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Witch Song
Amber Argyle
Lumen, roman traduit de l’anglais (USA), chasse aux sorcières, 457 pages, aout 2014, 15€

Brusenna vit avec sa mère Sacra loin de la société. Ses incursion au village voisin se limitent à l’achat de l’essentiel. Car Brusenna et sa mère sont des sorcières, gardiennes de la nature, et le pays subit une sécheresse depuis quatre longues années, et elles sont de faciles boucs émissaires. Puis débarque Coyel, une autre sorcière, qui vient chercher Sacra. Brusenna découvre alors que sa mère est l’une des 4 Gardiennes, comme Coyel, et qu’Espen, une méchante sorcière, a décimé ses anciennes consœurs et est responsable de la météo désastreuse. Les deux femmes partent pour le Refuge, pour tenter de soulager la nature. Un mois plus tard, sans nouvelles de ses aînées, Brusenna est contrainte de fuir à son tour quand un Chasseur de sorcières, à la solde d’Espen, arrive au village. Si elle peut compter sur ses pouvoirs nouvellement acquis, elle bénéficie aussi de l’appui de la population, pour partie favorable au rôle de régulatrices des sorcières, ainsi que les Protecteurs, un ordre masculin qui veillent sur les sorcières. Accompagnée de Joshen, le fils de l’un d’entre eux, Brusenna part pour le Refuge. Là, après un an d’étude, et sans nouvelle de sa mère, elle réalise qu’elle doit traverser l’océan et aller affronter Espen sur son terrain. Un voyage dangereux, et peut-être sans retour...



Il y a certains jours où j’aimerais avoir à nouveau 13 ans. Pour découvrir la fiction pour ados avec des yeux d’ados. Car « Witch Song », sous son pitch sympa et sa couverture léchée, a été une déception.

Je vais hélas passer assez vite sur ses qualités : des sorcières qui chantent en rimes leurs sortilèges (mais guère variés) ; une population qui recèle davantage d’alliés que d’ennemis, loin des images de foules en colère qu’on associe aux chasses aux sorcières ; un duel final qui ne marque pas la fin du roman, prolongeant la lutte contre le Mal au-delà de la figure de la Méchante, jusqu’au gouvernement qui l’a soutenue voire financée... De bonnes choses qui auraient demandé à être approfondies. C’est hélas à peu près tout.

On ne sera pas surpris que la jeune Brusenna, élevée par sa mère loin des hommes (avec ou sans majuscule), passe son temps à se dévaloriser, et qu’elle mette 350 pages à comprendre qu’elle est jolie et que le jeune et mignon Joshen n’est pas que fidèle, il est aussi amoureux. Qu’une fois leurs sentiments avoués, du fait des événements ils oscillent entre amoureux transis et sauveurs du monde. C’est toujours comme ça. Mais cela finit par être fatigant à la longue, tant dans ce roman que dans la littérature pour ados.

Néanmoins, si cette histoire est plutôt classique, ce manque d’originalité n’est pas ce qui m’a rendu la lecture pénible. Amber Argyle, dont c’est le premier roman, ne doit pas savoir ce qu’est une description. Son héroïne ne doit pas y voir à plus d’un mètre, ou juger que tout ce qui ne la choque pas nous est tout aussi naturel. Il faut arriver sur l’autre continent (soit les 2/3 de ce pavé) pour que Brusenna prenne une seconde pour décrire la couleur ou la forme de quelque chose, et encore, très rarement. Une ville, un plat cuisiné, un bâtiment... Pour le reste, place à votre imagination. On vous parle de mousquet, donc ce n’est pas de la fantasy classique, donc le décor évolue radicalement dans votre esprit, pour prendre des couleurs plus XVIIe... mais rien ne vous dit que vous êtes dans le vrai. Pour Amber Argyle, un bateau est un bateau, une maison une maison... Combien de mâts, d’étages, de fenêtres ?

