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Erik L’Homme, précepteur princier
L’auteur du « Le Regard des Princes à Minuit » répond à nos questions
Avril 2014

Enchantés par la lecture du « Regard des Princes à Minuit », publié par Gallimard dans la collection Scripto, nous avons voulu en savoir un peu plus sur cet esprit chevaleresque qu’Erik L’Homme veut revivifier dans la jeunesse actuelle.



Les questions de Nicolas :

Les différents récits du recueil (sauf « l’Odeur des Ombres », et « Affronter les ténèbres » au rôle plus explicatif) évoquent presque tous le rapport à la loi, et donc à l’illégalité, et la crainte qu’elle engendre : enlèvement dans « Le commando Mazurka », sabotage dans « Relever la tête », combats clandestins dans « Attendre l’aube », atteinte aux monuments nationaux dans « Puisque les étoile tremblent », terrorisme dans « La Dureté du monde »). Pensez-vous qu’il existe encore de nos jours des espaces « flous » où les jeunes peuvent se rebeller, s’exprimer, créer, en toute liberté et légalité ? Ou si transgresser, même (ou surtout ?) secrètement, est indispensable à la vraie liberté ?

Erik L’Homme : La transgression apporte un sentiment de liberté. Ça ne signifie pas que cette liberté soit effective. Se droguer, par exemple, est transgressif mais aliénant, et s’inscrit dans une logique de système. Quand une majorité de jeunes déclare avoir fumé illégalement de l’herbe, les rebelles sont ceux qui ne l’ont pas fait et sont restés, par voie de conséquence, dans la légalité. En fait, tout dépend du système qui définit (et que définit) cette légalité… On pourrait aussi opposer à la légalité la notion de légitimité. Ce qui est légal est-il toujours légitime ? Mais en réalité, les insoumis de mon livre se moquent bien de ces considérations. Ils font ce qui leur semble juste, à l’aune de leur propre regard, et ne confondent pas le but et le moyen (ou la conséquence). L’enlèvement des musiciens est un élément du parcours initiatique qui conduit au respect que filles et garçons se doivent. Le sabotage du relais de télévision est un cri d’amour au livre et à l’autonomie de la pensée. Les combats clandestins sont des miroirs qui ne déforment pas. L’escalade de la cathédrale est une manière de se réinscrire dans le fil de l’Histoire. Le non-acte de terrorisme définit les limites du choix individuel… Cependant, alors que l’époque ne cesse de rogner les libertés individuelles, les véritables révoltes sont sans doute condamnées à passer du côté obscur et à s’épanouir dans la transgression.

A chaque bachelier son mentor. Comme Wilfrid dans « La dureté du monde », tout le monde peut-il être mentor ? Quelle place pour les auteurs jeunesse ? Notre société accepte-t-elle encore ce lien très fort entre un aîné et un cadet ?

Erik L’Homme : Notre société, aveuglée par le « jeunisme », oublie de mettre en avant la sagesse et l’expérience de ceux qui ont un peu vécu. Et le progrès, qui reste son dogme, se confond avec la nouveauté. Dans ces conditions, les liens de transmission disparaissent. Ceux qui subsistent sont fragiles. Pourtant, je crois que de nombreux jeunes en sont demandeurs. Il n’y a qu’à voir, en effet, les conversations qu’ils tiennent sur les blogs et les forums, où les auteurs jeunesses, jouant le rôle de passeur ou d’éveilleur, tiennent une large place.

Le Seigneur des Anneaux, les X-Men, Albator, Matrix, Fight club… sont des exemples apparemment éloignés des sages leçons d’Arthur et de la Table Ronde. Y a-t-il d’autres grandes œuvres contemporaines qui peuvent guider, plus ou moins consciemment, les jeunes vers la réflexion et les valeurs vertueuses (le courage, la volonté, l’honneur, la fidélité, la vérité) énoncées dans le livre ?

Erik L’Homme : Les lecteurs cherchent dans le foisonnement qui leur est offert, œuvres classiques, contemporaines, décalées, marginales, ce dont ils ont besoin. C’est le manque qui les pousse dans cette quête de sens. Et ils remplissent, sur leurs carnets ou leurs blogs, des pages de phrases poétiques et de citations…

Les questions d’Hilaire :

Ce Cosme d’Aleyrac, qui écrivit à la fin du douzième siècle « Les sept bacheliers ou l’épreuve périlleuse », dont vous donnez des extraits à la fin de chaque aventure, s’agit-il d’un personnage réel ou apocryphe ? Pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ?!!

Erik L’Homme : Déjà, dans ma série intitulée « Phaenomen », se trouvaient des auteurs auxquels je faisais largement référence. Ils étaient le cauchemar des élèves chargés d’en établir la biographie… Je me suis fais, depuis, une spécialité d’inventer des auteurs — et de les rendre crédibles car les propos que je leur prête sont toujours soigneusement étayés. Je n’ai pas fait autre chose avec Cosme d’Alleyrac. J’ai relu les romans médiévaux de Chrétien de Troyes et j’ai écris les extraits des « Sept bacheliers » à sa manière.

