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Silo Origines
Hugh Howey
Actes Sud, Exofictions, traduit de l’anglais (États-Unis), anticipation, 564 pages, avril 2014, 23,50€

Un conflit ravage la planète, rendant son atmosphère mortelle. Une petite partie de l’humanité, réfugiée dans des silos conçus à cet effet, y survit tant bien que mal. De génération en génération, les habitants oublient. Mais certains retrouvent la mémoire. Certains ont également des doutes. Le passé s’est-t-il bien déroulé comme on le leur a toujours dit ? Mais qui le sait réellement ? Et qui tire les ficelles ?



En 2049, Donald Keene, architecte de formation, est devenu député. Le sénateur Thurman, accessoirement père d’Anne, ex-amie de Keene, le prend sous son aile pour lui faire gravir les échelons politiques. Mais à une condition : il doit faire les plans d’un gigantesque silo souterrain où pourraient se réfugier en cas de problème, aussi longtemps que nécessaire, le personnel d’un parc de retraitement des déchets nucléaires en projet. Comme au compte-gouttes, des informations sont distillées à Keene sur la gravité de la situation internationale et les menaces imminentes, notamment celles des nouvelles armes nanotechnologiques qui ne devraient permettre à personne de survivre. Quelques années plus tard, en 2052, le jour même de la convention nationale du parti, la guerre éclate, les champignons nucléaires fleurissent. Les personnes présentes à la convention sont poussées dans les silos dont elles ignoraient l’existence.

Bien des années plus tard, un responsable de silo du nom de Troy se rappelle son ancienne identité. Il a été Donald Keene. Il est aussitôt emprisonné et, pense-t-il, euthanasié ; mais, revenant à la conscience en 2212, il comprend qu’il a simplement été cryogénisé. Par le jeu des cryogénisations successives, lui, Thurman et Anna vont suivre au fil des générations – le récit se poursuivant en 2312, 2318, 2323 puis 2345 – l’évolution de l’Humanité dans les silos. Et Donald Keene découvrira avec effarement que la fin du monde a été décidée par les concepteurs des silos eux-mêmes, que certains des silos sont littéralement anéantis par ces derniers, et qu’il a en face de lui des individus plus retors que tout ce qu’il a jamais pu imaginer.

Si la lecture de « Silo Origines » laisse une impression mitigée, ce n’est pas, malgré l’utilisation en arrière-fond des nanotechnologies, parce qu’il ressemble un peu trop à un roman de l’âge d’or qui aurait été réécrit au goût du jour. Que ce soit une humanité confinée sous terre ou dans un vaisseau spatial pour sauver l’espèce, cela a certes été fait et refait il y a bien longtemps, mais cette impression de déjà-vu, qui n’a par principe rien de rédhibitoire, pourrait être plaisante s’il n’y avait par ailleurs autant de zones d’ombre. Car le problème fondamental de « Silo Origines » réside dans cette volonté de remettre au goût du jour des thématiques anciennes avec un souci de réalisme à la manière contemporaine, c’est-à-dire avec la déferlante quantitative (pas loin de six cents pages très denses) qui va avec.

Car, en dépit de cette quantité, lacunes et incohérences abondent. Que savons-nous de ces silos ? Au final, quasiment rien. Que leurs concepteurs en aient fait les plans de A à Z sans jamais réaliser qu’ils ne serviraient pas à ce à quoi ils étaient officiellement destinés est déjà assez peu vraisemblable (l’idée de l’auteur étant manifestement d’introduire un parallèle avec la Shoah, dont certaines victimes ont été contraintes à participer à l’élaboration des camps d’extermination dans lesquels elles devaient mourir, et par là même de montrer l’inhumanité équivalente de Thurman et de ses acolytes.) Qu’ils aient été fournis en réserve de nourriture pour plusieurs siècles sans que nul ne pose la moindre question interroge. Qu’aucune sélection, qu’aucun choix autre que celui des personnes invitées à une convention politique pour faire perdurer l’Humanité n’ait été fait suscite l’incrédulité. Des animaux, indispensables à la survie de l’homme ? On n’en trouve mention nulle part – sauf sur la fin du roman, mouches, félins et même poissons apparaissant comme des deus ex machina, lorsque le scénario l’impose (notons que l’auteur, qui estime que l’on attire les chats avec des barres céréalières, ne doit pas connaître grand-chose aux bêtes.) La structure des silos ? Éludée. On sait qu’il y a des écoles, des escaliers, des magasins, et des cultures en éclairage artificiel. Leur source énergétique ? Inconnue. D’où vient l’oxygène ? On l’ignore. Le nombre de personnes par silo ? Quatre mille, on l’apprend au chapitre trente-six. Soit pour cinquante silos deux cent mille personnes présentes à la Convention (une grosse convention, donc) et qui sont parvenues à rentrer sous les bombes. On a aussi des ordinateurs, qui fonctionnent toujours au bout de plusieurs siècles (l’auteur admet tout de même que pour l’éclairage l’on dispose d’ampoules de rechange), les boîtes de conserve durent manifestement des siècles elles aussi (mais pourrissent juste à temps pour justifier la sortie du jeune Jimmy de sa panic-room, dans laquelle il est tout de même resté enfermé sept ans sans jamais avoir eu envie d’en sortir, autre invraisemblance au passage.) Chaque chapitre, ou presque, génère des questions ou des commentaires de cet ordre. Cela fait tout de même beaucoup à avaler. Hugh Howey ignore manifestement que le lectorat de science-fiction est plus exigeant que les spectateurs de blockbusters, qui, eux, s’accommodent à merveille d’incohérences répétées et de lacunes inexplicables.

Il n’en reste pas moins que malgré ces défauts, « Silo Origines » ne manque pas d’intérêt. Avec près d’une centaine de chapitres courts, Hugh Howey s’y entend pour maintenir l’attention du lecteur et lui donner envie d’en savoir plus. La structure narrative basée sur l’utilisation des réveils successifs de quelques individus cryogénisés, avec en parallèle l’existence plus détaillée d’un ou deux personnages à chacune de ces époques, fait prendre vie à l’ensemble. Le caractère trouble des concepteurs et dirigeants des silos, ainsi que le climat souvent paranoïde sont assez bien rendus. Les chapitres finaux, décrivant l’errance de Jimmy « Solo » à travers son univers en déréliction, peuplé de cadavres, de fantômes, de fonctionnalités incertaines, et, peut-être, d’une poignée d’autres survivants, rendent parfaitement l’ambiance sinistre et crépusculaire que l’on peut attendre d’un tel environnement. A l’évidence, l’auteur dispose d’un savoir-faire et d’un potentiel intéressants. Il faudra lire « Silo », volume relatant la suite immédiate de « Silo origines » (mais écrit et publié avant lui) pour se faire une idée plus précise de l’ensemble.


Titre : Silo Origines (Shift, 2013)
Auteur : Hugh Howey
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Laure Manceau
Couverture : Johann Fournier
Éditeur : Actes Sud
Collection : Exofoctions
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 564
Format (en cm) : 14,5 x 24 x 2,8
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782330032012
Prix : 23,50 €



Hilaire Alrune
17 juillet 2014


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