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Le cyberespace de l'imaginaire




Demi-monde, tome 3 : Eté
Rod Rees
J’Ai Lu, Nouveaux Millénaires, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 505 pages, juillet 2014, 21€

Comment résumer la profusion des deux premiers tomes ? Un monde virtuel surpeuplé – trente millions d’habitants, les « Dupes », pour un territoire circulaire limité à cinquante kilomètres de diamètre – a été conçu pour servir de simulation à l’armée américaine. Le but : reconstituer les conditions des guerres asymétriques dans lesquelles s’est enlisée l’armée américaine au début du vingt-et-unième siècle pour apprendre à ses soldats à s’y adapter. Pour pimenter cette simulation, des personnalités profondément délétères y ont été injectées : Béria, Heydrich, Chaka Zoulou, Lucrèce Borgia et autres grands psychopathes de l’Histoire. Quand des soldats se retrouvent incapables de sortir de cette simulation, on commence à s’inquiéter ; quand c’est la fille du président des Etats-Unis elle-même qui y reste enfermée, c’est un vent de panique. Reste à trouver la bonne personne pour aller l’en extraire. Mais si cela ressemble à la trame d’un fameux long métrage comme le « New York 1997 » de John Carpenter, cela n’a en définitive rien à voir. Si Ella Thomas, la jeune fille envoyée en renfort dans le Demi-monde, s’y révèle beaucoup plus débrouillarde que prévu, cela veut dire que l’on avait pris soin d’y envoyer quelqu’un dont les aptitudes n’étaient pas jugées les meilleures. Ce qui veut dire qu’il y a entre le monde des dupes et le monde réel des relations bien troubles. Et tous ne sont pas dupes puisque l’infâme Heydrich, connu dans le monde réel comme l’organisateur de la solution finale, parvient à y envoyer sa non moins infâme fille, qui, sosie de celle du président, se met à préparer un avenir qui n’est peut-être pas tout à fait rose.



Comme dans les deux volumes précédents (« Hiver » et « Printemps »), Rod Rees s’amuse à introduire chaque chapitre par de longs exergues, apocryphes de personnages du monde réel comme William Hogarth, Miles Davis devenu « Grand prêtre de la coolitude », Percival Fawcett, Ralph Waldo Emerson ou Thomas Edison. Et il continue à mettre en scène divers personnages eux aussi issus de l’Histoire, depuis ceux dont chacun a un jour ou l’autre entendu parler – William Heydrich, Lucrèce Borgia, Chaka Zoulou, Michel de Notredame, Aleister Crowley, le Marquis de Sade, Mata Hari, Isaac Newton, Mengele, Pierre Simon Laplace (qui, dans cette réalité, a été déchu de son titre de noblesse), Joséphine Baker, Machiavel, Gregor Mendel et Auguste Rodin, ou des individus moins universellement célèbres comme l’amiral américain John Worden (1818–1897) ou l’économiste russe Nikolaï Kondratieff (1892-1938).

On devine, compte tenu de cette multiplicité de personnages, que l’intrigue ne manque ni de complexité ni d’action. En effet, ce troisième tome apparaît comme un habile mélange de la dominante du premier tome (l’action) et de celle du volume suivant (intrigues et complots). Une fois encore, l’auteur prend soin de ne pas se contenter de suivre ses propres traces, et n’hésite pas à relancer son intrigue en bifurquant dans des directions nouvelles.

C’est ainsi que se dessinent en filigranes les composantes d’un monde réel lui-même légèrement alternatif dans lequel les déterminants de la genèse du Demi-monde ne sont pas tout à fait ceux que l’on avait pu croire jusqu’à présent. C’est ainsi également que se révèlent peu à peu les composantes d’une Histoire qui n’est pas tout à fait conforme à celle que nous connaissons, et qui dans sa nouvelle version remonterait rien moins qu’aux Atlantes. Après trois mille ans d’eugénisme, et avant d’être balayés par les flots, ceux-ci auraient en effet formé une espèce améliorée, les Lilithi ou Homo perfectus, laquelle aurait crée deux autres races : les Homo insensibilis, ou Grigori, terribles guerriers vampires protecteurs des Atlantes. En s’accouplant à Homo sapiens, ces derniers auraient donné naissance aux Charismatiques noirs ou grands psychopathes de l’Histoire qui fascinent tant l’auteur. Quant aux Kohanim, ancêtres du peuple juif, ils résulteraient de l’union des Homo perfectus et Homo sapiens. Toutes lignées qui perdureraient, dissimulées à des degrés divers, depuis l’aube des temps. Mais si Rod Rees semble ici suivre les traces de la thématique fort à la mode des lignées cachées (citons par exemple la série des métrages « Underworld » de Len Wiseman), il le fait ici de manière atypique et plus complexe : il existerait une cinquième espèce dont l’identité serait révélée par le Flagellum hominum, révélation dépendant d’une colonne de mantélite (le matériau indestructible du demi-monde) pour laquelle, et pour d’autres raisons, toutes les factions du demi-monde s’affrontent.