On retrouve très vite à travers les premiers chapitres des notions fondamentales telles que le courage, l’honnêteté, la générosité. Que vous fassiez référence à un traité du douzième siècle est aussi symptomatique : ces notions semblent avoir totalement disparu des discours, et – plus grave encore – des esprits. Ne craigniez vous pas que débuter « Le Regard des princes à minuit » sur de telles notions ne le rendent trop « autre », trop « différent » pour des jeunes lecteurs ?!!

Erik L’Homme : Il m’a semblé important de donner une cohérence à mes récits en les plaçant sous le regard (tout est histoire de regard, toujours !) d’un vrai-faux auteur du douzième siècle, afin de rappeler l’intemporalité de certaines valeurs. Je ne crois pas, donc, que les lecteurs soient rebutés par ce rappel. Surpris peut-être (sûrement) et tant mieux. Mais les valeurs chevaleresques n’ont pas déserté notre époque. Elles sont au contraire effroyablement présentes, brillant par leur absence. Elles la définissent en creux. Il suffit donc de caresser le monde avec nos pas de danse, de rêver sur le tombeau de merlin, de recouvrir d’un manteau les palantir mondiovisuels, d’empoigner la chair de la vérité et de se lancer à l’assaut des étoiles pour les faire revenir…

A travers chacune de vos aventures – et cela culmine dans la toute dernière – on retrouve la notion fondamentale du choix. Choix de ce que l’on accepte, choix de ce que l’on refuse, qui sont aussi, in fine, les choix de ce que l’on accepte ou refuse de devenir. Et l’on sent aussi que ces choix, vous cherchez à faire comprendre qu’ils ne sont pas faciles : il est des choix qui semblent justes et ne le sont pas. Mais vous donnez aussi l’impression qu’un juste, en méditant ses choix, évitera l’erreur. La réalité est souvent plus cruelle. Donnez-vous, dans « Le regard des princes à minuit » une vision idéalisée du monde ou cherchez-vous simplement à décrire les premières étapes, à initier la réflexion ?!!

Erik L’Homme : Curieusement, les choix (les vrais choix) sont faciles, quand on y réfléchit. Ce qui ne l’est pas, c’est de les assumer… On sait généralement au fond de nous ce qu’il faudrait faire. Mais il faut avoir le courage de passer à l’acte et de vivre avec ses conséquences. C’est vrai qu’on retrouve, dans chaque étape de mon récit, cette notion capitale de choix. Alors je ne décris pas un monde idéalisé, mais peut-être une façon idéalisée d’être dans ce monde. Dans tous les cas, je n’ai pas d’autres buts qu’effectivement initier une prise de conscience, précipiter une réflexion, déclencher l’envie d’être différent, de faire coller ses paroles à ses actes, ses rêves à la réalité.

On retrouve chez vous le goût du mystère, du cryptique, du secret, qui sont aussi ceux de la confrérie, de la complicité, de l’action qui ne cherche pas à se faire voir, à se faire valoir. Du ravissement que procure le monde pour ce ravissement lui-même, et non pas pour servir de piédestal à quelque gloriole éphémère. Pensez-vous qu’un tel discours puisse encore être reçu à large échelle ? Pensez-vous qu’un adolescent puisse encore comprendre qu’il est possible de se construire dans l’ombre ?!!

Erik L’Homme : Bel hommage ! Et difficile de répondre à la question. Je pense que ce message touchera ceux qui attendent d’être touchés. On peut chuchoter, crier, chanter, on ne produit que du silence s’il n’y a pas d’oreille pour nous entendre. J’espère que certains comprendront cette nécessité de l’ombre, non pour l’ombre elle-même, pas plus que pour en sortir un jour, mais pour pouvoir produire soi-même de la lumière.

Ce compagnonnage que vous décrivez, c’est surtout celui de l’éveil. Un personnage fait découvrir à un autre, grâce peut-être à une légère touche de folie, l’essence et la poésie du monde. Mais il faut auparavant que l’éveilleur ait perçu dans celui qu’il initiera une certaine aptitude. Il en est pourtant, et ils sont nombreux, qui ont littéralement « choisi de ne pas choisir », de vivre sous le joug perpétuel des médias, de n’avoir pas d’autres désirs que ceux qu’ils se laissent imposer. Et ceci, tout simplement – ils l’expriment d’ailleurs en ces termes – « parce que c’est plus simple ». Ceux-là échapperont leur vie durant aux mystères, à la beauté, et à l’ivresse de ce monde. Que pensez-vous de cette catégorie qui est hélas loin d’être marginale : perdus à tout jamais, ou gardez-vous l’espoir, un jour, d’un déclic possible, d’une ouverture sur quelque chose d’autre qu’un conditionnement d’autant plus puissant qu’il est non seulement consenti, mais aussi, en permanence, auto-administré ?

Erik L’Homme : Et si le plus grand nombre cherchait la facilité et se contentait en effet de ce qu’on lui donne ? En ce cas, il serait vain (et vaniteux) d’imaginer autre chose, sous peine de verser dans l’idéalisme et de s’abuser — ce qui serait l’inverse du message de mon livre, à savoir se connaître soi-même pour devenir qui on est ! Mais l’étincelle de l’éveil peut naître à tout moment et partout, c’est cela qui est important, qui est rassurant, qui donne de l’espoir.

Merci !

Si ce n’est pas déjà fait, découvrez la double critique du « Regard des Princes à Minuit ».


Nicolas Soffray
Hilaire Alrune
10 avril 2014


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