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Feed, tome 3 : Red Flag
Mira Grant
Gallimard, Folio, Science-fiction, n°501, traduit de l’anglais (États-Unis), zombies / thriller, 752 pages, février 2015, 10,20€

Dans les décennies à venir, un banal rhinovirus transformé en vaccin fusionne de manière explosive avec un filovirus utilisé comme vecteur de matériel génétique guérissant les cancers. Ce nouveau virus, nommé Kellis-Amberlee, transforme les individus infectés en zombies. La première année, un tiers de l’humanité est touché. Depuis, aux États-Unis, où se déroule l’action, on se débrouille tant bien que mal : les survivants ont la maîtrise d’enclaves relativement sûres où la civilisation telle qu’on la connaît perdure, tandis que de vastes portions du territoire restent infestées. Dans « Feed », Shaun et Georgia Mason, journalistes et blogueurs, mettaient à jour un terrifiant complot politique, Georgia perdant la vie dans l’aventure. Dans « Deadline » Shaun Mason, devenu mondialement célèbre, mais fortement touché par la perte de sa sœur (dont il entend régulièrement la voix) commence à entrevoir des vérités hideuses. Quelque chose serait profondément pourri dans le monde de la recherche ou de ses commanditaires, et il se trouverait des individus plus intéressés encore par la manipulation de l’humanité que par celle du virus Kellis-Amberlee. Un virus qui ne serait pour eux qu’un outil, une opportunité pour des projets bien plus vastes.



«  La vie était plus simple quand j’étais morte . »

On l’avait compris à la fin de « Deadline » : Georgia Mason, l’héroïne de « Feed », n’était pas vraiment morte. Rien d’étonnant dans un univers envahi par les zombies où la mort est devenue une notion toute relative. Vivante, donc, mais pas zombifiée. Et enfermée dans un laboratoire du CCPM, l’institut de recherche sur le virus Kellis-Amberlee, dont on a compris dans le volume précédent à quel point il était dirigé par des scientifiques déments, sans doute eux-mêmes aux ordres de politiciens non moins immondes.

«  Avant le Jour des Morts, les gens avaient une vision romantique de la nature. De nos jours, moins on s’y trouve, mieux on se porte.  »

À l’extérieur, son frère, le journaliste et blogueur Shaun Mason, poursuit au péril de sa vie la quête de la vérité. Avec son équipe, les inoxydables Rebecca Atherton, Mahir Gowda et Alaric Kwong, il sillonne dans la clandestinité la plus complète (ayant à fréquenter au passage des forgeurs de fausses identités bien plus dangereux encore que des zombies) les zones dites sécurisées et les zones infestées. Et il n’hésite pas à aller chercher la vérité en s’introduisant jusqu’au cœur des laboratoires secrets, où sa trajectoire et celle de Georgia finiront par converger.

«  Georges R. Stewart, répondit-il. Eh oui, le R est pour Romero. J’ai eu des parents reconnaissants, mais pas très créatifs . »

Georgia, Georges, Gregory : les hommages à Romero n’en finissent pas. Mais cela ne suffit pas hélas pour nourrir un récit de près de mille quatre cents pages (« Deadline » et « Red Flag » ne constituant qu’un seul roman) auquel on fera, hélas, beaucoup de reproches. À commencer par la résurrection de Georgia par technique de clonage associée à la récupération après la mort du schéma neuro-électrique de son cerveau. Un « deus ex machina » qui ne colle pas du tout avec les volumes précédents, où il n’était jamais fait mention d’une telle avancée scientifique, et où de surcroît la mort de Georgia, contaminée par le virus, résultait d’une balle de revolver justement logée par Shaun, expert en élimination de zombie de manière à ce que toute résurrection soit impossible – c’est-à-dire en détruisant ledit cerveau. Les tentatives de justification scientifiques disséminées ici et là (chapitres neuf, vingt-six, trente-deux, trente-six) sont malheureusement contre-productives dans la mesure où elles ne font que remettre cette invraisemblance sur le tapis. Autre « deus ex machina », ces individus qui ont choisi de vivre par leurs propres moyens en territoire zombie, relais fort opportun pour les héros, mais élément en contradiction totale avec l’univers développé dans les deux premiers volumes. On passera rapidement sur toute une série d’autres invraisemblances (citons par exemple le fait que Shaun s’introduise dans le labo du CCPM sur requête des faussaires, la localisation totalement improbable du laboratoire par Georgia grâce aux arbres de son jardin – invraisemblance gratuite qui n’apporte rien à l’action – ou encore la subite transformation de Georgia en experte en explosifs, capable de fabriquer de véritables bombes, minuteurs compris, à partir de réactifs de laboratoire trouvés dans une salle de clonage, passage d’autant plus consternant que la logique voudrait au contraire qu’elle s’enfuie le plus vite possible), qui donnent l’impression qu’un bon tiers des chapitres a été sous-traité par un scénariste au rabais.