Dans une démarche de fusion de genres héritée de la tradition steampunk, Rod Rees n’oublie pas une touche de composante, elle, plutôt cyberpunk, avec la très belle idée de l’ordinateur quantique responsable de l’existence de ce demi-monde dans lequel il lui est interdit de modifier le cours des évènements mais qui, incapable de comprendre l’humanité, imagine d’y envoyer un de ses propres avatars, ignorant qui il est – un avatar qui, en ignorant à la fois qui il est et quels sont ses pouvoirs, découvrira cette chose étrange, totalement nouvelle et totalement irrationnelle qu’est l’amour. Une découverte qui génère bien des interrogations pour le volume à venir. Car, si Rod Rees, au terme de ce premier volume, n’épargne pas une mort violente à plusieurs de ses plus sympathiques personnages, est-ce pour, une fois de plus redistribuer complètement les cartes, ou pour conduire l’ordinateur quantique à transgresser ses ordres et à les ressusciter ?

Comme dans les deux premiers volumes, on fera ici et là quelques reproches de détail : le premier quart de roman peut sembler un peu long, notamment parce qu’il accumule les explications concernant les théories féministes délirantes de l’impératrice Wu (dans le monde réel seule impératrice, de 690 à 705, de l’histoire de la Chine, et curieux mélange de progressiste et de psychopathe), à savoir la « doctrine ellétique » et son corollaire la « mâleveillance », aboutissant à un complot d’élimination physique de la quasi-totalité des hommes. Comme dans les deux premiers volumes, le personnage de la fille du président n’est pas toujours cohérent. Enfin, les dialogues ne sonnent pas toujours juste (citons par exemple la tentative de dialogue humoristique du chapitre treize qui apparaît à la fois totalement hors de propos et à peine digne d’un mauvais sitcom).

Malgré ces quelques petits défauts, qu’il importe de relativiser pour un volume de plus de cinq cents pages, Rod Rees, dans la continuité de « Printemps » et d’« Hiver », assure sans véritable rupture de rythme. Parvenant à fusionner une multitude de thèmes, de genres et de personnages sans créer de défaut massif de cohérence, constamment inventif, souvent surprenant, il confirme avec ce troisième tome sa capacité à créer un cycle original qui emprunte à beaucoup sans imiter personne, un cycle instructif plein de fantaisie mais également instructif pour le lecteur ayant la curiosité de se documenter sur ses personnages. À noter, outre une élégante maquette de couverture, que l’ouvrage est complété par de nombreuses annexes : une carte du demi-monde, un glossaire du monde virtuel, un glossaire du monde réel, un complément d’une demi-douzaine de pages consacré aux croyances du demi-monde. On trouvera également au fil du volume plusieurs reproductions de gravures destinées à détailler les mœurs vestimentaires en usage dans différentes zones du demi-monde.


Titre : Le Demi-monde, Été (The Demi-monde : Summer, 2012)
Série : Le Demi-monde (The Demi-monde ), tome III
Auteur : Rod Rees
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne), : Florence Dolisi
Couverture : Nigel Robinson / Two Associates / Quercus
Éditeur : J’Ai Lu
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 505
Format (en cm) : 13 x 20 x 2,6
Dépôt légal : juillet 2014
ISBN : 9782290041031
Prix : 21 €



Rod Rees et le Demi-monde sur la Yozone :
- « Hiver »
- « Printemps »


Hilaire Alrune
15 décembre 2014


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