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Chasseur d’aurores
Jean Lilenstein
La Martinière, documentaire (France), sciences, 193 pages, mars 2014, 14,50€

Les aurores boréales ? Un spectacle magnifique. Mais aussi un effet provoqué par les vents solaires détournés par le magnétisme terrestre. Mais encore l’occasion de découvrir des individus passionnants, des projets non moins passionnants, et des créatures affamées qui, dans les lointains observatoires polaires, considèrent les chercheurs comme des proies parfaitement comestibles.



Tout le monde a vu, au moins en images, ces somptueuses aurores boréales qui tendent au-dessus de l’horizon de magnifiques voiles de couleurs. Mais bien peu savent que jusqu’au dix-neuvième siècle, ces fameuses aurores étaient la seul chose que l’on connaissait du vent solaire, ces nuées de particules émises à près de cent cinquante millions de kilomètres de la Terre et interagissant avec les gaz de l’enveloppe terrestre.

C’est donc l’histoire de ce vent solaire, et surtout l’histoire de la création d’une nouvelle discipline, la “météorologie de l’espace”, consacrée à l’activité et aux éruptions solaires, ainsi qu’à leurs effets en de nombreux domaines (télécommunications, positionnement GPS, industrie pétrolière, sécurité des barrages hydroélectriques, pour n’en citer que quelques-uns), que nous décrit Jean Lilensten. Depuis les stupéfiantes machines à reproduire les aurores boréales développées par Birkeland à la fin du dix-neuvième siècle (le français Auguste de la Rive avait également conçu d’impressionnants démonstrateurs dans les années 1850) jusqu’aux expériences les plus modernes, l’auteur nous dévoile, par l’intermédiaire d’une vingtaine de chapitres illustrant la vie contemporaine d’un chercheur, l’essor considérable d’une science essentiellement développée au cours des dernières décennies.

«  Arrête un peu avec ta science. Ça nous ennuie, tes explications. La vérité, c’est que tu sculptes la lumière.  »

Chasseur d’aurores ou sculpteur de lumière, voilà qui ne semble pas très scientifique. C’est dire que Jean Lilensten n’impose au lecteur ni explications incompréhensibles ni termes savants. Il rend son domaine très simple, et en l’intriquant à des aspects de sa vie de chercheur (salaires misérables, chasse aux crédits, paperasserie délirante, fuite des cerveaux français à l’étranger, mais aussi moments fabuleux) en fait une plaisante aventure. Une aventure aux côtés d’autres scientifiques, au sein d’une équipe, mais aussi en compagnie d’artistes de tous bords, et également auprès du grand public envers qui il s’investit tout particulièrement, jusqu’à améliorer la Terrella de Birkeland en une Planeterrella connue dans le monde entier. Une aventure plaisante mais qui n’ignore pas pour autant les problèmes éthiques (les utilisations militaires de la science) et peut prendre des allures plus âpres, notamment en ce qui concerne les manipulations et expériences nocturnes autour des laboratoires arctiques, dans des zones où il est impossible de sortir sans fusil, les ours polaires étant particulièrement friands de chercheurs.

«  Un jour, une femme de pêcheur aux îles Lofoten m’a raconté qu’étant petite, il lui était interdit d’agiter un mouchoir devant une aurore, car les esprits de l’enfer les chevauchaient et, attirés par le mouchoir, viendraient prendre son âme d’enfant. Elle m’a dit qu’aujourd’hui la science avait tué cette poésie.  »

C’est à partir de cette réflexion que Jean Lilensten introduit la fin de son ouvrage. Il n’est –on s’en doute– pas tout à fait d’accord. La science, pour qui la pratique, est, pensons-nous, sans doute moins désenchantement que désensorcellement. Pour l’auteur, elle apparaît surtout comme création, enthousiasme et réflexion, un entrain, une joie perpétuelle. “Jubilatio”, disaient les Anciens. Et c’est cette jubilation que Lilensten fait partager au lecteur.

Un petit ouvrage diablement intéressant

Reste que Jean Lilensten donne peut-être une image trop laudative du milieu de la recherche. S’il n’en occulte pas les difficultés, s’il fait très brièvement allusion à des collègues indélicats, l’idée globale qui en ressort est celle d’individus exclusivement charmants et formidables. Lilensten se décrit comme un “indécrottable optimiste” : sans doute est-ce pour cela – et on ne saurait le lui reprocher – qu’il glisse rapidement sur les aspects négatifs pour ne parler que des individus qui le méritent. Il est vrai aussi que l’on forme et sélectionne ses collaborateurs à son image. Mais le monde de la recherche c’est aussi la comédie humaine avec comme partout des individus arrogants, présomptueux, antipathiques, et où les coups de Jarnac ne sont pas précisément rares. Quant à l’image de ces scientifiques toujours enthousiastes et prêts à partager leur savoir, elle concerne effectivement bon nombre d’entre eux (il n’est pas rare, pour qui s’en va frapper à la porte d’un laboratoire en quête de renseignements, de tomber sur des gens formidables qui ne demandent qu’à aider et à orienter) ... mais que dire de ces parvenus de l’intellect qui claquent la porte au nez du visiteur en l’informant, avec toute la morgue, le mépris et la bêtise crasse dont ils sont capables, que ledit visiteur trouvera sans doute ce qu’il cherche au supermarché ?

Un soupçon d’angélisme peut-être, mais c’est bien là le seul reproche, et encore très secondaire, que l’on pourrait faire à l’auteur. Parce qu’en définitive « Chasseur d’aurores », sur un format assez court (environ deux cents pages), atteint pleinement son objectif. « Indignez-vous ! », écrivait il y a peu Stéphane Hessel. Mais quand on lit Jean Lilensten, c’est bien plutôt “enthousiasmez-vous !” que l’on entend, et la motivation de l’auteur a effectivement quelque chose de communicatif. Alors que l’on a trop souvent tendance à se laisser happer par la sinistrose, voilà un petit livre à la portée de tous, non-scientifiques et adolescents compris, qui, outre le fait d’être intéressant et instructif, a un petit côté revivifiant fortement appréciable. Et, cerise sur le gâteau, une riche sitographie en fin de volume permettra aux lecteurs entraînés par la passion de Jean Lilensten – ils seront sans doute nombreux – de poursuivre l’aventure sur chacun des sujets abordés.


Titre : Chasseur d’aurores
Auteur : Jean Lilensten
Couverture : R. Eivilo / Cyril Simon-Wedlund
Éditeur : La Martinière
Collection :
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 193
Format (en cm) : 14 x 20,5
Dépôt légal : mars 2014
ISBN : 9782732464602
Prix : 14,50 €



Hilaire Alrune
19 avril 2014


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