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Opéra de Shaya (L’)
Sylvie Lainé
ActuSF, Les 3 Souhaits, nouvelles (France), space-opera, 128 pages, avril 2014, 12€

Sylvie Lainé est une grande humaniste, et si elle s’attaque ici au space opera, c’est à sa manière bien particulière, loin des batailles planétaires ou des complots politiques globaux. Ce qui l’intéresse, c’est la confrontation avec l’Autre, mais sans violence (du moins physique). Car la guerre a montré ses limites (littéraires sinon diplomatiques), et le dialogue est, à défaut de la solution, la voie la plus sûre. Mais l’Humain reste l’Humain, avec ses défauts, son aveuglement...



Le recueil s’ouvre sur la novella éponyme, “L’Opéra de Shaya”. So-ann, une jeune femme née dans l’espace, n’est à sa place sur aucune planète colonisée, rejetée par des colons devenus souvent racistes envers les nouveaux arrivants qui refusent de se plier aux coutumes locales et de se fondre dans la masse. So-ann rêve d’un lieu où on l’accepterait telle qu’elle est. On lui parle de Shaya, un lieu symbiotique qui se nourrit justement de la différence, qui la perçoit comme une richesse et non un obstacle. Les Shayens, et leur environnement, mutent au contact des étrangers, et So-ann, par sa seule présence, son contact avec les choses, doit leur permettre d’évoluer en devenant, en partie, humains.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. On ne dit pas tout à la jeune femme, qui ne saisit pas tous les codes et les rites des Shayens, et surtout pas ce que cette évolution qu’ils recherchent tant signifie exactement.
Ne comptez pas sur moi pour lever le voile : le texte de Sylvie Lainé se déguste comme un délicieux mets, la révélation finale est un dessert amer mais savoureux. Tout du long, elle y déploie une langue lumineuse, à l’image de la forêt shayenne et du bonheur (éphémère) qu’y trouve So-ann. C’est de l’humanité de cette dernière, de nos défauts (la curiosité, la jalousie, la peur, l’égoïsme) qu viendront les moments sombres.
Une thématique récurrente dans ce recueil : le potentiel de l’Homme d’accomplir le meilleur comme le pire, en pesant ou non les conséquences pour les autres.

Grenade en bord de ciel”, comme plus loin “Un amour de sable”, nous place dans la situation d’une mission scientifique. Ici, elle découvre un satellite artificiel qui contient, si on en croit les légendes des locaux de la planète en dessous, toutes les pulsions extrêmes de leur peuple, bannies pour empêcher les pires catastrophes de les frapper. Mais les laissant apathiques, sans passions. Et nos scientifiques, sceptiques, de forer l’astéroïde, et d’y trouver... des émotions concentrées. Pour finalement, au vu des effets provoqués sur eux, se demander qu’en faire. Ne plus y toucher, ou en faire profiter l’Humanité ? Et choisir...
Un amour de sable” parle d’une rencontre scientifique, entre des humains et... du sable. Mais l’Homme n’est pas prêt à ne serait-ce qu’envisager que ce qui lui semble du minéral puisse penser, s’organiser... Cela donne un excellent texte à deux voix, les humains et le sable, où chacun nous présente la rencontre de son point de vue, avec son propre vocabulaire. Un peu technique au début, le temps de se faire à la façon d’appréhender le monde du sable, mais au fil des pages, alors que le décalage entre une certaine puérilité des scientifiques et la richesse des émotions du sable se creuse, on s’interroge de plus en plus sur notre place dans le grand tout. Que sont les humains ? une fourmilière, qui croît à grande vitesse, épuise les ressources naturelles, avance, conquiert, exploite, sans fin, se croyant l’espèce majeure, primordiale, dominante. Ne réalisant pas qu’elle n’est qu’un maillon, un vecteur, ou un parasite.

Sur un ton plus léger, c’est ce qui ressort de “Petits arrangements intra-galactiques”, dédiée à Robert Sheckley. Sylvie Lainé y déploie le même humour, dans le récit d’un naufragé, en panne de vaisseau sur une planète isolée et cataloguée sans intérêt minier. Ses provisions épuisées, le truculent narrateur, un routier de l’espace, déploie des trésors de camouflage mimétique (à base de jus de cranberries surgelées - sa cargaison), imitant les « sapinous bleus » qui gravitent librement autour des ruminants géants qui semblent former l’espèce la plus évoluée de la planète. La manière dont ils vont fournir le couvert à notre Robinson est des plus inattendues, et il va s’insérer dans une relation équilibrée, symbiotique avec les locaux, loin des habitudes de conquête qui sont l’apanage de notre espèce. Le tout narré dans un style très direct et sans fioritures diplomatiques : il a faim, ils (s)ont la nourriture.

De ces quatre textes, nous, les Humains, ne ressortons pas forcément grandis. Quelques individus, au mieux. L’auteure, sans aucun doute.

ActuSF, qui peaufine ses ouvrages, encadre ces 4 nouvelles d’une introduction signée Jean-Marc Ligny, qui mène aussi l’entretien final avec Sylvie Lainé, dans une ambiance de franche camaraderie où la franchise a seule voie au chapitre.

S’il existe une SF contre-américaine, dans ses thèmes et son traitement, Sylvie Lainé est en plein dedans. Pour notre plus grand bonheur.


Titre : L’Opéra de Shaya (nouvelles)
Auteur : Sylvie Lainé
Couverture : Gilles Francescano
Contenu :
- Le paradis, c’est les autres ? - Préface de Jean-Marc Ligny
- L’Opéra de Shaya (inédit)
- Grenade au bord du ciel
- Petits arrangements intra-galactiques
- Un amour de sable (inédit)
- Interview de Sylvie Lainé par Jean-Marc Ligny
Éditeur : ActuSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 192
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782917689363
Prix : 12 €

- Disponible également en version numérique, PDF ou ePub sans DRM
Prix : 3,99 €


Chronique établie d’après la version numérique.


Nicolas Soffray
27 juillet 2014


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