C’est affreux, mais une fois qu’on s’en est rendu compte, on ne voit que cette absence. Comme page 224 où Senna se métamorphose en un animal marin. Elle s’était précédemment changé en phoque, et là on dit juste qu’avec sa queue elle peut nager plus vite (qu’avec des bras). J’avoue m’être dit qu’elle avait pris la forme d’un dauphin, s’il lui fallait de la vitesse. Point du tout, comme on le découvre une poignée de pages plus loin (231), c’est encore en phoque.
Amber Argyle donne l’impression que l’image est bien nette devant ses yeux, comme sur un écran de télé, et qu’elle se contente, ou se concentre sur le reste, l’action et les sentiments de son héroïne, de manière très factuelle, sans jamais trop forcer sur l’introspection, lui préférant, comme dit plus haut, la répétition à foison.

L’auteure prend aussi le parti de zapper purement et simplement les moments « où il ne se passe rien », comme les trois semaines après le départ de Sacra où Brusenna, seule à la maison, fait son apprentissage de sorcière grâce au carnet de sorts laissé par sa mère, passant d’un paragraphe à l’autre d’ado effrayée à sorcière débrouillarde, comme en témoignera sa première confrontation avec Wardof, le chasseur de sorcières. Idem de son année au Refuge, résumée en deux mots au détour d’une ligne page 174 ! Un an passé à lire toute une bibliothèque de sorcières, en compagnie d’un être à demi grenouille au vocabulaire limité... Quelle volonté d’affronter une telle solitude pour une jeune femme encore craintive jusqu’ici. Vous imaginez, un an à lire sans parler à personne ? D’autres en seraient devenues folles. Au temps pour la psychologie...

Du coup, on achoppera moins sur les quelques maladresses et incohérences secondaires, comme la ténacité de Wardof, qui la retrouve toujours au pire moment et quel que soit l’endroit, quatre ou cinq fois, je ne sais même plus, comme un mauvais ressort scénaristique. Certes, cette Némésis a l’appui de la magie d’Espen, mais quand même...
Ou que Brusenna, du moment qu’elle décide de voyager incognito et de se faire appeler Senna, est dès lors uniquement appelée Senna dans le récit. Pas une seconde on n’aborde la réflexion d’une seconde naissance, de l’abandon des craintes de la petite Brusenna pour le courage de la sorcière Senna. Tout cela est sans doute comme les descriptions, du domaine de l’inconscient.
Les illogismes comme l’isolement un an durant de Brusenna ou la fuite finale de toutes les sorcières (250 !) sur un seul bateau font donc hausser un sourcil, mais comme l’auteure ne semble pas y accorder plus d’importance que cela...

Légèreté de la psychologie des personnages, absence quasi totale de détails dans les décors, choix rédactionnels surprenants, bref c’est l’accumulation de faiblesses formelles qui mine cette histoire d’apprentissage certes classique mais qui ne semblait initialement pas dénuée d’intérêt.
Mais voilà, je n’ai plus 13 ans. J’ai lu plein d’autres choses, et « Witch Song » n’a pas assez de qualités et bien trop de défauts pour avoir été une lecture plaisante. Cela n’aura été qu’un pavé de plus pour boulimiques de fantasy, et bien peu digeste.

Bien que Lumen n’en fasse pas mention, c’est une trilogie, une suite, « Witch Born », est parue en 2013, et un 3e, « Witch Fall », est en retard, annoncé pour octobre 2013 sur le site de l’auteure.
Un site dont je conseille la lecture de la rubrique « on writing » à tous ceux qui lisent l’anglais : ses conseils d’écriture commencent par les 5 erreurs de l’auteur débutant. Ah, faites ce que je dis, pas ce que je fais...


Titre : Witch Song (Witch Song, 2011)
Série : Witch song, tome 1/3
Auteur : Amber Argyle
Traduction de l’anglais (USA) : Aldéric Gianoly
Couverture : Eve Ventrue (et la couverture du tome 2 sur son DeviantArt)
Éditeur : Lumen
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 457
Format (en cm) : 22,5 x 14 x 4
Dépôt légal : août 2014
ISBN : 9782371020191
Prix : 15 €



J’ai aussi tressailli à la dizaine de coquilles, car si leur nombre est très faible (mais déjà trop élevé dans de la littérature jeunesse), leur énormité pique les yeux : “quelques instant” p.15, “elle cousut” p.65 (oui, le 3e groupe est compliqué)...


Nicolas Soffray
6 septembre 2014


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