne sont pas gore, mais ne cachent nullement l’horreur des situations où se retrouvent les trois héros. La bête aura un design classique, sorti de la mythologie chinoise, mais imprégné de cette dépravation qui imprégnera le tome. Li Chi Tak révèle à tous son immense talent aussi bien comme dessinateur que comme coloriste, avec un travail impressionnant qui renvoie dans leur but nombre de réalisations européennes et américaines. Dans un format deluxe, qui est la marque de la collection MadeIn, les dessins sont vraiment mis en valeur, les nombreuses petites cases restant très lisibles.
Un scénario de Jean Dufaux est toujours surprenant et ici, nous ne serons pas déçus. Ce scénariste s’attaque au fantastique horreur avec la même facilité qu’il vous décrit la vie romaine du temps de Néron. Jean Dufaux décide de montrer la puissance des mythes sur l’argent, la puissance de la culture sur le modernisme. Ses trois héros sont très différents et abordent le monde occulte de trois manières très différentes : Hakin, le chirurgien alcoolique ayant un lien très fort avec la cité noire, Wong Jim, à la croisée des cultures qui ne reniera jamais ses racines et Lucie, incarnation du modernisme et du pouvoir occidentale. Les trahisons seront pléthores, les retournements de situation maintiendront le suspens jusqu’au dernier chapitre, même si la conclusion est un grand classique des films d’horreur qui ne surprendra pas les amateurs de films de genre. Jean Dufaux ne prendra pas parti pour l’une ou l’autre des civilisations car la lutte contre la bête s’inspirera des deux mondes. Le format classique de 200 pages pouvait paraître retreint vu la complexité de l’histoire inventée par Jean Dufaux, mais le scénariste parvient à relever le défi et exposer sans ellipse tous les éléments nécessaires à la compréhension de son récit.
“The Beast” est un one-shot de choix, réunissant deux très grands du monde la BD. Le résultat est un manga hors normes qui sort de loin du lot des éditions classiques.
The Beast
Scénario : Jean Dufaux
Dessins : Li Chi Tak
Éditeur français : Kana
Collection : MadeIn
Format : 176,4 x 248, couleur - sens de lecture original
Nombre de pages : 192 pages
Date de parution : 29 janvier 2016
ISBN : 9782505063780
Prix : 19,99€
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