Bruno (Laurent Lucas) est un musicien obsédé par deux choses : la composition de sa musique et la voix de Lisa (Margot Abascal), une mystérieuse jeune femme rencontrée sur un réseau téléphonique « rose ».
Néanmoins, si sa passion de la musique est compulsive, tous les sons passant à la portée de ses oreilles étant aussitôt enregistrés et retraités par ses machines électroniques, l’aventure amoureuse qu’il a fini par vivre avec Lisa est purement exclusive. Il est vrai que Lisa a toujours refusé de se montrer et ne se donne que dans le noir absolu. Bruno est donc accro...
Cette double recherche (créatrice et sentimentale) finit cependant par le rendre de plus en plus réfractaire à toute relation sociale. C’est compter sans le nouveau concierge de son immeuble (parfaitement interprété par Michael Lonsdale) qui va présenter à Bruno l’étrange Monsieur William (remember la chanson de Léo Ferré et retrouvons avec plaisir l’acteur Jean-Pierre Léonardini), un personnage étrange et tout habillé de rouge, qui semble tout savoir de Lisa et de sa vie.
Drame sentimental sur les errances musicales et amoureuses d’un musicien, « Les Invisibles » est aussi un film dont quelques senteurs totalement fantastiques (le mystérieux Monsieur Williams, tout particulièrement) titillent agréablement nos neurones.
Certes, le début est un peu lent, très “cinématographiquement français” en somme, et s’attarde (parfois) trop sur des regards forcément perplexes ou des situations absurdes.
Mais attention, il faut ici concevoir l’absurde comme un élément philosophique nous renvoyant aux interrogations soulevées par Albert Camus et non pas comme une erreur du scénario. L’absurde est dans l’incompréhension initiale et totale que Bruno peut avoir de sa vie, pas dans une éventuelle incongruité du film et de son histoire.
Ainsi, comme tout héros “absurde” acceptant sa condition, Bruno empruntera les chemins de la passion et de la création, prouvant à la face du monde qu’il choisit la vie et l’accomplissement de sa destinée.
D’où la parfaite adéquation du personnage et de sa quête, d’où la logique interne du scénario.
Monsieur Williams, le concierge, Lisa et Noël (le second musicien du duo qui se révèle être Noël Akchoté, directeur musical de la BO également) apparaissant comme les Deus Ex Machina de l’intrigue.
L’acteur Laurent Lucas (Bruno) est comme toujours parfait dans ce rôle de compositeur torturé, mais la bonne surprise vient incontestablement de Lio (Carole) en productrice mécène, s’accrochant à son rôle d’accoucheuse des sons avec une ténacité totalement crédible. Actrice émouvante -et femme dont on ne peut que tomber éperdument amoureux ici- Lio renvoie également le cinéphile vers une vision très rohmérienne du comédien. En n’interprétant pas son rôle -au sens où un acteur joue forcément un autre et n’est de ce fait, plus vraiment lui-même- mais en nous donnant l’impression de le vivre intensément, Lio peut sembler “fausse” dans sa partition et dans sa diction. Pourtant, tout ici est marqué du sceau de la justesse, du vécu et l’émergence d’une vraie substance transparaît et éclabousse le personnage qu’elle interprète. Le rôle central du film est évidemment là.
Impression confortée par une fin ouverte, preuve ultime qu’entre les personnages que l’on n’arrive pas à voir ou à comprendre (Lisa, Monsieur Williams) et les êtres que l’on pense connaître (Carole, le concierge), “les Invisibles” ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Un film étrange et déroutant, dont la qualité de l’édition DVD fait honneur à OF2B, jeune maison dont nous avions déjà (« Aaltra », « It’s All True ») signalé le beau travail par le passé. Bonus logiques et conséquents (3 reportages-interviews, bande-annonce cinéma du film, et « Le Jour de Noël », premier court-métrage de Thierry Jousse).
Notons aussi la sortie quasi conjointe de la bande originale sous forme d’un CD disponible dès le 30 janvier. Les différents compositeurs-interprètes (Noël Akchoté, David Grubbs, Philippe Katerine, Matmos, Red, Andrew Sharpley) mixant habilement l’environnement sonore du film (bruits, voix, soupirs) pour offrir un résultat étrange et très ambiancé. On passe de l’expérimental à des bribes de funk-jazz technoïde, on reprend un bout de Léo Ferré, on s’autorise une incartade variétés, bref, le résultat surprend autant que le film.
