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Fées, Weed et Guillotines
Karim Berrouka
ActuSF, roman (France), fantasy urbaine, 384 pages, avril 2014, 18€

Lorsque le détective Marc-Aurèle Abdaloff, un peu fatigué des filatures de conjoints infidèles, voit débarquer dans son bureau une furie rouquine, toute vetûe de satin violet, hors d’haleine parce qu’elle n’aime pas les ascenseurs, qui ne connaît pas le téléphone, et paie cash en pierres précieuses pour retrouver une femme avec pour principal indice son sourire cruel, il hésite entre la crainte d’être tombé sur une frappadingue et l’excitation d’une affaire vraiment hors du commun.
Ce sera un peu les deux.



Je ne vais pas vous en révéler trop : cette tornade pourpre et rouille se prénomme Jaspucine, et derrière son langage de charretier qui ferait rougir Audiard, se cache une fée, une vraie, en service commandé pour retrouver une renégate. En plus, Jaspucine en fait une affaire personnelle, car la fugitive est son ancienne coéquipière, Zhellébore,, et leur dernière mission en binôme, en 1789, s’est un peu soldée par sa décapitation, et ça, ça fait mal. Pas tant que tout ce qui a suivi, mais elle en a gros sur la patate.
Marc-Aurèle, choisi pour son patronyme à défaut d’autres références, ne sera pas au bout de ses surprises, surtout lorsque son affaire sera liée au cas très spécial sur lequel enquête son pote flic Étienne : dans un appart’ plutôt cossu, on a retrouvé un gamin à l’air sadique en costume de ville, trois vieilles enfermées dans des cages, de pleins sacs de joyaux et... de la beuh, de la weed, de la marijuana, du foin. Au-delà des capacités psychotropes de ce dernier produit, le tableau a de quoi mettre la tête à l’envers.

Karim Berrouka nous a ici pondu un truc apparemment halluciné, mais surtout hallucinant. Jaspucine, qui a zappé le stage d’acclimatation au XXIe siècle, n’est pas facile à suivre, surtout que moins elle en dit et mieux les humains se portent. L’alternance des points de vue nous apporte un flot de données sur l’imbroglio initial, et il faudra tirer le fil de la pelote avec délicatesse, chaque révélation, arrachée de haute lutte à la fée revêche, apportant ses nouvelles questions.
Trois humains sont au centre de ces aventures : Marc-Aurèle est le plus ouvert d’esprit, et accepte de croire, faute de mieux, les explications de sa cliente. À l’inverse, Étienne, chef de la division des crimes extrêmes, est ultra-cartésien. Et au milieu, un de ses agents, le boutonneux Premier de la Classe (on ignorera son vrai nom) est capable de joindre une mémoire encyclopédique et un ton docte parfaitement énervant à des hypothèses totalement affranchies de préjugés, et parfois de psychologie. Le genre à vous scier les pattes en toutes occasions, pour le pire et le meilleur. C’est en grande partie sur lui que reposera l’enquête, et l’humour.

Un humour, noir, grinçant, décalé, omniprésent. Karim Berrouka opte pour une plume qui fleure bon l’argot, les répliques féériques sont souvent vachardes (en raison de l’humeur de leurs déclarantes, relativement égale d’un bout à l’autre), et l’ironie semble être le maître mot des enquêteurs, tant face à des non-initiés que pour répondre aux fées.

Sans vous en dire plus sur l’intrigue, délicieusement embrouillée (quand trois complots s’emmêlent, forcément), quelques mots sur le fond : l’auteur nous dépeint en toile de fond une société féérique effrayante, hyper-hiérarchisée, matriarcale, sans pitié. Si l’auteur conserve les clichés sur leur apparence, il en va tout autrement sur leur caractère. Les humains ne sont pas du bétail (elles ne nous mangent pas) mais presque, tout juste bons à prendre en charge l’élevage de leurs rejetons le temps qu’ils soient propres. Les velléités de certains mâles, de basse caste donc, à se servir de nous pour tenter de renverser l’ordre établi, sont violemment et définitivement réprimées. Comme la moindre incartade, en fait. Ce sera le cas à plusieurs reprises dans le roman, et il faudra plus que les jolis effets spéciaux de « je dévoile mon apparence féérique » pour faire oublier la cruauté de ces femmes envers les hommes mais surtout entre elles.

L’intrigue, je me répète, est dense, avec une césure au milieu qui, loin de plomber la narration, permet un intéressant rebondissement pour un finale explosif, avec beaucoup de fumée...

Sous ses apparences de grosse parodie, avec ses dialogues bien relevés et le rôle prépondérant de l’herbe qui fait rigoler, « Fées, Weed et Guillotines » se révèle un excellent thriller fantastique, dont l’âpreté et la violence-sous-jacente ne sont désamorcés que par cette écriture très maîtrisée, entre humour noir et figures de style aux termes choisis.
Un cocktail de genres inclassable, qui nous fait avancer en terrain inconnu, avec comme seules certitudes qu’on n’est pas au bout de nos surprises, et qu’avec un tel bouquin en mains, on ne voudrait être ailleurs pour rien au monde.

Grand artisan de l’absurde merveilleux, Karim Berrouka sera aux Imaginales (comme tous les ans).


Titre : Fées, weed et guillotines
Auteur : Karim Berrouka
Couverture : Diego Tripodi
Éditeur : ActuSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 384
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782917689615
Prix : 18 €

- Disponible également en version numérique, PDF ou ePub sans DRM (1,3 Mo)
Prix : 3,99 €



Nicolas Soffray
13 mai 2014


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