Ce ne sont malheureusement pas là les seuls défauts de « Red Flag ». Dans notre chronique du second tome, « Deadline », nous écrivions que l’auteur avait écrit plus de six cents pages sans donner l’impression de tirer à la ligne. Ce n’est hélas plus ici le cas. Le huitième chapitre est assez représentatif de ce travers, une scène d’affrontement où l’auteur tire beaucoup plus à la ligne que ses protagonistes ne tirent sur les zombies, en accumulant à l’envi des lignes de dialogues inutiles, bien peu vraisemblables, et de surcroît porteuses d’un humour particulièrement lourd qui ne correspond pas à celui habituellement pratiqué par les personnages. On est là dans la série télé, dans le sitcom pour ados, pas dans la littérature, et ceci d’autant plus que cette dilution ne fait guère que s’aggraver au fil des pages. En moulinant sans cesse les mêmes idées, en ressassant des scènes semblables, « Red Flag  » n’apporte rien de fondamentalement nouveau à « Deadline », et son dénouement assez simpliste et dépourvu de l’intensité dramatique qui marquait la fin de « Feed » déçoit grandement. De fait, le roman aurait sans doute grandement gagné, plutôt que de s’étirer sur sept cent cinquante deux pages, à n’en pas dépasser la moitié, voire même à fusionner avec le volume précédent.

Avec« Red Flag » (curieuse traduction française d’un ouvrage initialement intitulé « Blackout », peut-être pour éviter toute confusion avec le roman éponyme de Connie Willis), la série « Feed » apparaît donc victime des deux tentations purement commerciales – le pavé et la trilogie – qui ont déjà transformé la fantasy en littérature industrielle. Même phénomène, donc, pour les histoires de zombies (que confirmera, par exemple, l’étude du catalogue des éditions Panini), et une tendance qui apparaît sans doute comme le meilleur modèle pour discréditer un genre qui par ailleurs a su donner naissance à des volumes à la fois brefs et inventifs comme « La Nuit a dévoré de monde » de Pit Agarmen.

Déception, donc, pour ce troisième volume qui apparaît in fine comme un simple feuilleton. Ceux qui raffolent des personnages et de l’univers développé par Mira Grant dans « Feed » et « Deadline » apprécieront sans doute l’aventure. « Red Flag », toutefois, ne convaincra pas les lecteurs plus exigeants.


Titre : Red Flag (Blackout, 2011)
Série : Feed (Feed), tome III
Auteur : Mira Grant
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benoit Domis
Couverture : copyright Bragelonne
Éditeur : Folio Gallimard (édition originale : Bragelonne, 2013)
Collection : Science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 504
Pages : 752
Format (en cm) : 11 x 18 x 3,2
Dépôt légal : février 2015
ISBN : 9782070459100
Prix : 10,20 €


Mira Grant sur la Yozone :

- « Feed »
- « Deadline »

Quelques histoires de zombies sur la Yozone :

- L’Éducation de Stony Mayhall de Daryl Gregory
- Zombies, un horizon de cendres de Jean-Pierre Andrevon
- La nuit a dévoré le Monde de Pit Agarmen
- Apocalypse zombie de Jonathan Maberry
- World War Z de Max Brooks
- Guide de survie en territoire zombie de Max Brooks


Hilaire Alrune
27 mars 2015


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