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Jardin des silences (Le)
Mélanie Fazi
Bragelonne, collection L’autre, fantastique, 249 pages, octobre 2014, 15 euros

Traductrice (entre autres de Poppy Z. Brite et Lisa Tuttle), romancière (« Trois pépins du fruit des morts », « Arlis des Forains »), Mélanie Fazi pratique également la forme courte. Après deux recueils de nouvelles, « Notre dame aux écailles » et « Serpentine », parus chez Bragelonne et repris chez Folio, voici un troisième volume consacré à la forme brève. Douze nouvelles, certaines inédites, d’autres préalablement publiées sur le réseau, d’autres encore chez divers éditeurs (Calmann-Lévy, ActuSF, Ad Astra, Glyphe, Mnémos, La Volte), le tout sous une élégante couverture de Fabrice Borio.



«  Elle a pris tout ce qui était en moi pour le modeler en autre chose. D’une souris, elle a fait un fauve.  »

Une figure qui lentement se dessine dans le givre. Un reflet dans le miroir, qui n’est pas tout à fait un reflet. Un double né de l’optique, mais un double légèrement différent. Une profondeur, un relief qui lentement s’affinent. Une image qui prend corps. Une cristallisation lente. Un corps qui, lui, lentement refroidit, comme si l’hiver, l’entropie, l’abandon lui ôtaient toute substance. “Née du givre” apparaît comme une nouvelle remarquable : là où l’on pouvait croire qu’il n’était plus guère possible d’inventer sur le thème du double, Mélanie Fazi, loin de sombrer dans la redite, en propose une variante à la fois poétique et inventive.

«  J’adorais ses figurines aux couleurs d’automne, mi-humaines mi-animales, qui possédaient la poésie étrange des contes pour adultes . »

Poétique aussi “Un bal d’hiver” , à travers le deuil et l’espoir. Deuil pour la narratrice, qui a perdu sa mère et vient rencontrer celle qui est destinée à la « remplacer », deuil pour la voisine qui a le même jour perdu les trois hommes de la famille. Pourtant, trois arbres, un étrange motif de pierres, et l’espoir et l’au-delà apparaissent, certains reviennent, ou d’autres encore. Un très beau récit, apaisé, optimiste presque, et une nouvelle fois une élégante variante sur un thème classique.

«  Ces histoires, il les avait peut-être simplement semées dans ma tête en agitant son grand parapluie couvert d’images mouvantes.  »

Sensible également, mais peut-être moins convaincant, “Swan le bien nommé” suit des thématiques convenues, l’arrivé dans la famille d’une nouvelle épouse, d’une nouvelle mère avec laquelle nulle entente n’est possible, et qui, capable de sorcellerie, n’hésitera pas à jeter des sorts aux enfants. Mais un bien étrange personnage, qui vient régulièrement conter des histoires à la petite sœur, lui donnera les clefs du salut… et de la vengeance.

«  Il m’élève vers le ciel. Sa main guide l’étoile que je serre entre mes mains minuscules et fait semblant de me laisser l’accrocher seule . »

Il y a ce que l’on accroche au sapin de Noël. Il y a ce que les corneilles emportent. Et puis, il y a ce que ces oiseaux, intelligents, et peut-être capables d’aller au-delà des pensées, au delà de ce que l’on imagine, rapportent. Il y a d’autres choses que l’on peut accrocher au sapin. “L’arbre et les corneilles” , c’est un ton juste, une nouvelle à la fois riche et brève, et un magnifique hommage à Noël et à l’esprit de famille.

«  Ne resteront que le vertige et le manque. Alors je le fais tournoyer, mon si bel automate, ma toupie fragile . »

Automates, golems, pantins, poupées : ils reviennent, encore et toujours, dans les littératures dites de genre. Fallait-il s’y risquer ? La réponse est oui. Nous ne détaillerons pas cette nouvelle ; que l’on sache simplement que, comme avec « Née du givre », et ici encore avec un aspect spéculaire, Mélanie Fazi, loin de sombrer dans la redite, propose avec “Miroir de porcelaine” une belle variante.

