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Échanges
Danielle Thiéry
Versilio, roman (France), policier, 307 pages, février 2014, 19€

Le commissaire Edwige Marion est dans une situation particulière : après avoir pris une balle en pleine tête, à laquelle elle a miraculeusement survécu, elle est autorisée à reprendre progressivement du service, sous surveillance médicale assez rapprochée, et sur des tâches à la fois secondaires et physiquement peu contraignantes. Mais si sa blessure a laissé derrière elles des séquelles étranges, elle n’est pas vraiment décidée à s’économiser pour autant. Ce qui tombe bien – ou mal – car les vieux dossiers jamais élucidés qu’on lui propose de feuilleter pour la mettre à la fois au repos et à l’écart se transforment rapidement en pistes brûlantes.



Pas facile de récupérer après avoir pris une balle dans la tête. Ainsi le commissaire Edwige Marion, qui n’a pourtant jamais été particulièrement bégueule, voit-elle ses pulsions sexuelles se transformer en véritables compulsions. Mais il y a plus encore : au réel, comme par flashs, viennent se superposer des visions, des hallucinations, souvent macabres, qui se révèlent étrangement prophétiques. Ce que le commissaire Marion, qui est plutôt d’une nature cartésienne, a bien du mal à accepter. Simples séquelles neurologiques ? Cela semble assez peu vraisemblable. Manière pour le cerveau lésé d’exprimer ce qu’il saisit de manière inconsciente, reformulation de perceptions subliminales, de souvenir enfouis, d’intuitions ? Rien de moins sûr, mais cela se pourrait. Et cette explication serait d’autant moins dérangeante que la commissaire a appris à ne jamais trop faire taire ses intuitions. Restent à gérer des pertes de mémoire, ou, au contraire, des souvenirs qui ne sont peut-être pas réels.

Edwige Marion vit à la Mouzaïa, vaste maison collective, en compagnie de plusieurs autres cognes, notamment Valentine et Abadie, à tel point aux petits soins pour la convalescente qu’ils gardent perpétuellement un œil sur elle et l’empêchent de sortir à des heures indues. Ce qui ne l’arrange pas forcément. Ce qui ne leur est pas facile non plus, dans la mesure où un rapt d’enfant les met particulièrement sur les dents. Un rapt au sujet duquel l’enquête piétine, encore et encore, et dont tout laisse à penser qu’elle n’aboutira jamais.

Mais ce serait sans prendre en compte l’obstination et la pugnacité d’Edwige Marion, que l’on a contrainte à l’immobilité et au repos en lui faisant lire, au fond d’un bureau, les dossiers de vieilles enquêtes inabouties. Ces « Old cases », ou même « Cold cases », plus personne n’y croit : à l’évidence, Marion n’y trouvera rien de plus. Mais il faut se méfier des évidences et bientôt, dans l’un de ces dossiers, notre commissaire trouvera un fil très mince, qu’elle tirera à sa manière, et qui la mènera à un lien avec un autre dossier refroidi, puis, de fil en aiguille, avec l’affaire en cours. Rien, on s’en doute, ne sera simple, et ceci d’autant plus qu’il s’en trouve pour douter de sa raison. Il lui faudra –entre autres– aller voir, emprisonné à Bruxelles, un faux psychologue, mais véritable psychopathe et assez bon profiler (on retombe sur une figure classique, mais on échappe à la redite dans la mesure où le personnage en question est également témoin d’un détail de première importance), comparer ses données avec celles de la police espagnole, retourner enquêter à Lyon en compagnie d’autres collègues et, ici et là, retrouver d’anciens témoins, d’anciennes connaissances, mais aussi ses propres démons.

On reconnaîtra à « Échanges  » bien des traits caractéristiques du très bon récit policier. Tout d’abord, les personnages prennent réellement vie, et ceci sans exception : qu’ils soient essentiels ou secondaires, tous apparaissent à la fois denses et crédibles. Détaillés avec soin, sans ces excès de psychologie auxquels se complaisent les auteurs bas de gamme, ils animent véritablement l’intrigue, et, même pour les plus marqués d’entre eux, sans jamais sombrer dans les stéréotypes ni dans la caricature. Ensuite, l’auteur déploie un véritable talent, ou une technique consommée, pour captiver le lecteur : une fois celui-ci happé, au plus tard au premier tiers du volume, alors que l’intrigue commence à se dessiner dans toute sa complexité et que commencent à apparaître, à la fois entre les diverses affaires, mais aussi entre passé, présent et futur, bien des liens troublants, il devient littéralement impossible de lâcher le volume.

On exprimera pour la forme une réserve sur le fait qu’une flic émérite, une fois de plus, aille in fine se jeter volontairement dans la gueule du loup sans arme et sans prévenir quiconque (et comment diable peut-elle être assez stupide pour donner son téléphone à son agresseur ?), comme s’il n’existait, pour mettre l’héroïne en position difficile, pas d’autre astuce scénaristique que ces subites invraisemblances, qui, en faisant tiquer le lecteur, viennent gripper au tout dernier moment un suspense croissant et jusqu’alors sans faille.

Mais peu importe ce détail, puisque l’intrigue est parvenue à tenir le lecteur en haleine jusqu’aux dernières pages. Et si bien des mystères sont élucidés, Danielle Thiéry prend soin de conserver, notamment en ce qui concerne certains personnages, suffisamment de zones d’ombre pour que l’on ait envie d’accompagner le commissaire Marion et ses comparses dans leur prochaine enquête – ou, en attendant, de se plonger dans leurs aventures précédentes, déjà au nombre de neuf, et dont plusieurs devraient être rééditées cette année aux éditions J’ai Lu.


Titre : Échanges
Auteur : Danielle Thiéry
Couverture : George Mayer / iStock
Éditeur : Versilio
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 307
Format (en cm) : 15 x 22
Dépôt légal : février 2014
ISBN : 978-2-3613-2097-3
Prix : 19 €



Hilaire Alrune
13 avril 2014


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