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Syndrome E (Le)
Franck Thilliez
Pocket, n° 14596, thriller, 509 pages, octobre 2011, 8,10€

On ne présente plus Franck Thilliez, qui est parvenu en quelques années à prendre place dans le thriller français, notamment avec les romans mettant en scène un improbable couple de policiers hors normes, Franck Sharko et Lucie Hennebelle. Mais les amateurs de Franck Thilliez qui ont pris le train de ses thrillers en cours de route ignorent comment ces deux là se sont rencontrés. Un petit retour en arrière, donc, avec « Le Syndrome E », publié au Fleuve Noir il y a quelques années.



Notre-Dame de Gravenchon, en Seine-Maritime. Des employés des travaux publics, lors de manœuvres de terrassement, mettent au jour plusieurs corps non identifiables : les mains ayant été sectionnées, toute identification par empreintes digitales est impossible. Plus curieux, les yeux ont été arrachés, et les cerveaux ont été prélevés, de manière chirurgicale semble-t-il. Le commissaire Franck Sharko, qui, après avoir perdu ses proches, lutte en permanence pour ne pas basculer dans la folie, est chargé de l’enquête.

Dans le même temps, à Lille, un mordu de cinéma, après avoir visionné une vieille bande d’un cinéaste expérimental mythique, devient subitement aveugle. Il compte parmi ses amis une femme-flic particulièrement pugnace, Lucie Hennebelle. Pugnace, elle aura besoin de l’être, car les cadavres vont bientôt s’accumuler sur la piste de la bobine mystérieuse, des cadavres aux assassinats mis en scène avec un sens du spectacle lui aussi cinématographique.

Quel rapport entre ces deux histoires ? C’est ce que découvriront bientôt Sharko et Hennebelle, dont les flairs respectifs les mettront sur la piste d’une histoire commune. Une histoire de manipulations et d’expériences où rôdent les ombres de cinéastes expérimentaux et de savants sans scrupules, mais aussi de la CIA et de la Légion Étrangère, qui semblent trouver leur intérêt dans l’oubli de toutes ces histoires anciennes, car ces histoires se perpétuent dans leur propre ombre. Et si Sharko et Hennebelle pouvaient à leur tour rejoindre les ombres, cela arrangerait finalement beaucoup de monde.

Une enquête à ramifications historiques et internationales, donc, qui conduira Sharko en Égypte où il trouvera parmi ses homologues du Caire des amis et des ennemis, et ne sera pas loin de laisser ses os. Une enquête qui conduira Hennebelle au Canada, sur la piste tragique d’orphelins, d’asiles psychiatriques, de couvents et de sœurs fugitives. Et où elle ne sera pas loin, elle aussi, de laisser sa peau.

On connaît le métier de Thilliez, sa capacité à raviver perpétuellement l’attention, à mêler humanité et horreur, à donner corps à ses personnages avec leurs failles, leurs manies, leurs bizarreries – et même, pour Sharko, une véritable psychose hallucinatoire qu’il parvient tant bien que mal à contenir. Il y a là bien évidemment des astuces, des ficelles, pas toujours invisibles, mais la technique maîtrisée de Franck Thilliez lui permet d’apporter substance à son récit et à ses personnages de policiers, sortes de prédateurs obsessionnels fragilisés qui par des drames intimes, qui par l’érosion psychologique consécutive à la répétition d’affaires épouvantables.

Une des réussites du roman est de parvenir à faire comprendre à quel point Hennebelle et Sharko, confrontés à l’une des victimes et tortionnaires du fameux syndrome E, en ressentent la pleine et absolue monstruosité, alors même que le lecteur décèle dans cette quête frénétique de la connaissance, du fonctionnement et des déviations de l’esprit humain, ainsi que dans l’esprit même de ce personnage ambigu, une égale quête d’un but qui – s’il était atteint – permettrait d’envisager l’atténuation d’un des défauts les plus immondes de l’humanité. Une rédemption, en quelque sorte, qui viendrait dédouaner les chercheurs lancés dans cette quête des atrocités commises, en pleine et entière conscience, pour y parvenir.

Mais le propos est également plus vaste, car il s’intéresse de façon récurrente, et plus particulièrement dans les derniers chapitres à l’occasion d’un dialogue avec un universitaire, à toutes les formes de manipulation de l’esprit humain. Alors certes, il y a bien ces histoires de savants fous (mais hélas pas entièrement), de prélèvements de cerveau, d’électrodes implantées et tutti quanti, qui sont du sanglant, de l’invasif, du biomécanique contre nature, et que d’aucuns pourraient méchamment considérer comme la facette horrifique et pacotille de tout polar, mais il y a aussi, et c’est sans doute plus important, ces conditionnements quotidiens, pas forcément subliminaux, par le son, par l’image, par les agressions imposées, qui ne sont pas des manipulations moins innocentes, ni moins terrifiantes. Une incitation à réfléchir qui fait du « Syndrome E », in fine, un polar à la fois efficace et intelligent.


Titre : Le Syndrome E
Auteur : Franck thilliez
Couverture : Miguel S. Salmeron / Getty Images
Éditeur : Pocket (édition originale : Fleuve Noir, 2010)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 14596
Pages : 509
Format (en cm) : 10,7 x 17,5
Dépôt légal : octobre 2011
ISBN : 9782266211727
Prix : 8,10 €



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Hilaire Alrune
29 juillet 2016


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