Si le réalisateur Thierry Jousse suscite l’évocation du mythique duo Suicide (Martin Rev et Alan Vega) par l’intermédiaire du personnage de Carole dans le film, on serait plutôt tenté de penser à des compositeurs tout aussi iconoclastes (Brian Eno, Robert Fripp, Pierre Henry et même Richard Pinhas) tout en gardant au creux des oreilles le souvenir des tout premiers à s’être lancés dans ces expériences (sans ordinateur SVP, tout en analogique !), à savoir les mythiques The White Noise avec leur « Electric Storm » (disponible chez Island et en import pour le coup).
Certes, et vous l’aurez compris, tout cela (le film et la BO) est sans doute trop pensé sur le fond (et la forme) pour totalement saisir le spectateur. Il eût peut-être fallu se laisser emporter sans restriction par les sentiments -quitte à déraper par instant. Peut-être...
« Les Invisibles » a cependant un double mérite. Il étonne et intrigue tout en faisant passer de véritables émotions. L’imaginaire a des frontières qu’il est bon de franchir, ce n’est pas à la Yozone que l’on vous dira le contraire !
Stéphane Pons
FICHE TECHNIQUE
Les Invisibles
Film Français réalisé par Thierry Jousse (2005)
Édition simple DVD
Éditeur : OF2B éditions, 6, cité Paradis, 75010 Paris
Distribution-vente : One Plus One (France)
Participation : CNC (France) & Canal + (France)
Références :
Presse : Agence Absolument (Carinne Levy-Khalifat assistée de Sofia, Paris)
Sortie : 20 janvier 2006
Prix : Non Communiqué
Bande Originale
Les Invisibles, BO
Direction musicale : Noël Akchoté
Participation de : Noël Akchoté, Davig Grubbs, Philippe Katerine, Matmos, Red et Andrew Sharpley
Édition-Diffusion : Universal Jazz (France)
Promo : Véronique Guégan (Universal Jazz, France)
Presse : Agence Absolument (Carinne Levy-Khalifat assistée de Sofia, Paris)
Prix : 14 euros
CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES ÉDITION DVD
DVD 9, 7,6 Go, Zone 2, Pal, Couleurs
Menu d’entrée français avec photos et accès aux items “Film”, “Versions”, “Chapitres/Chapters”, “Autour du Film/Complements”
Image : format cinéma respecté (16/9 compatible TV 4/3)
Son : Versions françaises en Dolby Digital 5.1 et 2.O (au choix)
Sous-titre : anglais ou aucun, au choix (pas de ST pour sourds et malentendants).
Chapitres : 12 avec photo d’introduction et accès séparés possibles par le menu
Durée : 1h21’59’’ (film) & 29’55 + 17’08 + 5’03 + 7’37 + 1’50 (bonus).
BONUS
Le Jour de Noël (29’55) : le premier court-métrage (1998), plein d’humour et de second degré, de Thierry Jousse (VF et N&B). Une excellente initiative que le rendre disponible sur cette édition et une très belle photographie en prime. Un court qui confirme l’intérêt originel du réalisateur pour la musique et le musicien Noël Akchoté (où l’on devine aussi, auprès de qui Laurent Lucas s’inspira pour son interprétation et sa gestuelle de musicien dans « Les Invisibles »).
Interview de Thierry Jousse et Noël Akchoté (17’08) : le pourquoi des « Invisibles », d’une passion croisée et partagée pour la musique et le son. Où l’on parle aussi de Godard (tiens donc !).
Conversation avec Lio et Margot Abascal (5’03) : un entretien entre les deux actrices, entremêlé d’extraits du film. Intéressants propos de femmes sur le scénario où Lio en surprendra encore quelques-uns (tant mieux !).
Entretien de Laurent Lucas par Thierry Jousse (7’37) : questions-réponses entre le réalisateur et l’acteur sur son interprétation, les acteurs, etc. Mise en scène et montage original de l’interview.
Bande-annonce cinéma (1’50) : un beau montage qui donne presque une vision trop énergique du film.
APPRÉCIATION GLOBALE
Œuvre étrange, presque hybride, imprégnée et baignée par la musique, « Les Invisibles » s’avère être un film atypique et touchant. Du bon cinéma français, complexe et intelligent mais qui ne doit pas faire peur aux curieux.
Belle édition DVD par OF2B, son et images au top, beaux et bons bonus (presque 1 heure de vrais suppléments). Une BO (à paraître le 30 janvier) à l’image du film, qui devrait là aussi intéresser les aventuriers du son.