«  Au-delà de l’herbe qui borde le bas-côté, je ne distingue que des ombres. Et la gueule béante du tunnel, là-bas, devant nous . »

L’autre route” ressemble à un récit classique : après ce qui pourrait être un assoupissement, mais aussi un accident fatal, voici les deux personnages, la mère et la fille, sur une route différente. Files de véhicules abandonnés, précipitamment semble-t-il. Et plus loin psychopompes, danseurs, le scintillement de la fête. Et une route qui rêve d’une cité qui n’existe peut-être pas. Un très beau récit, très imagé, aux interprétations multiples, le chemin que l’on accepte et celui que l’on refuse, les mirages par lesquels on gâche sa vie, la fatalité que l’on accepte ou que l’on évite, les paroles irrémédiables ou pas tout à fait, et bien d’autres choses encore.

«  Le dragon se nourrissait d’elle, respirait, dormait, rêvait en elle ; à son tour, c’était en lui qu’elle puisait ses forces .  »

Dragon avec “Dragon caché” , dragon encore avec “Les Sœurs de la Tarasque.” Deux nouvelles qui s’éloignent des histoires traditionnelles pour mettre en scène une zoologie atypique : les dragons intérieurs, auxquels l’on pourra donner toutes les interprétations que l’on souhaite, et qui permettent de mettre en lumière, entre autres, diverses formes d’intolérance, et le dragon invisible, qui sur une île est l’objet d’un véritable culte, mis en scène à travers la vie dans un pensionnat de jeunes filles sélectionnées pour lui donner progéniture. Un récit où s’affrontent crédulité et doutes, et dont la fin génère un malaise persistant.

«  Tous s’accordaient à dire que la voix représentait quelque chose, mais personne ne savait quoi. On disait que sa présence protégeait la vallée . »

Récit poétique et sensible, “ L’été dans la vallée” évoque l’altérité, les dons que l’on reçoit et que l’on n’a pas souhaité avoir, les aspirations que l’on a, les désirs de faire autre chose, d’aller ailleurs. Une nouvelle qui par sa thématique n’est pas sans évoquer « Le Messie récalcitrant » de Richard Bach. Poétique et sensible encore, « Le Pollen de minuit », initialement paru dans l’anthologie « (Pro)créations » parle du désir de maternité, des rêves que l’on vole et que l’on instille, de ce que l’on aimerait donner ou laisser derrière soi.

«  J’ai fini par comprendre que ce serait toujours le jardin qui viendrait à moi, pas l’inverse.  »

Le Jardin des silences ” : la nouvelle titre, qui mêle étranges fantômes et topographies impossibles, mêle aussi aspects classiques et modernes. Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur, si ce n’est que l’ambiance de ce mystérieux jardin est onirique à souhait.

«  Quand j’ai vu passer les renards, j’ai failli tout lâcher. Si les réflexes n’avaient pas pris le dessus, j’aurais laissé violon et archet s’écraser sur la scène.  »

Dans le vaste champ des thématiques fantastiques, la musique, si on la rencontre ici et là, fait souvent figure de parent pauvre. Belle idée que celle de cette violoniste, de ces musiciens qui partagent un secret, un mystère, la génération d’animaux, ou de leurs images, à travers la mélodie. “Trois renards” vient clôturer le volume sur une idée originale et sur une note d’espoir.

Au total, « Le Jardin des silences », ce sont douze nouvelles poétiques, riches en sentiments et en images, parfois âpres, souvent poignantes. En majorité contés à la première personne du singulier, pour la plupart d’entre eux au présent, ces récits sont servis par une prose soignée. Pas de recherche d’effets, pas de recours aux « chutes » classiques, mais un grand sens de l’équilibre et une narration où dominent finesse et retenue. Un recueil qui aborde par le biais du fantastique la douceur, la violence et la complexité des relations humaines, et qui – rêves, musique, aspirations, pensées – frôle sans cesse d’autres mondes, d’autres vérités, d’autres réalités peut-être. En ces temps où la nouvelle fantastique n’est plus guère appréciée, « Le Jardin des silences  » apparaît comme le type même de recueil que l’on aimerait découvrir plus souvent.


Titre : Le Jardin des silences
Auteur : Mélanie Fazi
Couverture : Fabrice Borio / Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Collection : L’Autre
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 249
Format (en cm) : 14,3 x 21
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 9782352947929
Prix : 15 €



Hilaire Alrune
5 novembre 2014


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