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Soleil vert
Harry Harrison
J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, science-fiction, traduit de l’anglais (États-Unis), 313 pages, mai 2014, 14,90€

Si les amateurs du genre connaissent Harry Harrison pour des ouvrages de distraction (la série des aventures de Jason DinAlt ou celles de Ratinox), le grand public en a surtout entendu parler suite au film de Richard Fleischer, « Soleil vert », inspiré par le livre éponyme. Un livre et un film qui tissent du monde futur (devenu contemporain) un tableau per-apocalyptique, celui de l’agonie lente d’une humanité qui n’a pas su ni voulu anticiper et, comme un aveugle, en se contentant d’une fuite en avant, s’est précipitée droit dans le mur.



«  La rue au-dehors était une étuve d’air stagnant, chargé d’un mélange de sueur et d’odeur de décomposition – c’était presque irrespirable.  »

Chaleur, surpopulation, paupérisation, chômage, diminution des ressources – énergie, eau potable, nourriture – tel est la tableau global dans lequel se débattent les protagonistes de « Soleil vert ». Andrew Rusch, policier encore motivé, son colocataire, un mécanicien militaire en retraite du nom de Solomon Kahn (dans lequel il est difficile de ne pas voir une référence déguisée à Robert Howard), Big Mike, truand bientôt refroidi, Shirl, sa maîtresse, le juge Santini, et un jeune assassin malgré lui, essayent tant bien que mal de survivre et de tirer leur épingle du jeu dans un monde en pleine déliquescence.

«  La circulation progressait à une lenteur d’escargot dans la rue bondée, les humains forçant des animaux épuisés, la bouche ouverte en quête du moindre filet d’air, à les suivre à la trace . »

Car le tableau que donne à voir Harry Harrison est celui de l’effondrement de tout – du monde, de l’humanité et, pour ses compatriotes qui y sont avant tout sensibles, de l’american way of life. La fin de la prospérité et de l’abondance, de l’insouciance et du luxe, de la gabegie de ces temps désormais révolus où richesses et ressources naturelles semblaient sans limites. Désormais tout est compté, mesuré, rationné, et les changements ne sauront plus aller que dans un seul sens : celui de restrictions supplémentaires, à commencer par l’eau. On cesse peu à peu de se laver, on boit de l’eau croupie, fièvre typhoïde et dysenterie réapparaissent.

«  Les cartes d’allocation se chargeaient de tout, elles faisaient juste en sorte de vous garder assez vivant pour que vous détestiez être en vie.  »

Mais les maladies hydriques ne sont pas les seules. L’alimentation est à tel point rationnée – on se bat pour un morceau de viande, on se nourrit de briques sans goût à base de plancton ou d’autres éléments dont on préfère ignorer la nature ou la provenance – que réapparait à son tour cette forme de malnutrition protéique grave qui était devenue l’apanage du tiers-monde. Désormais, le kwashiorkor frappe les enfants américains. Ailleurs sur la planète – reconnaissons à Harry Harrison le mérite de ne pas faire l’impasse totale sur le reste du monde, qui, dans la plupart des romans apocalyptiques américains, n’existe purement et simplement pas – les choses, on s’en doute, ne vont pas du tout mieux.

«  Ce sont des symboles vivants de l’état de décrépitude de notre culture, tout comme ce terrain vague – voilà pourquoi je suis venu ici.  »

Les errances et errements des protagonistes – l’intrigue policière n’est ici qu’un prétexte à développer ce qui n’est pas qu’une toile du fond, mais le véritable sujet du roman – permettent à l’auteur, en passant d’un chapitre et d’un personnage à l’autre, de décrire les mécanismes et les conséquences de cette fin du monde. À commencer par le refus de réguler les naissances, responsable, avec l’effondrement de la mortalité infantile, d’un surpeuplement depuis longtemps prévisible. Appartements surpeuplés dans lesquels débarquent encore de nouvelles familles, lutte sauvage pour un embryon de refuge sur un chantier naval à l’abandon, quand on ne trouve pas domicile dans des parkings remplis de véhicules abandonnés et transformés tant bien que mal en hameaux.

«  New York vacillait au bord de l’abîme. Chaque entrepôt fermé état devenu un foyer de dissidence, encerclé par des multitudes affamées, effrayées, et qui cherchaient un responsable.  »

La situation est à tel point désespérée, à tel point partagée, qu’il n’y a plus nulle part de porte de sortie, nulle part où aller. L’exode n’est plus une solution. Les protagonistes – du moins ceux qui survivent – s’interrogent sur ce déclin irrémédiable d’une humanité qui n’a jamais su prendre ses responsabilités. “Tout le monde a un avis sur tout, et tout le monde l’estime meilleur que celui des autres.” explique avec amertume l’un des protagonistes. “C’est toute l’histoire de la race humaine.” Une race humaine bien mal en point, et qui de toute évidence arrive au bout du rouleau.

À quoi bon, pourront penser les lecteurs, pousser de tels cris d’alarme ? Ce roman, qui a plus de quarante ans d’existence, aurait très bien pu être écrit hier, pourrait être écrit aujourd’hui. Les constats ne changent pas, les comportements non plus : la course en aveugle et le gaspillage des ressources se poursuivent à un rythme toujours croissant, et l’avenir pas vraiment radieux que prévoyait Harrison pour l’année 1999, s’il est un peu reporté, se profile en effet à l’horizon. Non pas celui d’une apocalypse poétique et lente avec dérives intérieures à la James Graham Ballard, mais une apocalypse suffocante et âpre, succession de nécessités et de carences matérielles, tissée de violences et d’horreurs, et sans autre espoir qu’une aggravation incessante. Présenté sous une couverture parfaitement crépusculaire de Flamidon, beaucoup plus évocatrice que celles des éditions précédentes, « Soleil vert » n’a donc pas vraiment vieilli. Un roman qui, en même temps, parvient à être très actuel et à faire partie de l’histoire du genre, aux côtés d’autres peintures sinistres de lendemains qui déchantent comme le « troupeau aveugle » que devait écrire John Brunner une demi-douzaine d’années plus tard.


Titre : Soleil vert (Make Room ! Make Room !,1966)
Auteur : Harry Harrison
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Sébastien Guillot
Couverture : Flamidon
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Nouveaux millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 313
Format (en cm) : 20 x 13 x 2,3
Dépôt légal : mai 2014
ISBN : 9782290079409
Prix : 14,90 €



Hilaire Alrune
21 septembre 2014


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