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Ianos - Singularité nue
Olivier Bérenval
Mnémos, roman (France), science-fiction, 486 pages, avril 2015, 22€

C’est à travers les chapitres consacrés à l’astronaute Sanjay Matheson, aux chercheuses Nathalie Bilodeau et Janet Austen, au journaliste Thomas, à la chargée de communication Maria et à quelques programmeurs et développeurs prodiges en charge de la mise au point d’ordinateurs quantiques que « Ianos, singularité nue », développe un futur proche sujet à des bouleversements d’envergure. Au programme, de la science, des mystères, des « holems » golems ou avatars holographiques d’un individu, la théorie des multivers et des univers-bulles, et quelques autres surprises.



Dans un futur proche, en 2018, un phénomène inattendu dans l’anneau collisionneur de particules du CERN efface une grande partie du paysage et quelques centaines de milliers d’habitants à la frontière franco-suisse. En 2027, une chercheuse téméraire, aventurée dans une faille proche de sa station lunaire, est happée par un mystérieux artefact. En 2027 également, apparaît au voisinage de Jupiter une singularité cosmique, un de ces phénomènes astrophysiques qui menacent l’existence même de la Terre.

« Quarante corps inertes, dont le sien, dérivaient sur le Léthé cosmique à une vitesse de cinquante mille kilomètres par seconde, entraînés vers la Singularité comme des fétus de paille vers des chutes d’eau. »

Une expédition est donc lancée vers ces confins stellaires pour s’approcher au plus près de cette singularité, tenter de mieux la comprendre, de savoir ce que peut réellement réserver l’avenir. Un pari un peu fou. Contre toute attente, et sans doute grâce au soutien des ordinateurs quantiques, elle revient à bon port. Mais, malgré la somme de données recueillies, les experts n’en comprennent pas plus. Entre alors en jeu un dénommé Joshua de Pauw, responsable du Kaïros, mouvement progressiste d’allure millénariste qui pour certains se rapproche d’une secte. Obtenant de manière toute officielle la copie de ces données, faisant à son tour l’acquisition d’un ordinateur quantique, il lance de nouveaux analystes dans leur étude. Son objectif : trouver dans ces données les traces d’une intervention divine, d’un principe pensant qui viendrait à l’appui de ses thèses.

Attention, la chronique qui suit révèle certains éléments majeurs de l’intrigue.

« Dès lors, l’inimaginable devenait possible. »

Dans ce roman, la multiplicité des concepts astrophysiques abordés et des termes techniques employés ne doit pas abuser : sous le vernis de hard-science, l’auteur, malgré des efforts méritoires, n’apparaît pas véritablement comme un expert (notons par exemple une erreur factuelle comme l’affirmation, page 380, du fait que la sonde Voyager 1 a été en 2012 le premier objet à quitter le système solaire, alors que les sondes Pioneer 10 et 11 l’avaient déjà fait à la fin des années quatre-vingts.) Mais les notions scientifiques déclinées au fil des chapitres le sont avec suffisamment de parcimonie et de clarté pour ne pas effrayer les lecteurs peu attirés par de tels développements, et devraient donner aux plus curieux l’envie de se documenter plus avant sur des points précis comme, par exemple, la constante fine ou la limite de Chandrasekhar.

Sur le plan de la technique, on pourra avoir l’impression que l’auteur a suivi des ateliers d’écriture anglo-saxonne : difficile d’introduire un personnage sans chercher à lui donner quelque existence à travers ses problèmes de couple, sans mettre en place l’environnement visuel à partir de la séquence où ce personnage médite accoudé à un bastingage, devant sa fenêtre, à l’abri d’une baie vitrée. La répétition de ces techniques parfaitement transparentes (sans jeu de mots), prête à sourire, tout comme ces dialogues répétés où des sommités scientifiques ou des gens déjà de très haut niveau s’expliquent entre eux des notions de base qu’ils devraient connaître à la perfection depuis leurs débuts professionnels, sinon même bien avant (à titre d’exemple, le passage où Sanjey Matheson demande ce qu’est un test de Turing est tout simplement énorme). On comprend bien la nécessité qu’éprouve l’auteur d’expliquer ces notions de base à des lecteurs dont une partie, sans doute, les ignore ; mais il y a sûrement moyen de le faire sans rendre certains chapitres assez peu vraisemblables. On notera aussi quelques faiblesses scénaristiques, mais aussi scientifiques, dans l’enquête tournant autour des attentats chimiques : que l’on retrouve sur le corps d’un protagoniste indemne des traces de composés neurotoxiques, quand on sait le caractère infime des doses auxquels ils sont efficaces, apparaît bien peu vraisemblable.

Mais ces quelques critiques de détail ne doivent pas pour autant dissimuler l’essentiel : il y a, dans ce roman d’Olivier Berenval, une maîtrise technique étonnante qui ressemble beaucoup plus à celle d’un auteur chevronné, confirmé, qu’au premier roman d’un auteur encore inconnu. La quasi totalité des chapitres happe le lecteur avec une maîtrise consommée des situations, des environnements, des ambiances. Les interactions entre personnages sonnent juste, les personnalités également, sans jamais sombrer vers les stéréotypes, et les près de cinq cents pages s’avalent sans ennui malgré le jeu de cartes temporel, un déroulé d’allers et retours qui triche quelque peu avec la chronologie linéaire. Les aventures de Nathalie Bilodeau dans un univers incompréhensible ont le charme de cette science-fiction ancienne de l’âge d’or, et, si Oliver Berenval n’a pas la puissance d’évocation d’un Peter F. Hamilton dans l’abord d’une singularité ou d’un Big Dumb Object comme les sphères de Dyson dans la tétralogie de Pandore, il est difficile pour le lecteur de ne pas être captivé par les chapitres consacrés aux astronautes s’aventurant au plus près de la singularité pour essayer de la comprendre.

Et ce ne sera qu’une fois les dernières pages tournées, une fois la volte finale accomplie, qui laisse un peu perplexe mais permet de comprendre le pourquoi de ces structures séquentielles et de ces singularités chronologiques, et le pourquoi d’une happy end qui était peut-être un peu trop heureuse pour que l’on y croie réellement, que l’on saisit que l’auteur a promené son lecteur depuis le début. Malin et roublard comme peuvent l’être également, dans des genres voisins, des auteurs comme Georges Panchard ou Frédéric Delmeulle, Olivier Bérenval réussit donc avec ce premier roman une belle entrée en matière.


Titre : Ianos - Singularité nue
Auteur : Olivier Bérenval
Couverture : Atelier Octobre Rouge
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 486
Format (en cm) : 15,5 x 23 x 4
Dépôt légal : avril 2015
ISBN : 9782354083168
Prix : 22 €



Hilaire Alrune
11 juin 2015


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